Lundi Matin #481 | 23 juin

Planifications fugitives et alternatives au capitalisme logistique
Un lundi soir avec Stefano Harney

Depuis une dizaine d’années, Stefano Harney et Fred Moten incarnent aux États-Unis le renouveau de la pensée radicale noire et de la théorie révolutionnaire en général. Après Les sous-communs, planification fugitive et étude noire traduite et publiée en français en 2022, vient de paraître Tout incomplet, Alternatives au capitalisme logistique (Les Liens qui libèrent). C’est un livre à la fois riche et puissant qui mêle poésie, philosophie et théorie politique. Mais c’est aussi un livre déconcertant ; si les fulgurances s’enchaînent, on s’y perd aussi (très) régulièrement. De la plantation esclavagiste au capitalisme mondialisé, l’économie, soit la gestion du capital humain, repose sur l’idée que nous serions des individus complets et souverains. Harney et Moten postulent à rebours que nous survivons dans les sous-sols du monde de la logistique en tant qu’être incomplets, c’est-à-dire toujours-déjà liés et constitués par le monde, tel qu’on y survit, tel qu’on y résiste. Si vous avez le sentiment que la théorie décoloniale en France tourne autour des 3 mêmes idées depuis 15 ans et n’en finit plus de ressasser le même léninisme pataud, vous trouverez chez Moten et Harney de quoi vous aérer l’esprit. Au reste, si nous avions prévu de discuter avec Stefano Harney de leurs développement théoriques, on s’est dit qu’au vu de la multiplication des émeutes contre les raids anti-migrants aux Etats-Unis, il était plus judicieux de partir de là pour comprendre ce que leur pensée permet d’éclairer dans la situation présente.

Rendez-vous avec la peur
Remake du film de Jacques Tourneur en 6 parties
Nicolas Klotz

1.

Les TRACÉS lumineux des missiles et des bombes qui ont troué la nuit de Téhéran, ce vendredi 13 juin… ont troué aussi les plateaux de télévision, nos téléphones, nos écrans, Gaza, New-York, la Cisjordanie.

Ma madeleine est un missile
Parham Shahrjerdi

Il y a plus de dix ans, avec mon ami Jean-Luc Nancy, nous écrivons contre les sanctions infligées à l’Iran : dire l’évidence même que personne ne voulait dire.
Des sanctions prétendument dirigées contre le régime, qui, en réalité, frappaient les populations civiles : manque de médicaments, interdiction d’importer certains traitements, explosion de l’inflation…
En somme : l’asphyxie méthodique d’un peuple.
Jean-Luc Nancy n’est plus là. Et depuis trop longtemps, plus aucune voix sensée ne se fait entendre pour dire clairement ceci : la guerre est abjecte, elle tue, elle traumatise. La pauvreté intellectuelle ne cesse de croître.

Lettre aux serres de Mathieu, à Dieulefit, France
Alaa al-Qatraoui

Le mois dernier, nous avions publié Un dôme de poésie , une lettre de Mathieu Yon, envoyée à la poétesse palestinienne Alaa al-Qatraoui [ 1 ] . Cette dernière l’a lue et a souhaité à son tour lui répondre, en voici la traduction. (L’original en arabe est accessible ici .)

Depuis la marche pour Gaza
Quelques enseignements positifs et critiques

Ils étaient des dizaines de milliers d’internationaux à s’être donné rendez-vous pour marcher jusqu’à Gaza depuis l’Egypte en traversant le désert. Mais arrivée au Caire, la mobilisation s’est brutalement faite interceptée et réprimée par le régime Al-Sissi. La semaine dernière, nous avons publié le récit d’un participant , cette semaine, une lectrice propose d’en tirer quelques enseignements positifs ainsi que critiques.

Journal de bord
Ghassan Salhab

19 juin
Je ne sais pas trop pourquoi un journal, ou sorte de journal, à partir d’aujourd’hui. Pourquoi pas hier, avant-hier, il ya une semaine, un mois, six mois ? Pourquoi n’ai-je pas attendu le 21 juin, jour officiel de l’été, pour ce que les saisons veulent bien dire encore, jour où ma mère cessa d’être il ya cinq maintenant ?

Pour ne pas perdre complètement pied ? La tête, le cœur, eux…

Une éthique sans politique ?
Réponse à Georges Didi-Huberman depuis la gauche juive et israélienne

Georges Didi-Huberman, dans sa récente tribune pour Le Monde , déploie un langage puissant pour exprimer l’effroi moral et la « honnêteté abyssale » qui saisissent de nombreux Juifs face à la situation à Gaza. Il évoque une « paralysie d’effroi » et le fait d’être des « otages psychiques », inscrivant cette angoisse dans une tradition juive de conscience historique, notamment par la convocation d’Hannah Arendt et du concept de Zakhor.

Cette sincérité et cette profondeur éthique sont indéniables. Cependant, du point de vue d’un engagement juif de gauche ancré dans la lutte politique concrète – tel que celui porté par le mouvement israélien Standing Together – le texte de Didi-Huberman, aussi poignant soit-il, ne parvient pas à toucher la cible fondamentale de la praxis.

Heidegger, ce touriste abject, ce marchand d’être
une réification faustienne

Ce texte ne veut pas dialoguer avec Heidegger. Il veut l’éteindre.
On a allumé ce feu non pour éclairer, mais pour brûler. On ne discute pas avec une pensée qui a préparé le terrain de l’arrachement — on la fait craquer sous la dent.
Ce texte est un brûlot. Il attaque Heidegger non pas pour son passé politique, mais pour ce qu’il continue de faire aux vivants : cette manière de neutraliser l’élan, d’arracher le monde à sa respiration, d’habiller la soumission à la technique d’un voile de gravité.
Le ton est celui de Bernhard — ce Bernhard-là qui n’argumente pas, qui éructe, qui accuse, qui refuse le repos.
Heidegger s’est trompé.

Un soir à l’antirouille
(Le poème impossible)
Emmanuel Thomazo

Zone, zone, zone ,
tes zones de zone en zone,
sachant que chaque instant vaut son pesant de grâce,
mais,
la,
maintenant,
tu te sens comme une bombe périmée,
une bombe périmée dans la momie du monde,
et tu soupires,

Nécessaire, la guerre…
Benjamin Lévy

La guerre nécessaire… La guerre justifiée… Justifiée, préventive et nécessaire… Légitime, préventive et justifiée… Ce refrain, cette ritournelle… Qui, loin de bercer, inquiète…

500 ans de résistance autochtone
Gord Hill
[Note de lecture]

Lorsque la colonisation européenne a débuté avec l’arrivée de Christophe Colomb, les peuples autochtones d’Amérique comptaient 50 à 60 millions de personnes et parlaient plus de 1000 langues. En bande dessinée, Gord Hill raconte leur histoire, leurs traditions et surtout plus de 500 ans de résistance collective.

Invisibles aux frontières
[Podcast Mayday]

Alors que sont organisées de grandes journées de rafles dans les gares et autour des frontières françaises, Mayday donne cette semaine la parole à celles et ceux qui sont venus · es d’Afrique et qui sont passés · es par Clavière et Briançon pour rejoindre la France.
Depuis 10 ans, la surveillance aux frontières entre l’Italie et la France a été resserrée, le délit de faciès est devenu la norme et les traces des corps africains dans les Alpes ont fait des dizaines de morts.

Si comme nous vous pensez que lundimatin est le meilleur journal du monde…
Si, comme nous, vous vous demandez comment il est possible de publier la même semaine dans le même journal une analyse pointilleuse des mesures managériales qui ruinent l’université, une lettre bouleversante aux juifs italiens, le décryptage du plus grand mouvement social des Balkans depuis 30 ans, une ode à la langue et au communisme ici et maintenant, la note de lecture de l’ouvrage d’un absurde videur de boîte de nuit fasciste, le récit d’une rencontre raciste avec Fanon. et Despo Rutti (…)

Si, comme nous, vous demandez comment il est possible de publier la même semaine dans le même journal une analyse pointilleuse des mesures managériales qui ruinent l’université, une lettre bouleversante aux juifs italiens , le décryptage du plus grand mouvement social des Balkans depuis 30 ans, une ode à la langue et au communisme ici et maintenant, la note de lecture de l’ouvrage d’un absurde videur de boîte de nuit fasciste, le récit d’une rencontre racisée avec Fanon et Despo Rutti en musique de fond, un poème cinématographique libanais, une longue discussion sur ce qu’il reste de Godard, le témoignage d’une danseuse de Samba ukrainienne qui pilote des drones sur le front, un tour d’horizon de l’état du polaire, d’érudites thèses sur le concept de compétence qui ruine la vie de nos enfants, une contre-analyse de l’effet des dispositifs gouvernementaux aux Antilles, une proposition expérimentale de n’être ni belliciste ni pacifiste en temps de guerre, une histoire de renard et de Hérisson pour repenser la stratégie avec Machiavel et Sun-Tzu.
Si, comme nous, vous en arrivez à la conclusion logique que lundimatin est le journal qui rend le plus intelligent de France voire du monde, ça tombe bien, nous avons besoin d’argent !

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