
Le ministre de l’intérieur, en pleine campagne pour la présidence de LR, a mis deux jours avant de se rendre à Alès, près de La Grand-Combe, petite ville du Gard où un jeune homme a été sauvagement tué vendredi à la mosquée. Le meurtrier, toujours recherché, a tenu des propos islamophobes.
Dimanche après-midi, le président de la République Emmanuel Macron s’est enfin exprimé : « Le racisme et la haine en raison de la religion n’auront jamais leur place en France. La liberté de culte est intangible. » Il aura été plus prompt à condamner l’attaque à la voiture-bélier à Vancouver, au Canada… Le premier ministre François Bayrou avait été le premier à mettre les mots, tard dans la soirée de samedi, parlant de « l’ignominie islamophobe […] exhibée sur une vidéo ». Mais voilà tout.
L’attitude du ministre de l’intérieur, chargé des cultes, Bruno Retailleau, est encore plus édifiante.

Dimanche après-midi, après plusieurs heures de flottement, il a finalement décidé de se rendre sur place, promettant « la plus totale solidarité du gouvernement » face à cet « acte ignoble ». « La piste d’un acte antimusulman n’est pas négligée, bien au contraire. Il est hors de question de tolérer ce genre d’acte dans une société hyperviolente », a-t-il déclaré.
Bruno Retailleau a cependant boudé la marche blanche organisée au même moment à La Grand-Combe, se contentant d’entretiens à la sous-préfecture d’Alès. Officiellement pour « ne pas la perturber ». Aucun représentant de l’État n’était présent lors de cette manifestation – hormis certains élus locaux, notamment de gauche, et deux député·es insoumis·es, Raphaël Arnault et Nathalie Oziol.
Le ministre s’était jusque-là contenté d’un simple message sur les réseaux sociaux, qualifiant la mort du jeune homme, un Malien âgé d’une vingtaine d’années installé dans le Gard depuis plusieurs années, d’« épouvantable » et assurant « [s]a solidarité à la communauté musulmane ». Mais pas au point de se déplacer. Vendredi, il animait en Savoie un meeting de campagne dans le cadre de l’élection du président de son parti, Les Républicains (LR), et samedi, il participait aux obsèques du pape François.
Bruno Retailleau n’a pas davantage dépêché le préfet sur place. « Les fidèles sont un peu déçus que le préfet ne se déplace pas pour leur apporter son soutien et les rassurer », a déploré le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et recteur de la mosquée Sud-Nîmes, Abdallah Zekri.
Une déception d’autant plus forte qu’elle se mêle à la peur : selon le procureur de la République d’Alès Abdelkrim Grini, l’auteur de l’attaque, activement recherché, est « potentiellement extrêmement dangereux ». Le ministre de l’intérieur a annoncé dimanche un renforcement des mesures de sécurité autour de toutes les mosquées de France.
Dans « les propos décousus » que le jeune homme tient dans la vidéo qu’il a lui-même réalisée vendredi juste après son meurtre, face à sa victime agonisante, il semble en effet « manifester son intention de recommencer », avait précisé samedi soir le magistrat à l’AFP.
Dans la même vidéo, le meurtrier se félicite de son acte et insulte la religion de sa victime : « Je l’ai fait, […] ton Allah de merde », dit-il à deux reprises.
Le retard du gouvernement
La chronologie est importante : vendredi, le procureur avait propagé une fausse information, celle d’une agression entre fidèles de la mosquée. Reprise largement par de nombreux médias, elle était déjà contestée par les témoignages recueillis sur place, notamment par la presse locale, dont Midi libre. Les éléments matériels ont ensuite balayé cette version : les images de la vidéosurveillance de la mosquée et celles prises par l’auteur de l’attaque lui-même.
Dès samedi matin, Le Parisien révèle les propos islamophobes tenus par le meurtrier. L’AFP embraye. Le procureur de la République confirme : ouverte pour homicide vendredi, l’enquête évoque depuis samedi un assassinat, soit un meurtre avec préméditation, avec « 40 ou 50 coups de couteau », et la piste d’un crime « raciste et islamophobe » est officiellement sur la table.
Il reste bien sûr des zones d’ombre. Les éléments officiellement communiqués sur le meurtrier sont pour l’instant peu nombreux : prénommé Olivier, né à Lyon en 2004, cet homme de nationalité française, issu d’une famille bosnienne, a une partie de sa famille dans le Gard. Il était jusque-là « sous les radars de la justice et n’avait pas fait parler de lui », d’après le procureur.

Dimanche, Abdelkrim Grini a également indiqué que « la piste d’un acte à connotation antimusulmane est privilégiée mais elle n’est pas la seule », expliquant que le « mobile musulman n’était pas forcément premier ». De son côté, le Parquet national antiterroriste (Pnat) n’a pas encore indiqué s’il se saisissait, ou non, du dossier, ce que demandent les avocat·es de la famille d’Aboubakar Cissé, Sara Benlefki et Mourad Battikh.
« Aboubakar, pour nous, a été victime d’un attentat terroriste », a indiqué son cousin Ibrahim Cissé, au Parisien. Avant de mentionner l’islamophobie ambiante : « On a vu le climat se dégrader ces cinq, dix dernières années. […] Ma mère, par exemple, qui porte le voile, a peur de se faire agresser dans la rue. Aujourd’hui, on voit que des gens passent à l’acte, comme cela a pu être le cas pour d’autres religions. »
L’emballement
La précipitation politique et médiatique sur des drames de ce type est parfois catastrophique. Les ministres disent souvent n’importe quoi. Bruno Retailleau le sait bien.
L’an dernier, il avait inventé une « rixe entre bandes rivales » qui aurait impliqué « entre 400 et 600 personnes » à Poitiers (Vienne). Cette semaine, il s’est précipité à Nantes (Loire-Atlantique), où un adolescent a tué une de ses camarades de lycée et blessé trois autres, jeudi, évoquant un « besoin d’autorité », alors que le jeune était « suicidaire » et avait une « fascination pour Hitler », selon le procureur.
Le contraste est frappant avec La Grand-Combe : pourquoi un tel silence quand un fidèle est sauvagement attaqué dans un lieu de culte ? Pourquoi une telle prudence quand les propos tenus dans les vidéos sont, à eux seuls, condamnables ? Sans se précipiter ni dire n’importe quoi, dénoncer l’islamophobie des insultes du meurtrier dès samedi midi était évidemment possible…
Mais le gouvernement, on le sait, a fait des musulman·es une de ces cibles politiques préférées (sur le voile dans le sport, l’immigration, etc.). C’est aussi le sujet préféré de la campagne pour la présidence de LR qui oppose Laurent Wauquiez à un certain… Bruno Retailleau.
L’indignation à gauche
« Le silence ministériel sur le caractère islamophobe de ce meurtre est une faute grave, d’autant plus dans le contexte de hausse constante des actes racistes, xénophobes et antimusulmans », a réagi dimanche la Ligue des droits de l’homme (LDH).
Même tonalité pour le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, sur France Info : « M. Retailleau s’est précipité à Nantes pour raconter à peu près n’importe quoi lorsqu’il y a eu un crime abominable il y a quelques jours. Mais en tant que ministre des cultes, lorsque l’information [sort] que ce crime [à La Grand-Combe] est au moins en partie motivé par la haine envers les musulmans, il y a un silence assourdissant. »
Plusieurs personnalités de gauche, notamment chez les Insoumis et les écologistes, ont quant à elles appelé à un rassemblement à Paris, à 18 heures, en hommage à Aboubakar Cissé.
« L’islamophobie tue », a écrit Jean-Luc Mélenchon. Une formule utilisée aussi sur X par la présidente PS de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, Fatiha Keloua-Hachi. « À nourrir à jet continu la haine contre l’islam, certains ont bel et bien une responsabilité majeure dans les passages à l’acte contre des musulmans », a réagi l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem.
« La banalisation de l’islamophobie chez tant de médias et politiques met en danger la vie des musulmans », a également souligné sur les réseaux sociaux la cheffe de file des Écologistes Marine Tondelier.
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