
23 avril 2025
Monsieur D., J’ai récemment pris connaissance du rapport d’enquête de l’IGPN concernant les faits de la nuit du 18 au 19 août 2022 où mon fils Adam a croisé votre route et a perdu la vie. Il était le passager d’une voiture signalée volée dont le conducteur, R., est également décédé (quelques heures plus tard) sous vos tirs répétés (8 à vous seul) en direction de la tête et du thorax.
Monsieur D.,
J’ai récemment pris connaissance du rapport d’enquête de l’IGPN concernant les faits de la nuit du 18 au 19 août 2022 où mon fils Adam a croisé votre route et a perdu la vie.
Il était le passager d’une voiture signalée volée dont le conducteur, R., est également décédé (quelques heures plus tard) sous vos tirs répétés (8 à vous seul) en direction de la tête et du thorax.
Avant tout je veux vous dire que je respecte la police républicaine sans laquelle nulle démocratie n’est possible. Et je pense que les policiers ne sont pas là pour se faire rouler dessus ou subir quelque violence que ce soit.
Le besoin de vous écrire m’a saisie à la lecture consternante du rapport d’enquête de l’IGPN, révélant un contenu indigent et malhonnête. Je m’adresse à vous parce que, après bientôt trois ans d’instruction, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé. Tout le monde ment autour de vous, nous en avons fourni des preuves ; vous êtes le seul à savoir la vérité du déroulement et du pourquoi des faits. Et une chose est sûre, c’est qu’aucune preuve de la légitimité de vos tirs n’a été apportée. Pour autant l’enquête conclut sans ambages que vous avez fait usage de votre arme dans les conditions légales.
Il faut dire monsieur D. que vous êtes très bien protégé :
- Par l’Administration, qui, à notre connaissance, ne vous a infligé aucune sanction.
- Par l’Institution policière et vos collègues bien sûr, dont les déclarations contradictoires se heurtent à des éléments objectifs du dossier.
- Par l’Institut médico-légal qui vous a octroyé une ITT de 2 jours (c’est peu certes) alors que lors de votre passage aux urgences à la suite des faits aucun médecin n’a jugé utile de vous prescrire un arrêt de travail. Ce même IML qui m’a remis le corps d’Adam avec une longue mèche de cheveux lui entravant le visage, laissant penser qu’il avait été transbahuté d’un brancard à un autre sans qu’on le touche.
- Par les experts balistiques (ancien policier ou gendarme en service) qui dans leur mission de faire advenir la manifestation de la vérité, n’ont eu d’autre but que de rendre crédibles vos déclarations.
Vous êtes protégé et cela doit vous soulager et soulager votre famille.
En réalité, vous n’êtes pas une exception ; dans les cas d’homicides suite à « refus d’obtempérer », les rouages du système sont parfaitement huilés, et la police opère toujours de la même manière :
- Ne pas informer les familles mais plutôt la presse afin de maîtriser la communication.
- Criminaliser et déshumaniser les victimes : dès 8H30 le 19 août le ministre de l’Intérieur G. Darmanin annonçait à la presse que les deux jeunes étaient très défavorablement connus des services de police et il vous apportait tout son soutien sans ambiguïté. Jérémie Bréaud, maire de Bron, déclarait dans Le Progrès du 20 août 2022 : L’affaire de Vénissieux est un drame. Le drame qui a causé certes la mort d’un homme mais avant tout d’un voyou prêt à tuer des policiers.
Adam était connu des services en raison de plusieurs infractions sur la possession et la consommation de cannabis. On lit dans Le Progrès du 20 août que son casier judiciaire était toutefois vierge.
Une dernière tentative de criminaliser Adam a été de vérifier rapidement qu’il n’était pas impliqué dans le vol de la voiture. En vain.
En plus de criminaliser les victimes, on leur nie toute humanité. Elles sont abattues sur la voie publique, par des forces de l’ordre, et on ne prend pas le soin élémentaire de prévenir les familles… Comme s’il s’agissait de chiens errants. Je n’ai donc appris la Perte que le 19 août au soir presque 24 heures après les faits, par le voisinage.
A ce moment-là, vous étiez rentré de garde à vue, dans votre foyer.
Monsieur D, vous êtes bien protégé ; vous obtenez le statut de témoin assisté alors que l’utilisation de votre arme dans le cadre de la légitime défense n’a pas été démontrée alors que le droit l’exige (encore), et que de surcroît, des circonstances aggravantes contenues dans le dossier ne sont à aucun moment évoquées par les inspecteurs de l’IGPN qui n’agissent décidément pas dans le sens de la manifestation de la vérité.
En outre il y a toutes les déclarations mensongères de vos coéquipiers dont l’un, je le rappelle, a tiré 3 balles sans hésitation (alors que vous étiez prétendument sur le capot, sans craindre de vous toucher !!!). Celui-ci n’a pas du tout été inquiété du fait qu’il n’a touché personne alors que l’une de ses balles est restée figée dans l’appui-tête d’Adam : mort d’une balle dans le thorax ou de deux, une dans le thorax et une dans la tête, cela fait-il une différence ?
Vous êtes bien protégé, vous pouvez dormir tranquille.
Quoique, non, sans doute ne dormez-vous pas toujours très bien. Sans doute n’êtes-vous pas très heureux. Votre vie aussi a basculé cette nuit-là.
Certainement la vision d’Adam convulsant avant de rendre son dernier souffle doit s’imposer à vous quelquefois. Ce jeune passager dont la carte d’identité a disparu alors qu’il ne sortait jamais sans. J’imagine que vous l’avez détruite, ou vos collègues, car la photo était celle d’un garçonnet ; je conçois que cela soit insoutenable.
Finalement, vos amis ne peuvent pas vous protéger de tout. Ils peuvent nier l’éthique, le droit, la morale, manipuler des preuves, mais ils n’empêcheront pas votre conscience de vous tourmenter. Les familles ne sortent jamais indemnes de ces affaires-là.
Vous avez commis un double homicide. Un double homicide. Vous pourriez décider de dire la vérité, les circonstances qui vous ont mené là. Vous feriez honneur au corps de la police républicaine et vous permettriez peut-être une prise de conscience du traitement insupportable que subissent certains de nos concitoyens.
Je vous écris comme je jetterais une bouteille à la mer.
J’ai perdu mon fils unique, l’essentiel.
Je le sais désormais paisiblement endormi, à l’abri des violences et des haines.
Mais je ne peux m’empêcher de penser à tous les autres.
Fatiha,
Avec le soutien du collectif Vérité pour Adam dont des signataires sont :
Annie Ernaux, écrivaine ; Patrick Chamoiseau, écrivain ; Arthur Harari, cinéaste, scénariste, comédien ; Cédric Herrou, militant associatif ; Léla Bencharif, chercheuse en sciences sociales ; Bernard Bolze, militant associatif ; Marylène Cahouet, syndicaliste ; Abdellatif Chaouite, écrivain ; Rosario Elia, syndicaliste ; Bruno Guichard, militant associatif ;Julien Hage, historien ; Philippe Hanus, historien ; Nadia Larbiouene, metteure en scène, comédienne ; Cécile Oumhani, écrivaine ; Hervé Paris de la Bollardière, chercheur en sciences sociales ; Dominique Raphel, militant associatif ; Eric Pellet, réalisateur et artiste ; Paul Alliès, universitaire ; Thierry Renard, écrivain ;Jean-Paul Schmitt, militant associatif ; Philippe Carry, L’Horloger de Saint-Paul ; Gilles Luquet, militant associatif ; Bernard Lamizet, sémiologue.
hecate05@orange.fr
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