
La Géorgie accélère sa poutinisation, les libertés fondent comme neige au soleil noir de Moscou.
Avis sans frais, la Géorgie aujourd’hui, cela préfigure peut-être la France sous emprise lepéniste… On laisse venir ?
Article de Mediapart.
En Géorgie, le pouvoir prorusse cherche à interdire les partis d’opposition
Une des figures de l’opposition géorgienne vient d’être condamnée à sept mois de prison. L’oligarque Bidzina Ivanichvili, aux manettes du pays depuis 2012, met à exécution son projet de répression toujours plus violente du pluralisme politique.
Estelle Levresse
23 juin 2025 à 16h53
C’est un pas supplémentaire dans le tragique virage autoritaire que connaît la Géorgie. Lundi 23 juin, Zourab Japaridze, leader du parti d’opposition Girchi, a été condamné à sept mois d’emprisonnement, assortis d’une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant deux ans.
Son crime : avoir refusé de se présenter devant la commission d’enquête temporaire, créée en février 2025 par le gouvernement, officiellement chargée d’enquêter sur les abus présumés commis entre 2003 et 2012 par le Mouvement national uni (MNU), parti de l’ancien président Mikheil Saakachvili. « Ce verdict final est le vrai visage du régime que nous avons en Géorgie, a réagi son avocat, Irakli Chomakachvili, auprès de Mediapart, précisant que son client allait faire appel. Il s’agit clairement d’une affaire motivée politiquement. Zourab Japaridze n’a jamais été membre du gouvernement à cette époque. »
L’avocat souligne également l’« illégalité » de la commission parlementaire. La Constitution géorgienne dispose que la moitié de ses membres doivent être issus de partis de l’opposition. Or, ceux-ci boycottent le Parlement depuis les élections contestées d’octobre 2024, qui ont vu triompher le parti Rêve géorgien, malgré des fraudes massives et systémiques révélées par plusieurs rapports indépendants.
« Ce que veut le gouvernement est très clair. Il veut se servir de cette commission parlementaire comme d’un outil pour tenir la promesse faite par Bidzina Ivanichvili durant la campagne électorale », affirme Nata Koridze, l’épouse de Zourab Japaridze. Homme fort du pays de 3,7 millions d’habitant·es, l’oligarque prorusse a promis d’interdire les partis d’opposition en Géorgie, qu’il accuse de « porter atteinte à la souveraineté nationale » et de « collaborer avec des acteurs étrangers ».
Jointe par téléphone à la veille du verdict, Nata Koridze poursuit : « Pour y parvenir, la commission a étendu, en avril, sa période d’investigation de 2013 à nos jours, afin de viser non seulement le MNU, mais aussi tous les autres partis libéraux et pro-européens. » Les termes de l’enquête restent volontairement flous, visant « toutes les activités préjudiciables à la nation commises par les dirigeants politiques du gouvernement précédent ou par des individus encore affiliés à des partis politiques, tant au niveau national qu’international ».
Lois liberticides en cascade
Huit autres figures de l’opposition ont été convoquées pour témoigner devant la commission parlementaire, notamment l’ancien premier ministre Giorgi Gakharia et l’ancien président du MNU, Nika Melia. Les deux hommes ont été placés en détention provisoire. Incarcéré depuis le 22 mai, Zourab Japaridze ne s’était pas présenté au tribunal, ni pour l’audience ni pour l’annonce du verdict, qualifiant son procès de « mascarade » et accusant le parti Rêve géorgien de conduire le pays vers la « dictature ».
Dans l’ancienne république soviétique du Caucase, l’opposition n’est pas la seule visée par la brutalité des autorités. Depuis un an, le parti au pouvoir depuis 2012 multiplie les lois liberticides pour étouffer toute contestation. Le droit de manifester est sévèrement restreint, les critiques en ligne peuvent être criminalisées, les licenciements arbitraires de fonctionnaires sont facilités, la « propagande » LGBTQI+ poursuivie, tandis que plusieurs lois ciblent directement la société civile et les médias.
Directement inspirée du modèle russe, la loi sur l’influence étrangère adoptée en 2024 a été complétée par un texte se réclamant du Fara (Foreign Agents Registration Act) états-unien, mais qui s’avère en réalité bien plus contraignant. Les ONG doivent s’enregistrer, fournir des informations détaillées sur leurs activités et étiqueter tous leurs contenus de la mention « agents de l’étranger ». Les récalcitrant·es ne sont plus seulement poursuivi·es administrativement, mais encourent des peines criminelles.
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On sait que la justice se rangera toujours du côté du gouvernement.
Kornely Kakachia, politiste
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En outre, une modification de la loi sur les subventions oblige les organisations à obtenir une autorisation préalable du gouvernement pour recevoir des fonds étrangers, et une loi distincte interdit purement et simplement le financement étranger des radiodiffuseurs.
« La législation vise à marginaliser et à accroître le contrôle sur les activités des ONG et des médias indépendants. Elle rend très difficile, voire impossible leur fonctionnement libre désormais », commente Guro Imnadze, du Centre pour la justice sociale, une ONG de défense des droits humains.
Face à ce rouleau compresseur, les moyens de recours semblent impuissants. « Formellement, il y a la Cour constitutionnelle et les tribunaux, mais on sait que, quelle que soit la décision, la justice se rangera toujours du côté du gouvernement », commente le politologue Kornely Kakachia. « Le parti Rêve géorgien a consolidé son pouvoir ces deux dernières années, il contrôle toutes les instances désormais : la présidence, l’exécutif, le judiciaire. Tout. Il reste la Cour européenne des droits de l’homme, toutefois ses décisions prennent des années », ajoute le directeur de l’Institut géorgien de la politique.
Ce centre de réflexion, fondé à Tbilissi en 2011 et composé d’une dizaine de membres, sera lui-même contraint de fermer ses portes fin juin. « Nous n’avons plus les moyens de continuer, ni de garder un bureau ni de payer les salaires, car nous ne pouvons plus recevoir de subventions, se désole Kornely Kakachia. De nombreuses organisations sont dans notre cas. L’objectif est d’éradiquer la société civile, comme cela s’est passé au Bélarus ou en Azerbaïdjan. »
Des résistances persistantes
Le 28 novembre 2024, le premier ministre Irakli Kobakhidze annonçait la suspension du processus d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne (UE) jusqu’en 2028, abandonnant de fait le statut de candidate obtenu un an plus tôt. Cette déclaration a provoqué des manifestations massives dans le pays, pro-européen à plus de 80 %, les protestataires réclamant la tenue de nouvelles élections et un retour sur le chemin de l’Europe.
Face à eux, les autorités ont opposé une répression violente. Des centaines de manifestant·es et de journalistes ont été battu·es, arrêté·es et détenu·es arbitrairement. Certain·es ont subi des perquisitions à leur domicile, des intimidations, du harcèlement. Selon l’ONG Transparency International, plus de soixante prisonniers et prisonnières politiques sont aujourd’hui détenu·es en Géorgie : militant·es de la société civile, représentant·es d’organisations non gouvernementales, médecins, artistes… Outre de lourdes amendes, plusieurs peines de prison ont déjà été prononcées.
Malgré les risques encourus, depuis plus de deux cents jours consécutifs, chaque soir, des dizaines de Géorgiens et Géorgiennes continuent de protester devant le Parlement à Tbilissi. Afin de déjouer la reconnaissance faciale des caméras récemment installées sur le bâtiment, ils et elles portent des masques.
« Face à ce régime, la mobilisation de la société géorgienne est capitale, estime le défenseur des droits humains Guro Imnadze. Les manifestations sont moins massives qu’en novembre ou décembre, mais dès qu’une décision importante est prise, elles repartent. Par exemple, l’affaire de Mate Devidze a provoqué une forte réaction. »
Ce musicien et militant de 21 ans, accusé d’avoir agressé la police à l’aide d’un bâton le 19 novembre, a été condamné le 12 juin à quatre ans et demi de prison. Le cas de Mzia Amaghlobeli, fondatrice et directrice des sites d’information Batumelebi et Netgazeti, réputés pour leurs enquêtes sur la corruption, suscite également l’indignation. Accusée d’avoir giflé le chef de la police de Batoumi, elle encourt jusqu’à sept ans de prison.
Depuis sa cellule, malgré sa condamnation, Zourab Japaridze appelle ses concitoyen·nes à ne pas abandonner, à ne pas perdre espoir et à continuer de manifester. Seule issue pour sauver le pays de la dictature.
Estelle Levresse

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