Monsieur Bardella,
Ce dimanche 6 avril, faisant référence à la Grèce antique, vous avez osé déclarer : « Nous sommes les enfants d’une idée née il y a 25 siècles, sur les hauteurs d’Athènes, lorsque des citoyens libres décidèrent pour la première fois de gouverner par eux-mêmes. Cette idée porte le beau nom de démocratie. »
Ce message soigneusement préparé, vous l’avez ensuite diffusé et fait diffuser massivement sur les réseaux sociaux pour essayer de vous faire passer pour l’inverse de ce que vous êtes en réalité : l’un des pires ennemis de nos libertés fragiles, de nos droits insuffisants, de notre société malade de la peste brune.
Ce n’est pas la première fois que le Front National (fondé par d’anciens collaborateurs du nazisme) puis le Rassemblement National (simple ravalement de façade du FN) essaient de se prétendre les défenseurs de l’idée de démocratie. Pourtant, toute l’histoire de l’humanité montre qu’au contraire, votre camp n’a jamais été autre chose que celui des plus autoritaires, des plus intolérants et des plus violents, à l’inverse de l’idée de démocratie dans laquelle vous vous drapez comme tant de sinistres personnages de contes pour enfants : patte dans la farine, masque sur le museau, tunique sur le corps. Cependant, rien à faire, Monsieur Bardella, ça ne marche pas. Votre façon de concevoir la société, avec vos amis racistes, est trop monstrueuse pour qu’un déguisement de circonstance puisse le faire oublier à ceux d’entre nous qui ne sont pas abrutis par vos amis milliardaires et les médias qu’ils se sont payés pour fabriquer l’opinion publique. Même si la démocratie actuelle n’a pas grand chose de démocratique dans les faits, ce n’est certainement pas le fascisme qui va améliorer les choses et nous rapprocher de l’utopie résumée dans la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Ceci étant dit, l’essentiel est ailleurs.
Vous avez, une fois de plus, fait référence à la Grèce antique et ce n’est pas par hasard.
En effet, la Grèce antique est une référence majeure dans toute l’extrême-droite depuis de nombreuses années, et ce, sur la base d’un contresens également. De l’Institut Iliade au Cercle Aristote et du G.R.E.C.E. à la nouvelle Acropole, les cercles de réflexion de l’extrême-droite se sont toujours servis du prétendu « miracle grec » pour tenter d’occulter l’origine africaine de l’humanité et la déplacer en Europe.
Pourtant, que cela vous plaise ou non, nous sommes tous les enfants de l’Afrique, depuis la préhistoire jusqu’à l’essor des sciences et techniques. Notre berceau commun ne se trouve pas en Europe, mais quelque part entre l’Éthiopie, la Tanzanie et le Kenya. Beaucoup plus tard, ce n’est pas en Europe, mais au Proche-Orient et au Moyen-Orient que l’humanité a développé l’agriculture, dans une région surnommée « le croissant fertile » qui traverse l’actuelle Syrie, mais aussi la Palestine et Israël, l’Irak et l’Iran, en passant par le sud de la Turquie. En ce temps-là, nos prétendus « ancêtres les Gaulois » ne formaient en réalité ni un peuple unique, ni une entité politique organisée et encore moins un sommet du progrès de l’humanité, contrairement à ce qu’ont longtemps prétendu certains manuels scolaires, notamment durant le régime de Vichy.
Pire encore : votre mythe du génie grec antique est un contresens complet des causes réelles de cette époque inventive.
Les Grecs de l’antiquité étaient des voyageurs, des marins et des marchands qui commerçaient avec de nombreuses cités du pourtour de la Méditerranée et les chercheurs parmi eux étaient partis jusqu’à Babylone et en Egypte pour découvrir et rassembler les savoirs de leur temps. Cet essor n’a donc rien de miraculeux : il est le produit du métissage, de la rencontre, à l’inverse du repli sur soi que vous professez. Vous ne connaissez donc rien à l’histoire de Pythagore, par exemple, ni à la naissance de Marseille, cette ville que votre camp déteste et qui est précisément l’un des exemples de ce magnifique métissage, depuis sa fondation, il y a 2600 ans, lors de la rencontre pacifique puis l’union amoureuse de la belle autochtone Gyptis et du voyageur grec Protis, venu de Phocée en Ionie.
Il est également suspect de présenter la démocratie athénienne comme un modèle de société. Les fameux « citoyens libres » qui, selon vous, « décidèrent de se gouverner eux-mêmes » étaient en réalité une infime minorité. Est-ce précisément le type de société dont vous rêvez, Monsieur Bardella ? Une société de classe, patriarcale, fondée sur la préférence identitaire et sur l’esclavage des trois-quarts de la population ? Certes, l’idée de démocratie commençait à apparaitre : un germe pour reprendre le terme de Cornélius Castoriadis. Mais ce n’était qu’un début, un balbutiement, une pierre fondatrice pour penser ensuite tout le reste, au fil des siècles, en particulier l’égalité sociale, la liberté absolue de conscience et, ce que certains révolutionnaires appelaient parfois la république universelle, pour en finir avec toutes les guerres.
Dans les faits, la démocratie athénienne que vous évoquez n’était donc ni un miracle dans sa genèse ni la panacée dans son fonctionnement. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil sur certaines des conditions nécessaires pour accéder au statut de citoyen « à Athènes il y a 25 siècles » : être de sexe masculin, avoir ses deux parents athéniens, être né d’une union légitime, avoir 20 ans, ne pas être un esclave… Bref, la seule chose qui peut justifier votre glorification tronquée de la cité athénienne antique, c’est votre vision inégalitaire, égoïste et chauvine de la société.
Pour la même raison, votre camp politique ne cite jamais les fulgurants progrès de l’idée démocratique dans des lieux et des moments historiques postérieurs à la Grèce antique, comme la Commune de Paris, l’Espagne de 1936 ou encore les nombreux espaces autogérés dans la Grèce actuelle et dans d’autres régions du monde où l’utopie tente de devenir réalité : horizontalité, diversité, entraide, intelligence collective, refus des discriminations.
La Grèce ne vous intéresse qu’au passé : mythifiée, déformée, tronquée. Pour mieux servir votre double objectif de déguisement démocratique et d’effacement de l’origine africaine de l’humanité.
Méfiez-vous en faisant cela, Monsieur Bardella. En évoquant ainsi la Grèce antique, vous rappelez ce que les Athéniens faisaient à l’époque sur le plan juridique : la corruption tout comme l’offense envers la démocratie entraînaient au minimum la déchéance de la citoyenneté et l’ostracisme. Si l’on revenait au fonctionnement de cette époque que vous prétendez dorée, Madame Le Pen et vous-même seriez probablement déchus de votre nationalité, puis chassés définitivement du pays. Autrement dit, vous subiriez exactement le calvaire que vous souhaitez pour les migrants et certaines personnes originaires d’autres régions du monde.
Par conséquent, il serait plus judicieux de vous taire. Car, non seulement vous avez tout faux concernant la Grèce, mais, en plus, vous ne faites que propager des idées qui pourraient se retourner contre vous.
Yannis Youlountas
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