
Chronique matinale
Les financiers du monde entier s’attendaient à un début de semaine un peu plus calme. Le recul du week-end était censé apporter un peu de réflexion à tout le monde, histoire de se reconstruire, de prendre de la distance. C’était sans compter Trump. Et sans compter la psychologie de marché. En me levant à 3h du matin (pour être sûr de ne rien rater), je tombe sur les premiers rapports de la nuit. C’est la panique. On reproche le fait qu’il n’y a pas eu « d’arrangement » sur les tarifs durant le week-end, Trump en rajoute une couche avec des mots dont il a le secret et le S&P500 ouvrira direct en Bear Market… 38 ans plus tard, le Black Monday est encore une fois parmi nous.
L’Audio du 7 avril 2025
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Du sang sur les murs et pas moyen de stopper l’hémorragie
Pour être franc avec vous, ce matin j’avais pour intention de revenir un peu sur ce qui c’était passé la semaine dernière, d’essayer de prendre les choses avec philosophie et se dire que c’était peut-être l’opportunité de « profiter de faire les soldes ». Je voulais revenir sur les chiffres de l’emploi qui étaient meilleurs que prévu vendredi dernier et je voulais aussi vous résumer le fait que Powell n’a rien apporté de plus, si ce n’est que pour l’instant – pour lui – il est important et urgent d’attendre. On dirait d’ailleurs qu’il applique la politique du Conseil Fédéral Helvétique. La discrétion à l’extrême. Jerome Powell a tout de même ajouté que : «Les hausses de tarifs vont être plus grandes que prévu, et leurs effets aussi : plus d’inflation, moins de croissance. ». En gros le patron de la FED nous a tranquillement parlé de Stagflation, puis il est reparti chez lui pour aller relire les mémoires de Paul Volcker, qui reste quand même le seul banquier central américain qui a dû faire face à une stagflation dans les années 70. Et le seul banquier central qui a dû monter les taux à 20% pour calmer l’économie et coller une balle dans chaque genou à l’inflation pour qu’elle se calme.
Mais en voyant les couleurs rouges de mon écran, j’ai compris que mon plan de vous raconter tranquillement ce qui s’est passé vendredi dernier n’allait pas suffire. Et allait même carrément être inutile, puisque ce qui se passait en cette fin de nuit et de ce nouveau début de semaine, n’avait rien à voir avec un lundi classique avec zéro volume où tout le monde s’emmerde en attendant les VRAIS CHIFFRES ÉCONOMIQUES de la semaine, en l’occurrence, cette fois c’est les chiffres du CPI qui sortiront jeudi. Autant vous dire que les chiffres de l’inflation – en ce lundi matin – provoquent à peu près autant d’intérêt que le score que Trump a fait au tournoi de golf auquel il a participé ce week-end. Non, nous sommes passés bien au-delà, puisque dès les premiers trades du future américain en ce dimanche soir, le ton était donné : nous étions de retour en 1987. Ce fameux lundi noir…
1987
On est en 1987, les marchés actions sont en pleine euphorie depuis deux ans. Le Dow Jones a gagné plus de 40 % entre janvier et août. Tout le monde est bullish à mort. Mais… sous la surface, il y a quelques fissures qui commencent à apparaître.
• Taux d’intérêt en hausse
• Craintes d’inflation
• Dollar sous pression
• Tensions entre les USA et l’Allemagne sur les politiques monétaires
• Et surtout : beaucoup trop de trading automatisé pour l’époque
Le lundi 19 octobre 1987, le Dow Jones perd 22,6 % en une seule séance. C’est, encore aujourd’hui, la plus grosse chute en % en un seul jour de toute l’histoire de Wall Street.
Pourquoi ça a explosé ?
• Les balbutiement des Program trading : des ventes automatiques déclenchées dès que certains seuils sont atteints — un effet domino incontrôlable.
• Un Effet panique : les investisseurs voient les machines vendre, donc ils vendent aussi. C’est le bordel total et personne ne comprend rien.
• Effet mondial : Tokyo, Londres, Paris… tout le monde suit. Le krach est global.
• Pourtant, il n’y avait aucune vraie nouvelle ce jour-là. Juste un effet de panique auto-alimenté.
Bizarrement, il n’y a pas eu de récession dans la foulée du krach de 1987, Alan Greenspan qui vient d’arriver à la FED intervient très vite, il ouvre le chéquier, il rassure les marchés avec le fameux : « La Fed agira si besoin » – certains pensent d’ailleurs que c’est la naissance du fameux PUT de la FED. Le marché mettra deux ans avant de revenir aux niveaux d’avant KRACH. En résumé, ce fût un krach brutal, sans raison fondamentale, déclenché par des algos primitifs et amplifié par la panique. Un choc mondial, mais une récession évitée grâce à une Fed réactive. Un avertissement précoce sur les dangers du trading automatisé… qu’on n’a pas vraiment écouté. Mais forcément quand on un environnement qui a la mémoire d’un poisson rouge, ça n’aide pas.
Mais pourquoi tu nous parles de ça ?
Alors vous allez vous demander pourquoi je vous parle de ça. Ça ne fait aucun sens, il n’y a aucune similitude, nous avons appris de nos erreurs en inventant les « stop trading » qui se déclenchent à partir d’un certain seuil et qui ferment les bourses pour nous laisser réfléchir et que finalement, la seule chose qui est pareil, c’est le fait que les taux soient « relativement élevés », pas en hausse mais on pourrait et on aimerait les voir plus bas. Ok, l’inflation est aussi un problème, comme en 87 et cette fois les USA ne sont pas fâchés avec l’Allemagne, mais juste avec le monde entier. Et puis c’est aussi un lundi. Je voulais donc juste remettre un peu de contexte, histoire que l’on sache de quoi on parle puisque l’on va inévitablement parler de lundi noir en ce lundi qui est plutôt très très rouge à l’instant où je vous parle.
Cette nuit, lorsque les futures américains ont ouvert, le S&P500 était en baisse de près de 5%. Si l’on fait le total depuis l’annonce des tarifs mercredi dernier, nous étions à 14.5% de baisse sur l’indice américain. Depuis ça ne fait que remonter. Mais là, à 4h23, nous sommes toujours en baisse de 2.65% sur le S&P500. Grosso modo, si on ouvre en-dessous des 4950, l’indice de référence sera en Bear Market. Trump est au pouvoir depuis 70 jours et nous sommes passés par de nouveaux records historiques et là nous sommes 20% plus bas. La volatilité semble donc être le maître mot de la présidence de Trump. Un peu comme il l’avait fait la première fois. La volatilité devrait atteindre les mêmes niveaux que lors de l’affaire du Carry Trade l’été passé. À savoir plus de 60%.
Mais alors, que se passe-t’il ?
Alors vous me direz ; oui d’accord mais qu’est-ce qui se passe pour que l’on panique autant que ça alors que globalement, il ne s’est rien passé et qu’il n’y a pratiquement rien de neuf au niveau des tarifs douaniers ? Eh bien justement, c’est pour ça. Entre autres. Il n’y a pas que ça, mais c’est une des raisons qui a allumé le feu : l’absence de nouvelle au niveau des tarifs. Lorsque nous avons bouclé la semaine au fond du trou vendredi dernier, tout le monde s’attendait à voir des mouvements pendant le week-end et pas uniquement des réponses du berger à la bergère. Les Chinois avaient déjà répliqué vendredi, les Européens sont en train de préparer la réponse, mais il n’y a rien de neuf dans tout ça, rien de positif si ce n’est que la guerre commerciale est en train de s’intensifier comme jamais. Non ! Ce que voulaient les marchés, c’était des annonces comme quoi « ça discutait » et que certains pays étaient déjà prêts à venir négocier avec Donald à Washington. Mais rien. Pas une photo, pas une carte postale, pas une demande de rendez-vous sur Calendly. La première bonne nouvelle c’est les Japonais qui ont annoncé qu’ils étaient pratiquement déjà dans l’avion pour Washington parce qu’ils VEULENT trouver un deal !!! Mais cette annonce s’est produite il y a une heure à peine. Juste après que le Nikkei ait ouvert en baisse de près de 9% et alors que la Chine semblait prête à plonger de 10% à l’ouverture et que les autorités de marché américaines, rappelaient qu’à « moins 7% » les marchés fermeraient pour 15 minutes. Qu’à « moins 13% » également et que si l’on atteignait les « moins 20% », les marchés américains fermeraient pour la journée. La bonne nouvelle, c’est qu’on est certais que le record de 22.6 % de baisse intraday atteint en 1987 ne sera pas battu aujourd’hui.
Mais alors pourquoi tant de haine et de peur sur les bourses mondiales ce matin ? La première raison c’est que rien n’a bougé ce week-end et qu’a priori, le monde merveilleux de la finance s’attendait à du mouvement. Trump est allé jouer au golf tout le week-end et globalement, il ne s’est rien passé et ça n’a pas plu aux marchés, mais ça n’était que le début. En début de soirée, alors que le Président de tous les Américains retournait chez lui, à la Maison Blanche, il a déclaré, alors qu’on lui demandait ce qu’il pensait du KRACH boursier en cours… Ah oui, parce que j’ai oublié de vous dire ; depuis hier soir, on ne parle plus de correction, de bear market ou de sell-off ; on parle de krach. C’est quand même bien plus Rock’n Roll.. Donc. Alors qu’on lui demandait ce qu’il pensait du KRACH boursier en cours, le Président a répondu :
« Je ne veux pas que les marchés baissent, mais il faut parfois prendre des médicaments pour se soigner ».
Ce qui sous-entend qu’il va peut-être falloir serrer les fesses un peu plus de 24 heures pour guérir l’économie américaine et la perception que les marchés en ont. C’est en tous les cas ce que les « experts à Wall Street » ont compris des paroles de Trump. Dans la foulée, il a également dit qu’il ne signerait pas le MOINDRE DEAL avec la Chine tant que le problème du déficit commercial entre les deux pays ne serait pas réglé, ce qui justifiait probablement la taule du marché chinois très tôt ce matin. À l’heure actuelle, le Hang Seng plonge de 9% et Shanghai recul de près de 6%. C’est le bain de sang. Il n’y a pas d’autre terme. Pendant un moment, il y a même l’or qui est passé sous les 3’000$, juste avant que l’on se rappelle que c’est à peu près la seule valeur refuge qu’il nous reste, vu que le Bitcoin est passé sous les 80’000 et se traite actuellement à 78’000$. Le pétrole est à 60$ et personne ne voit le bon côté des choses : avec le prix de l’essence qui va baisser, ça va bientôt coûter moins cher de rouler avec un V8 bi-turbo, plutôt qu’avec une voiture électrique fabriquée par Elon Musk. Sans compter que socialement parlant, c’est tellement moche de rouler en Tesla que le choix va s’imposer de lui-même !
Mais alors que faire
Bon. On est en train de se faire laminer dans les marchés. C’est la panique, le lundi noir, la volatilité s’envole et on va tous mourir. Pas tout de suite, je vous rassure. Pour certains Trump est en train de détruire l’économie mondiale et ce qu’il fait se rapproche de la folie furieuse, mais néanmoins, selon un sondage effectué sur « X », 57% des Américains approuvent la stratégie de Trump, je pense que le sondage a été fait parmi des Américains qui n’ont pas de portefeuille boursier, sinon j’imagine que la réponse serait un poil différente. Je ne prendrai pas position parce que pour être honnête, je n’en ai aucune idée. La seule question qui se pose ce matin, c’est de savoir ce qui DOIT se passer pour que les choses se calment et que l’on revienne un peu à la raison. Il n’y a pas de solution miracle – Bill Ackman, Hedge Fund Manager de profession, milliardaire par passion et fervent soutien de Trump, appelle le Président à mettre ses tarifs sur pause pendant 90 jours, histoire de laisser le reste du monde venir négocier à Washington. Ça serait effectivement un début de solution qui pourrait soulager les marchés boursiers. On a besoin de voir les choses avancer pour ne pas continuer à croire que le couteau va continuer de tomber à coup de 6% par jour. On sait tous que les marchés offrent un support très solide au niveau de zéro et qu’il est peu probable que les indices commencent à traiter en négatif, mais comme visiblement on a réussi à le faire sur le baril à l’époque, on n’a pas forcément envie d’aller vérifier.
Mais autrement, l’autre question qui se pose est de savoir à quel moment il faudra venir remettre les pieds dans le marché. Et s’il faut le faire. Avec un peu de rationalité, on sait que ça finit toujours par remonter – même le Japon a battu des records historiques après plus de 30 ans de disette, il y a donc toujours des raisons d’espérer. Aujourd’hui, la panique dans laquelle nous sommes ressemble fortement à de la CAPITULATION. Ce mot magique que l’on cherche lors de chaque correction boursière. Lorsque la volatilité explose, lorsque plus personne ne sait quoi faire et que tout le monde veut juste liquider toutes ses positions pour ne plus avoir besoin de subir cette couleur rouge qui fait mal aux yeux jour après jour. C’est cette zone-là très précisément que l’on va commencer à chercher. Une volatilité qui approche les 80%, des théories catastrophistes qui viennent de tous les côtés et les médias « mainstream » qui se foutent totalement de ce qui se passe sur les marchés boursiers le reste de l’année, mais qui se réveillent quand ils sentent l’odeur du sang. Oui, parce que c’est quand même plus vendeur quand tout va mal que quand tout va bien. Personnellement, je mesure le fond du trou, lorsque la Radio ou la Télévision Suisse me téléphone pour savoir ce que je pense de ce qui se passe. Ça a toujours plutôt pas mal fonctionné et en tout dernier ressort, je prends le taxi. Si le chauffeur a une opinion sur le KRACH boursier en cours, j’achète.
Black Monday
Voilà, nous sommes donc en mode Black Monday et il n’y pas UNE NOUVELLE macro qui a passé le filtre. Pas une nouvelle tout court. Rien ne se passe nulle part dans le monde qui est plus digne d’intérêt que le Krach du moment. Pourtant, cette semaine il y aura quand même le CPI. Mais peu importe le chiffre, tout le monde dira que c’est irrelevant étant donné ce qui se passe dans l’économie. Et puis, comme personne n’en parle, on notera qu’en fin de semaine, on aura les chiffres trimestriels des banques et que ça sera officiellement le début de la saison des résultats. Je sais bien que tout le monde s’en fout, mais quand même, JP Morgan, qui publiera ses chiffres le 11 avril, a tout de même perdu 25% depuis le 20 février – alors je veux bien croire que les tarifs c’est la merde, mais quand même. Lors des chiffres du trimestre précédent, on nous disait que si on n’avait pas de bancaires on était profondément débile, et là 30% plus bas, on est quoi ???
Bref, tout ça pour vous dire que ce matin on peut parler de tout ce qu’on veut, faire tous les scénarios que l’on veut, il suffira d’une nouvelle comme quoi Xi-Jinping qui prend l’avion pour Washington ou d’un moratoire de 30 jours pour les tarifs pour que le vent change de direction à la vitesse de la lumière. J’ai comme l’impression qu’on n’a pas fini de rire, mais une chose est sûre, pour moi, la bonne nouvelle c’est que si on est de retour en 1987, j’ai de nouveau 16 ans, oui parce que j’étais déjà dans une banque en 87 et il y avait déjà de gens qui venait réclamer leur argent au guichet, en pleine panique. J’ai presque l’impression que la boucle est bouclée ce matin. Pourtant, c’est simplement un nouveau chapitre qui s’ouvre.
À ce stade de la chronique, j’aimerais vous souhaiter un très bon lundi et un très bon début de semaine, mais je ne suis pas certain que ça soit très approprié. Pour le moment – à 5h45, les futures américains sont en baisse de 3.5%, Shanghai plonge de 6.5%, le Hang Seng se rétame de 11% et le Japon est en baisse de 6.8%. Le Nikkei a perdu 23% depuis le 1er février et nous sommes de retour au même niveau qu’en pleine crise du Carry Trade, mais au moins j’étais en vacances. En attendant, Nvidia devrait ouvrir en baisse de 9% et dorénavant les marchés US ont effacé 13’000 milliards de market cap. Dire que dans ma vidéo du week-end je ne parlais que de 11’000 milliards.. Tout va trop vite.
Bonne chance pour cette journée qui pourrait rester dans les annales – on notera quand même que selon le Stock Almanach, depuis les années 50, il n’y a eu que trois occasions où le S&P500 a subi une baisse de plus de 10 % sur deux jours : octobre 1987, novembre 2008 et mars 2020 – reste plus qu’à espérer qu’avril 2025 ne soit pas le prochain sur la liste.
On se voit demain pour avoir la réponse !
Thomas Veillet
Investir.ch
« Be fearful when others are greedy, and greedy when others are fearful. »
Warren Buffet
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