La lettre américaine de Mediapart

lundi 14 avril 2025
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L’ÉDITO
Le Grand Timonier Trump fait feu sur le « Deep State »

Pour saisir le moment Trump deuxième version et les déflagrations qu’il entraîne, les analogies ont fleuri. En Europe, les références au fascisme n’ont pas manqué, ce qui n’est guère étonnant.

Mais, depuis la Chine ou la communauté chinoise en exil, certain·es rapprochent la figure de Donald Trump de celle du fondateur de la République populaire de Chine Mao Zedong (1893-1976). Et le début du deuxième mandat du 47e président états-unien de la Révolution culturelle déclenchée par ce dernier en 1966 à l’aide des Gardes rouges.

Bien sûr, faut-il le rappeler, comparaison n’est pas raison, et si la Révolution culturelle a causé des millions de morts, le chambardement politique mené par Trump n’est pas aussi sanglant. Heureusement. Mais les dégâts et les traumatismes qu’il provoque dans la société états-unienne nous poussent à nous interroger.

Déjà, lors du premier mandat de Donald Trump, le sinologue états-unien Orville Schell avait relevé chez ce président républicain nombre de traits de Mao. Dans un texte, publié en février sur le site Project Syndicate, il rappelle ainsi que ce sont deux personnalités influencées par des pères tyranniques et violents, et animées par une volonté commune de tout renverser.

Si Mao appelait à « faire feu sur le quartier général », Trump explique vouloir détruire le « Deep State » (État profond). Orville Schell cite plusieurs proverbes chinois qui illustrent à merveille ces ressorts : « Sans destruction, il ne peut y avoir de construction » ou « Un monde en grand désordre est une excellente nouvelle ».

La journaliste du Guardian, Tania Branigan, a écrit Fantômes rouges. Chine : la mémoire hantée de la révolution culturelle (Stock, 2024). « Comme Mao, souligne-t-elle, [Trump] renforce son pouvoir politique en divisant là où d’autres dirigeants promettent d’unir. »

Le New York Times est allé consulter la journaliste Zhang Wenmin, connue sous le pseudonyme de Jiang Xue, qui a dû fuir son pays en raison de ses enquêtes et est installée aux États-Unis depuis 2023. « J’ai eu une impression de déjà-vu – cela ressemblait tellement à la Chine, dit-elle. À peine sortie de la tanière du loup, je suis entrée dans celle du tigre. »

Dans un article diffusé largement sur les réseaux sociaux et consacré à l’« effondrement états-unien », le professeur de droit à l’université de Pékin Zhang Qianfan, dont l’un des livres avait été censuré en Chine en 2019, rapproche la bande d’Elon Musk à la tête du ministère de l’efficacité économique (Doge) des « gardes rouges » de Mao.

Pour lui, Trump, encensé par une cour de béni-oui-oui et qui se nourrit de slogans, a lancé sa propre version de la Révolution culturelle en s’attaquant aux piliers de la démocratie états-unienne, en particulier l’indépendance de la justice.

« Avec sa tradition juridique profondément ancrée et son engagement de longue date en faveur de la neutralité administrative, écrit le professeur Zhang, le seul moyen de démanteler l’“État profond” américain est de procéder à une “révolution culturelle”. La révolution culturelle consiste essentiellement pour le chef suprême à orchestrer un mouvement de masse visant à “détruire les organes publics et judiciaires”, en mobilisant les citoyens ordinaires pour éradiquer les élites désobéissantes. »

Il qualifie la situation aux États-Unis d’alarmante et, affirme-t-il, la Révolution culturelle à caractéristiques états-uniennes ne pourra apporter « ni honnêteté ni efficacité, mais seulement la démolition de l’État de droit essentiel à la survie de chacun ». « Ce n’est que si [les] électeurs se réveillent et que ceux qui sont déjà en alerte refusent de céder que la “communauté contractuelle” américaine pourra retrouver sa vitalité », conclut-il.

Sur le site de l’institut chinois de la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’université de Londres, Michel Bonnin, sinologue français, se demande, lui, si les citoyen·nes des États-Unis peuvent apprendre quelque chose de la Révolution culturelle chinoise.

Relevant dix points communs entre Mao et Trump, il estime que trois leçons peuvent être tirées pour les États-Unis d’aujourd’hui : « N’oublions pas qu’il est plus facile de détruire que de construire », « Les vieux dictateurs n’aiment pas céder le pouvoir même à quelqu’un qu’ils ont choisi » et « L’histoire dira si, dans le cas américain, une force “contre-révolutionnaire” pourra prendre corps et obtenir le soutien d’un peuple désabusé, comme cela s’est produit en Chine à la fin des années 1970 ».

Il n’en reste pas moins, juge le journaliste hongkongais Kim Wong, basé aux États-Unis, sur sa chaîne YouTube, que « la révolution Trump cause des dommages systémiques qui seront difficiles à réparer ». Et, la grande différence avec la Révolution culturelle est que l’impact ne sera pas cantonné au territoire national comme en Chine à la fin des années 1960, mais ira bien au-delà des frontières des États-Unis.

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Alors que l’histoire afro-américaine était surtout centrée sur la guerre de Sécession et le mouvement pour les droits civiques, la date de 1619, première vente d’Africains esclavisés en Virginie, s’est imposée, suscitant débats et polémiques. L’historienne Virginie Adane en analyse les enjeux.
Le livre
par François Bougon
Le cas Trump, portrait d’un imposteur (Éditions écosociété, 16 euros)

Pour son ouvrage, l’essayiste canadien Alain Roy explique avoir lu une quarantaine de livres et une centaine d’articles relatifs à Donald Trump. Il en a tiré cet ouvrage, qui se veut une synthèse. « Je veux lier le psychologique au politique et à la question financière pour vraiment aller au cœur du personnage, dit Alain Roy à Mediapart. Et puis je veux répondre notamment à la question suivante : Trump est-il dangereux ? »

Pendant la dernière campagne présidentielle, il s’est infiltré, avec un ami photographe, dans l’un des meetings du candidat républicain en se faisant passer pour un fidèle du mouvement Maga. Une  vidéo hallucinante, dans laquelle Trump est présenté comme une création divine, est projetée. « J’ai besoin de quelqu’un qui se lèvera avant l’aube, réparera ce pays, travaillera toute la journée, combattra les marxistes, prendra son repas, puis retournera au bureau Ovale jusqu’à minuit pour discuter avec des chefs d’État », aurait dit dieu, selon les concepteurs de ce bijou de propagande.

Le livre rend bien compte du délire trumpien et de ses dangers. Pour l’auteur, Donald Trump, lié au régime de Vladimir Poutine, est un criminel, un désaxé, un sociopathe et un menteur compulsif. « Il est absurde de se cantonner dans l’euphémisme face à une clique qui s’attaque chaque jour davantage à l’indépendance journalistique et qualifie les médias honnêtes et rigoureux de fake news », écrit-il.

Comme Alain Roy l’explique, le président républicain est passé maître dans l’art de faire parler de lui, sans qu’on s’intéresse à sa personne. Avec Le Cas Trump, l’auteur s’y attelle. Et on ressort de la lecture encore plus effrayé par la perspective des 1 378 jours qu’il reste avant la fin de son deuxième mandat.

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Dans «À l’air libre», retour sur une semaine où la bruyante surenchère trumpiste du Rassemblement national et sa chambre d’écho médiatique ont fait passer au second plan la réalité: une des principales figures politiques du pays condamnée en première instance pour détournements de fonds publics.
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