Serbie – Colère historique ou révolution ?

Par aplutsoc le 20 mars 2025

Les médias français ont découvert le samedi 15 mars que des marches parties de toutes les villes de Serbie déferlaient sur Belgrade. Et plus précisément convergeaient vers le Parlement pour un rassemblement central en milieu d’après-midi. Dans un pays de 6,6 millions d’habitants, l’ampleur d’une mobilisation de 800 000 à 1 million de personnes faisait soudain réaliser qu’il y a 25 ans Slobodan Milosevic était tombé pour moins que ça.

Alors les titres parlent de « colère historique contre la corruption » pour souligner ce qui, selon ces médias, constitue les limites politiques du mouvement. Ou bien ils parlent de « révolution de couleur menée par des agences étrangères » reprenant ainsi les éléments du langage pro-russe utilisés par le président Vucic.

Et tous d’insister sur la diversité et les apparentes contradictions exprimées dans la manifestation où les drapeaux de l’UE et de l’OTAN pouvaient côtoyer le Z de l’opération spéciale de Poutine et les revendications nationalistes serbes contre l’indépendance du Kosovo.

Enfin, en l’absence d’une opposition à Aleksandar Vucic susceptible de représenter, selon eux, une alternative politique, la plupart des commentateurs s’empresse de conclure que le président autoritaire et corrompu, cible de cette historique colère, va continuer à tenir le pays. Pour les médias occidentaux rien ne doit gâter la candidature de la Serbie à l’UE et la bonne exécution des contrats des ventes de Rafale, car Vucic sait parler à la fois à l’oreille de Dassault et à celle de Poutine.

Au pouvoir depuis 2014, Aleksandar Vucic était contesté depuis de nombreuses années : élections truquées, opposition des habitants de la vallée du Jadar à l’exploitation du lithium, incitation à la haine entre communautés… Et puis, un auvent en béton de la gare de Novi Sad s’est effondré, provoquant la mort de 15 personnes. C’était le 1er novembre 2024. Alors les étudiants se sont mis à occuper les facultés, à tenir des assemblées, à appeler à la grève générale.

Une deuxième journée de grève générale, le 7 mars dernier, marquait l’extension du mouvement des étudiants aux larges masses de Serbie et le délitement du parti de Vucic, de son appareil répressif, des télévisions gouvernementales… La foule immense qui, le 15 mars, envahit tout Belgrade et dont les quatre cortèges avancent vers le parlement de Serbie, est en mouvement depuis des mois, si c’est « une colère », il est sûr qu’elle vient de loin.

En chemin la démocratie s’est invitée. Les assemblées d’étudiants, les plénums, les groupes de travail, sont les formes que le mouvement a adoptées pour que sa base débatte et décide. Même dans les moments de tension où des provocateurs ont tenté d’installer un climat de violence devant le Parlement ou au moment où les forces de répression ont utilisé un canon à son (arme interdite en Serbie en vertu de l’article 106 de la loi sur la police) l’auto- organisation des manifestants dans leurs différents cortèges, a été capable d’assurer la sécurité. L’immense foule a été dirigée vers la place Slavija où les prises de parole se succéderont jusqu’à 20h.30.

Les formes de la démocratie directe, les plénums, les assemblées, que la base du mouvement a su construire sont les seules auxquelles le peuple serbe accorde aujourd’hui quelque légitimité. L’autre solution à laquelle tente de se raccrocher Vucic, est un classique des temps de crise : un gouvernement « technique » politiquement neutre. Mais l’exigence démocratique est déjà trop forte et trop consciemment exprimée pour tomber dans le panneau de la neutralité qu’elle soit promise par Vucic ou par sa prétendue « opposition ». « Nous sommes ici parce que nous ne vous permettrons plus de nous priver de notre liberté, parce que nous nous protégeons les uns les autres » déclarait une étudiante, place Slavija, indiquant bien qu’il n’est pas dans l’intention des manifestants de déléguer, à quelque parti que ce soit, le combat pour l’avenir du peuple serbe.

Si c’est d’une « révolution de couleur » dont il s’agit, elle a celle de la révolution de la dignité, dite de Maidan ou, avec des nuances, celle du Hirak algérien et des « révolutions arabes ». A ceux qui moquent la dynamique de la lutte de classe comme si nous prétendions que les soulèvements des peuples se produisent de manière synchronisée dans une mécanique insurrectionnelle bien huilée, faisons observer cette dynamique à l’œuvre. La chute de la tyrannie de la maison Assad constitue un formidable encouragement à l’émancipation. Et d’abord pour tous les peuples du pourtour méditerranéen. Comme le note Jacques Chastaing : « ce soulèvement (serbe) a enclenché depuis début janvier 2025 des mouvements semblables en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro tandis qu’il contribuait à amplifier ceux préexistant en Slovaquie et en Géorgie, puis en a généré d’autres plus tard jusqu’à ces derniers jours en Bulgarie, en Albanie, en Grèce avec de larges soutiens en Croatie ou en Slovénie, et un mouvement simultané de grande ampleur le 15 mars aussi en Hongrie. (…) « Bien conscients de cela, les étudiants serbes qui sont aujourd’hui la pointe la plus avancée de ce mouvement général ont publié un manifeste s’adressant à tous les étudiants d’Europe et du monde les appelant à rejoindre leur lutte pour une Europe libre pour stopper le fascisme montant, pour se débarrasser de l’exploitation et de toutes les oppressions. Le premier manifeste de riposte de la jeunesse et des peuples à Trump/Poutine et leur monde. »

Oui, le peuple serbe par son immense mobilisation, a été le premier depuis l’entrée en fonctions de Trump et de sa clique fasciste à répondre, avec les armes de construction massive de la démocratie, aux prétentions de l’impérialisme américain et de l’impérialisme russe à reconfigurer une Europe conforme au nouvel ordre mondial qu’ils veulent imposer.

Dès le mois de janvier 2025 les étudiants des facultés occupées avaient une claire conscience de la dimension de leur lutte et de la dynamique qu’elle est capable de créer, ils en livrent clairement la méthode : l’auto organisation à la base de leur grève et de l’occupation des facultés.

Voilà certainement ce qui permet au Monde du 16 mars d’écrire que les étudiants serbes « veillent soigneusement … à ne pas faire de politique » (sic!).

Document :

Lettre des universités occupées de Serbie aux étudiant.e.s du monde entier (janvier 2025)

Actuellement, en Serbie, les étudiant.e.s ont le contrôle total de 62 facultés sur 80. Il s’agit de la plus grande manifestation étudiante dans notre région depuis 1968. Elle a été déclenchée par une série d’événements tragiques causés par des décennies de répression, de corruption et de violence perpétrées par le régime en place. Jusqu’à présent, l’opposition s’est montrée incompétente dans ses méthodes, c’est pourquoi nous, les étudiants, avons pris les choses en main. Nous avons suspendu les cours, dissous toutes les associations étudiantes représentatives, organisé des plénums, voté des revendications, formé des groupes de travail et commencé à faire pression. Nous nous sommes installé.e.s dans les bâtiments de la faculté et les avons adaptés à la vie quotidienne. Nous avons mis en place des cuisines, des dortoirs, des pharmacies, des ateliers, des cinémas et des salles de classe d’auto-éducation. En l’espace de trois semaines, la quasi-totalité des bâtiments universitaires de Serbie sont devenus des centres d’auto-organisation politique fonctionnant 24 heures sur 24. Nous avons le soutien total de nos concitoyen.ne.s, nous survivons grâce à leurs dons et, chaque jour, d’autres groupes oppressés de la société se joignent à notre lutte.

Les occupations de facultés sont la forme la plus radicale d’auto-organisation étudiante. L’occupation implique la suspension des cours, des obligations d’examen et fonctionne indépendamment du soutien des professeurs et de l’administration. Vous avez le droit de vous organiser de cette manière et, grâce à l’autonomie de l’université, vous êtes également protégé.e.s contre l’intervention directe de la police. La faculté reste occupée jusqu’à ce que vos revendications soient satisfaites. La suspension des activités d’une faculté constitue en soi une forme de pression sur les institutions. L’occupation d’établissements scolaires est aux étudiant.e.s ce que la grève est aux travailleur.euse.s.

Historiquement, les occupations de facultés se sont avérées efficaces dans la lutte pour une éducation plus accessible, mais aujourd’hui, nous devons les utiliser pour résoudre des problèmes sociétaux plus larges.

Nous gérons les occupations par le biais de groupes de travail. Les groupes de travail sont ouverts à tou.te.s celleux qui souhaitent y participer et se concentrent sur la stratégie, les actions publiques, les médias, la sécurité et les activités au sein de l’occupation.

Les groupes de travail présentent leurs idées et leurs propositions au plénum. Le plénum est un forum ouvert à tou.te.s les étudiant.e.s de la faculté. Ces assemblées mettent en pratique la démocratie directe. Chacun.e dispose d’une voix égale et du droit de décider des questions relatives à la direction des actions.

Le monde est au bord de l’effondrement, la démocratie représentative est un échec et notre avenir est en danger. C’est le seul moyen de prendre le contrôle et de changer la société. Il y a d’innombrables raisons pour un blocus, et vous savez mieux que quiconque quelle est la vôtre.

Traduisez et partagez cette lettre !

Auto-organisez vous et commencez à mettre en place la démocratie directe maintenant !

Étudiant.e.s du monde entier, joignez-vous aux occupations ! »

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