
28 juillet 2025
Il y a de quoi être effaré. Bruxelles cède aux exigences léonines de D. Trump : claironnée sur tous les tons, « l’autonomie stratégique européenne » vient de voler en éclats, dévoilant à la fois une vacuité géostratégique, le refus idéologique de restreindre nos dépendances extérieures et, par ricochet, la faiblesse d’E. Macron et de la France à Bruxelles.
Le 10 avril dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait affirmé « vouloir donner une chance aux négociations ». Moins de quatre mois plus tard, le verdict est sans appel : l’UE ne s’est donné aucune chance de résister au diktat de D. Trump, préférant céder plutôt que livrer bataille, capituler plutôt qu’ouvrir une voie alternative, accepter l’inacceptable plutôt que réduire nos dépendances extérieures et construire une véritable autonomie stratégique et politique.
En mode rapide, voici quelques commentaires :
1. Un accord léonin, brutal et asymétrique
Les termes de cet accord politique sont connus : des droits de douane de 15 % avec quelques exceptions (aéronautique, spiritueux, médicaments), dont une sur l’acier et l’aluminium taxés à 50 %, un marché européen qui doit s’ouvrir davantage aux produits US, un engagement de 600 Mds de $ d’investissements sur le sol US, l’achat de 750 Mds $ de gaz fossile US sur les 3 prochaines années, ainsi que l’acquisition d’une « grande quantité d’équipements militaires [américains] ».
En contrepartie de quoi ? De la promesse de l’UE de ne pas engager de rétorsions commerciales. C’est un accord totalement asymétrique, au seul bénéfice politique de D. Trump. Pour le justifier, U. Von der Leyen et les défenseurs de cet accord affirment que c’est en échange de la « stabilité », de l’absence de « guerre commerciale » et de la possibilité laissée aux entreprises UE de continuer à exporter sur le sol US : de quelle « stabilité » parle-t-on quand les droits de douane sont multipliés par 7 en 6 moisi, et quand il n’y a aucune garantie que D. Trump, fort de ce premier succès politique, ne revienne rapidement à la charge ?
2. Le prix de notre dépendance aux exportations
Pour ne pas fermer le marché US aux entreprises multinationales européennes, Ursula Von der Leyen accepte, en notre nom, nous les 450 millions d’Européennes et Européens, de financer au prix cher les choix économiques de D. Trump, à savoir réduire les impôts des plus riches américains et rapatrier sur le sol US des activités économiques et industrielles. Si cet accord devait être validé par les instances européennes, ce serait l’une des plus grandes extorsions économiques librement consentie de l’Histoire.
Il faut rappeler ici que, loin de l’image que l’on s’en fait habituellement, l’économie étasunienne est moins dépendante des marchés mondiaux pour son approvisionnement et ses débouchés que d’autres régions du monde. Si l’UE importe et exporte pour l’équivalent de 22% et 23% du PIB européen (respectivement 1,8 et 2,8 % avec les Etats-Unis), et si ces chiffres sont de 18% et 20% pour la Chine, ils ne sont que de 14% et 11% pour les États-Unis. S’il en découle un déficit commercial de l’équivalent de 3% du PIB, l’économie américaine est néanmoins moins sensible aux augmentations des droits de douane que les deux autres puissances économiques mondiales.
En revanche, notre dépendance économique aux exportations nous coûte cher : pour que LVMH et Volkswagen continuent à exporter aux US, l’UE va de fait devoir s’acquitter d’une taxe exorbitante qui va peser sur l’économie européenne. Le refus de la Commission européenne de profiter de l’occasion pour réduire notre exposition aux marchés mondiaux est économiquement et politiquement coûteux à court terme, mais aussi à long terme : nombreuses sont les entreprises qui seront ainsi financièrement incitées à localiser leurs activités directement aux US.
3. Un espoir vain : une nouvelle ère, pas une parenthèse
Depuis l’élection de D. Trump, la Commission européennes et de nombreux Etats européens font comme si l’élection de D. Trump n’était qu’un mauvais moment et qu’il fallait laisser la tempête passer pour envisager un « retour à la normale ». Ainsi, depuis des mois, Bruxelles cède devant Trump, tant sur la taxation des GAFAM que sur l’impôt minimum mondial dont les multinationales US ont été exonérées avec l’assentiment européen. Il ne faut pas braquer « Trump » ont-ils dit pour tempérer les velléités de rétorsions commerciales et enterrer toute possibilité de construction d’un rapport de force. C’est manifestement une stratégie économiquement et politiquement perdante.
De plus, il n’y aura pas de retour à la normale. « L’âge d’or de la mondialisation », période où les échanges croissaient plus vite que la production, n’est plus. A l’heure où Donald Trump a décidé, au nom de la « sécurité nationale », de s’affirmer comme seule super-puissance internationale désireuse de redéfinir les règles et les contours de la mondialisation à l’avantage de l’économie UE, tout retour en arrière paraît impossible. Nul ne sait si la Maison Blanche parviendra à ses fins, mais les contours de la mondialisation ont définitivement changé. Seul Bruxelles pense le contraire, refusant d’envisager une voie alternative.
4. Une victoire politique pour les extrêmes-droites
Cet accord Trump-Von der Leyen est clairement une victoire politique pour D. Trump qui obtient de l’UE qu’elle s’aligne sur ses desiderata. Mais c’est aussi une victoire pour les extrêmes-droites en Europe : alors que Bruxelles disait que l’accord US-Royaume-Uni (10 % de droits de douanes) était un mauvais accord et que l’UE en obtiendrait un bien meilleur va devoir ramer pour en faire la démonstration.
Quand tous les discours sur l’autonomie stratégique européenne, l’Europe puissance, la réindustrialisation européenne s’effondrent comme un château de cartes au premier souffle, il fait peu de doutes que ce n’est pas la construction européenne, pas plus que les gauches, qui devraient tirer profit d’une telle reddition : capituler face à Trump pour sauver, quoiqu’il en coûte, les parts de marché de quelques multinationales européennes, c’est lui donner le point et, à travers lui, donner le point aux extrêmes-droites qui en font un exemple à suivre.
5. Un accord qui saborde la politique climatique européenne
Entériner l’achat de 750 Mds $ de gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis, au nom de la réduction des importations européennes de gaz russe, a plusieurs implications :
- cela revient à renoncer à réduire nos importations globales de gaz, et à remplacer une dépendance par un autre ;
- cela revient à entériner qu’il faille continuer à investir des dizaines de milliards d’euros dans des infrastructures permettant de réceptionner du GNL dans les ports européens ;
- cela revient à confier à Washington une part de la politique énergétique européenne, comme nous l’avons fait auparavant avec Moscou ;
- cela revient à s’asseoir sur la politique climatique européenne alors qu’il faudrait drastiquement réduire nos besoins en énergies fossiles ;
6. « Un accord hors-la loi » ?
Ce point est peu commenté. A ce stade, l’accord n’est qu’une vague communication conjointe entre D. Trump et U. Von der Leyen. En aucun cas un accord international. A ce stade, cet accord n’a pas d’existence légale. Pire, à l’échelle européenne, la Commission européenne n’a pas de mandat en bonne et due forme pour négocier avec les Etats-Unis : il n’y a pas de décision fondant la base légale avec laquelle la Commission peut négocier avec des pays tiers au nom des 27 Etats-membres. Hallucinant, qui plus est alors que 80 % des Européens réclament des rétorsions commerciales envers les Etats-Unis (Eurobaromètre 2025).

Quand aux annonces qui sont faites, elles sont manifestement contraires au droit de l’OMC (droits de douane différenciés entre les pays, non réciprocité etc). Alors que l’UE ne cesse d’affirmer depuis des années qu’elle veut se situer dans le cadre commercial de l’OMC, par l’annonce de cet accord, Ursula Von der Leyen désobéit aux règles de l’OMC. Si les règles de l’OMC ne sont plus une contrainte, alors il est possible de revoir des pans entiers de la politique commerciale européenne. Ce serait plus pertinent que se soumettre aux diktats de D. Trump.
Conclusion : que pèsent et que font E. Macron et le gouvernement ?
Il y a des jours qui comptent. Des jours qui révèlent ce qui se cache derrière les discours grandiloquents et qui éparpillent façon puzzle les faux semblants d’une communication de façade. Ce dimanche 27 juillet en est un. Un jour qui va compter dans la jeune histoire de la construction européenne. Un jour qui met en lumière l’impuissance politique de l’UE à l’échelle internationale. Un jour qui illustre aussi la faiblesse politique d’E. Macron et de la France à Bruxelles. En six mois, Ursula Von der Leyen a conclu l’accord UE-Mercosur et cet accord avec Trump. Les deux contre l’avis de Paris. Que font Emmanuel Macron et le gouvernement ? Des tweets.
iPondéré par les échanges commerciaux, le tarif douanier américain préexistant à l’élection de D. Trump sur les importations en provenance de l’UE n’était que de 1,6 %.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
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