2005-2025 : l’héritage du Non au TCE vingt ans après.

Par aplutsoc le 1 juin 2025

Le 29 mai 2005, voici vingt ans, les électeurs de France, par 54,68% des voix contre 45,32%, sur 69,36% de suffrages exprimés, disaient Non au Traité Constitutionnel Européen (TCE), pourtant plébiscité par le pouvoir en place et, massivement, présenté dans les médias comme la seule voie possible du progrès contre les « rancœurs » et autres « incompréhensions ».

Cette claque démocratique infligée aux couches dominantes l’a été, il est essentiel de le rappeler et de le comprendre, par la gauche. Car, si des courants de droite, principalement le Front National qui avait, pour la première fois, accédé au second tour d’une élection présidentielle trois ans avant, permettant ainsi une réélection autant plébiscitaire qu’inattendue à Jacques Chirac, ont appelé à voter Non, ce qui a fait la différence, par exemple avec le référendum de 1992 sur le traité de Maastricht (51,04% de Oui), c’était le « Non de Gauche », porté par un grand mouvement d’auto-organisation, de discussions dans les quartiers et les communes, et d’unité entre courants politiques, unité fondée à la base, non sur la défense de l’impérialisme français, mais sur l’aspiration à la démocratie, à la fin du mépris, et à une Europe que l’on appelait « sociale » ou « des peuples ».

Triple refus :

  • du traité constitutionnel renforçant des institutions communes aux États membres, toujours plus éloignées, technocratiques et antidémocratiques ;
  • du président de la V° République Jacques Chirac dont le plébiscite de 2002 que lui avait procuré Le Pen était effacé ;
  • et du capitalisme que le TCE prétendait ériger en valeur « constitutionnelle » sous le nom trompeur de « concurrence libre et non faussée » et dans de nombreux articles n’ayant rien à faire dans un texte se voulant « constitutionnel ».

Triple aspiration portée par ce triple refus :

  • à la démocratie pour chaque nation européenne et dans leur libre association ;
  • à la démocratie en France contre la V° République ;
  • à la justice sociale.

C’est le Non de gauche qui a fait la différence.

Aujourd’hui, 20 ans après, divers courants politiques ayant alors milité en ce sens commémorent l’évènement en condamnant la manière dont le suffrage populaire a été invisibilisé, nié, en décembre 2007, par la signature du traité de Lisbonne qui reprenait, non pas la totalité comme Nicolas Sarkozy l’a alors prétendu pour s’en vanter, mais la partie institutionnelle proprement dite, du TCE rejeté en 2005.

Légitime condamnation, mais rares sont ceux qui expliquent vraiment comment cela s’est passé.

Le Non de 2005 n’a pas été un sursaut isolé, il s’est au contraire inscrit dans des processus de lutte sociale affrontant le gouvernement Chirac/Raffarin, puis, après le référendum, Chirac/De Villepin : poussée vers la grève générale en défense des retraites et de la fonction publique d’État en 2003, vague d’émeutes de la jeunesse dite « de banlieue » suite à l’assassinat policier de deux jeunes fin 2005, explosion de la jeunesse imposant l’unité syndicale complète contre le « Contrat Première Embauche » (CPE) et contraignant Chirac à ne pas l’appliquer, en 2006. Ces grandes secousses auraient pu et dû avoir une représentation politique dont le Non de gauche était précisément, comme aujourd’hui le NFP, la base possible et nécessaire.

Jean-Luc Mélenchon, Christiane Taubira, José Bové, Marie-George Buffet, Francine Bavay, Olivier Besancenot et Gisèle Halimi. Paris, le 21 mai 2005. © Photo Jean-Pierre Muller / AFP

La force motrice du Non de gauche, ce qui avait fait de lui l’irruption de la nouveauté ouvrant le champ des possibles, avait été le « Non socialiste », en fait majoritaire à la base et dans les rangs du PS et soulevant l’enthousiasme bien au-delà. Or, ses principaux représentants, tel Henri Emmanuelli, ont pris peur de leur propre succès et, à quelques exceptions près (Marc Dolez, Gérard Filoche, Arnaud Montebourg) se sont ralliés à la « synthèse » au congrès socialiste du Mans, en novembre 2005. Non, ils ne se sont pas ralliés : ils ont réalisée et imposée « la synthèse ». C’est là que la représentation politique par la gauche des aspirations démocratiques majoritaires a été bloquée.

Dans cette opération, un rôle particulièrement important revient à J.L. Mélenchon. Celui-ci avait été un grand porte-parole du Non de gauche mais il avait refusé de faire trop souvent estrade commune avec le « Non socialiste », mettant en avant sa propre personne : pas de badges « Non socialiste » avec lui, mais son portrait et le mot « Non ». La compulsion présidentialiste l’animait déjà. Et, en lien étroit avec Laurent Fabius, c’est lui qui a joué le rôle décisif pour la synthèse du congrès du Mans, ne voulant surtout pas que le mouvement démocratique de 2005 se poursuive sous la forme d’un processus constituant imposant, si Chirac délégitimé parvenait pourtant à rester en place, une candidature le représentant, et non pas une candidature de Sauveur suprême, en 2007.

Le résultat de la « synthèse » fut la candidature populiste endossée par le PS de Ségolène Royal, figure du Oui battu au TCE, fermement soutenue par J.L. Mélenchon lié par une vieille complicité avec elle – encore, fin 2023, il avait été question d’en faire la tête de liste pour LFI aux élections européennes !

Et Ségolène Royal a conduit à l’élection de Nicolas Sarkozy, lequel drainait une large partie des voix du FN. Et la première chose que fit Sarkozy président fut la rédaction et la ratification du traité de Lisbonne. Voilà comment ça s’est passé !

On voit à quel point la mémoire des faits est importante au regard des grandes similitudes existant entre cette période et le moment actuel !

Mélenchon quant à lui, qui aurait pu « rompre » avec la direction du PS dans un cadre collectif et aller vers une victoire contre Sarkozy, que le candidat eût été lui-même ou un autre, après avoir été la cheville ouvrière principale de cette opération, rompra quand même, à froid, de façon à tout contrôler, en 2009.

La triple aspiration de 2005 est bien entendu toujours là.

Elle s’est manifestée dans les mouvements de résistance aux plans d’austérité imposés du Portugal à la Grèce en passant par l’Irlande, l’Espagne et l’Italie, lors de la crise de la dette soi-disant « publique » en 2011-2013.

Elle est arrivée par où on ne l’attendait plus, car mal comprise à l’Ouest la « gauche » faisant la sourde oreille, quand la nation ukrainienne refusant d’être recolonisée par l’impérialisme russe a bruyamment frappé à la porte européenne à partir de 2013 et du Maïdan.

Elle a éclaté quand, le 5 juillet 2015, le peuple grec disait Non à 61,31% au maintien à tout prix dans l’eurozone (retraite à 67 ans, TVA à 23%, misère et chômage), mais que, dès le lendemain, le gouvernement Tsipras, se prétendant conforté par ce résultat, annonçait qu’il acceptait toutes les conditions de la Commission européenne : incroyable déni de démocratie, alors que la véritable union des peuples cherchait à se construire en soutien à la Grèce !

En 2016, la manœuvre du gouvernement conservateur du Royaume-Uni, visant à semer la confusion pour faire reculer la renaissance du Labour Party comme parti de la classe ouvrière, réussissait au-delà du but recherché : le Brexit l’emportait.

L’ensemble de ces évènements ont clairement montré que la triple aspiration démocratique, européenne et anticapitaliste de 2005 ne peut être satisfaite ni dans le cadre des institutions actuelles de l’Union Européenne, issues des traités de Maastricht et de Lisbonne, ni par la voie du souverainisme anti-européen, mais par celle de l’internationalisme, à l’échelle de tout le continent et donc au-delà des limites de l’UE vers l’Est et vers le Sud.

Depuis le 24 février 2022, la revendication ukrainienne d’adhésion immédiate à l’UE, totalement impossible dans le cadre du respect des critères économiques et sociaux de Maastricht et de Lisbonne, met de fait en cause le cadre existant de l’UE. Les courants politiques qui la combattent au nom de la souveraineté française, voire au nom des intérêts des gros patrons de la FNSEA déguisés en « pauvres paysans », ne sont pas dans la continuité de la triple aspiration de 2005, mais lui tournent le dos.

Aujourd’hui, l’Axe néofasciste Trump/Poutine prend à la gorge les impérialismes européens. L’Allemagne, première puissance économique, seule véritable puissance industrielle mondiale sur le continent, se voit acculée à l’affirmation politique et militaire budgétairement coûteuse, à moins de s’aligner sur les exigences de Trump et de Poutine. Le Royaume-Uni n’est pas devenu l’étoile jumelle de Wall Street que le Brexit devait faire de lui, bien au contraire. La France s’effrite voire s’effondre en Afrique, et s’accroche à sa bombe atomique ainsi qu’à ses Zones Économiques Exclusives que lui procure son « outremer », pour rester une puissance impérialiste. Et l’Italie tente d’exister en se faisant le bon petit soldat de l’Axe Trump/Poutine.

Les discours, du PCF à « Révolution permanente » en passant par LFI, qui ne dénoncent pas, surtout pas, l’Axe néofasciste Trump/Poutine, mais une bien pâle « internationale réactionnaire » menée par un impérialisme américain éternel, et qui dénoncent le « réarmement européen » comme étant la menace principale aujourd’hui, sont les relais de l’ordre-désordre de la multipolarité impérialiste, concentrée dans l’Axe Trump/Poutine. Ils sont donc les relais de la domination des peuples, celle-là même qui voulait nous faire voter Oui en 2005 !

Car, comme Macron, Merz et Starmer le disent eux-mêmes à leur façon, l’Axe Trump/Poutine menace l’Europe sur deux fronts. Mais leurs intérêts propres et les fondements capitalistes et anti-démocratiques de leurs institutions bloquent le fait de réagir jusqu’au bout à cette menace. Au contraire, l’internationalisme aujourd’hui peut et doit se recomposer en empêchant l’annihilation de l’Ukraine et celle de la Palestine, en défendant les droits des migrants en Europe comme en Amérique du Nord, en défendant l’État de droit et, pour cela, en passant de la défensive à l’offensive pour la démocratie. C’est ainsi que les peuples européens, unis par la lutte commune contre l’oppression, peuvent affronter, y compris militairement, l’Axe Trump/Poutine en aidant les peuples de Russie et d’Amérique à les renverser.

C’est cela, et c’est seulement cela, la continuité, l’héritage, du Non, du Non de Gauche, du Non socialiste, de 2005 !

VP, le 1° juin 2025.

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