
On a beau lire des tas de textes plus ou moins argumentés sur « l’art » de Quentin Tarantino, écouter des podcasts farouchement enthousiastes ou converser avec des d’admirateurs tout aussi esbaudis (et souvent agressifs à l’égard de celui qui doute), il reste difficile de comprendre en quoi l’œuvre de celui qui s’est imposé comme l’auteur-américain-en-chef mérite une telle dévotion. Cela fait pourtant 33 ans qu’il enchaine les succès sous les hourras du public et d’une bonne partie de la critique, et chacune de ses apparitions officielles (comme lors du dernier festival de Cannes) relance la machine à dithyrambes. Pour notre chroniqueur émérite Marc-Gil Depotisse, « QT » est surtout un businessman de génie, inventeur d’une recette à succès dont il a scrupuleusement respecté le cahier des charges pour satisfaire une clientèle aussi conditionnée dans ses attentes que les consommateurs de Big Mac ou de Caprice des dieux. Circonstance aggravante : il est un soutien à Tsahal et à Israël, malgré le génocide en cours.
« C’est un faquin. Un pauvre garçon. Mais tant mieux s’il est heureux. Autrefois, c’est le genre de gens qu’on détestait. Mais plus maintenant. On laisse aller ». Interrogé lors du festival de cannes 2014 par Patrick Cohen sur France inter, Jean-Luc Godard n’avait pas hésité longtemps dans le choix de ses mots pour dire ce qu’il pensait de Quentin Tarantino. Le réalisateur américain avait publiquement crié son admiration pour le cinéaste suisse à de multiples reprises, il avait même nommé sa maison de production « Bande à part » en hommage au film sorti en 1964, et Cohen souhaitait savoir si l’admiration était réciproque. La réponse a fusé, sans hésitation ou tentative d’adoucir le propos, et pour exprimer son dédain, Godard était allé déterrer ce vieux mot de « faquin », désignant au 18eme siècle un laquais, un homme sans valeur et méprisable… D’où pouvait bien venir un jugement aussi sévère ?
A l’époque, Tarantino n’avait pas encore admis être au courant des agressions commises par son grand ami (et producteur de tous ses films) Harvey Weinstein. La comédienne Uma Thurman, elle-même victime de Weinstein, n’avait pas encore dénoncé le sadisme du réalisateur à son égard sur le tournage de Kill Bill (crachats, étranglement, humiliations…). (1) De même, le natif du Tennessee ne s’était pas encore installé à Tel Aviv (il a épousé une célèbre chanteuse israélienne en 2018) ni multiplié les déclarations enthousiastes sur la qualité de vie dans la capitale économique du pays occupant, allant jusqu’à faire la tournée des casernes de Tsahal pour « remonter le moral » des troupes qui écrasaient les gazaouis dans le sang et sous les bombes après le 7 octobre 2023.
Enfin, s’il s’était illustré par son agressivité à l’égard de fans plus ou moins importuns (comme ici) ou par son arrogance sans borne face aux critiques un peu moins louangeurs que d’habitude (comme ici ou là), on imagine mal que cela puisse irriter à ce point un Godard adepte des retours de services corsés en conférence de presse ou autres événements officiels.
Non, son jugement abrupt et définitif se basait sur des critères purement cinématographiques, et il l’émettait alors que le brave Quentin avait déjà réalisé l’essentiel de son œuvre (seuls « Les 8 salopards » et « Il était une fois… à Hollywood » sortiront plus tard…).
Mais bon, on n’est pas obligés d’adhérer à toutes les saillies godardiennes sous le seul prétexte que c’est Godard, n’est-ce pas ? Alors prenons le contrepied de celle-ci, et essayons de comprendre en quoi Tarantino n’est pas un faquin, mais plutôt (comme le fait avec toute la pompe nécessaire le site d’Arte au moment de proposer une nième rétrospective) « le plus provocateur, iconoclaste et postmoderne des cinéastes »…
La marque QT et son style « inimitable »
Commençons par le plus évident : le « style Tarantino ». Un style inimitable (à noter que dans le cas présent, l’inimitable se manifeste justement par le fait qu’il peut être très facilement imité) dont les ingrédients sont : dialogues ciselés et volontiers absurdes, BO rétro foisonnante, références cinéphiliques à répétition, réécriture de l’histoire (depuis « Inglorious basterds » en 2009) et violence aussi extrême que stylisée.
Ce dernier élément est celui qui a le plus régulièrement fait débat. Tarantino s’est trouvé accusé d’alimenter la violence régnant dans la société en la montrant de manière aussi jolie et jouissive dans ses films. Plutôt que la « responsabilité sociétale » de l’artiste (sacrément compliquée à mesurer) autant s’interroger sur le fait que l’artiste en question mette en scène, et de cette manière-là, la violence. A quoi elle lui sert et ce qu’il en fait artistiquement. Difficile dans le cas présent de ne pas parler de « célébration ». Les scènes de torture, de meurtre et de fusillades sanguinolentes sont omniprésentes dans les films de la marque QT et bien que “stylisée“, la violence est principalement montrée de manière frontale (dans le champ et en gros plan) et elle surgit sous des formes extrêmes sans réelle nécessité dramatique. Au lieu d’être scalpés (en gros plan) les nazis d’ « Inglorious » pourraient par exemple être tout simplement abattus ; Au lieu d’être carbonisée au lance-flammes, la Susan de « Il était une fois… » pourrait être noyée dans la piscine… Mais il faut l’admettre, le résultat serait bien moins « cool », moins surprenant et fun, et ce serait décevant pour les consommateurs qui risqueraient de ne pas reconnaitre leur « auteur ».

Ce gout pour la violence outrancière et stylée érigé en signature avait atteint un point de “perfection“ dès « Reservoir dogs » (1992), lorsque Mister Blonde (Michael Madsen) torturait sa victime au son de « Stuck in the middle with you » en lui découpant l’oreille au rasoir. La scène s’est immédiatement imposée, non pas par sa beauté formelle ou sa richesse de sens, mais parce que le tortureur dansait et chantonnait en commettant son acte abject, qu’il en jouissait sans retenue, sans que le metteur en scène semble se distancier lui-même ou mettre à distance son spectateur. Tarantino semblait même inviter ce spectateur à partager le plaisir ressenti par son personnage de psychopathe qui cédait avec entrain (et sans nécessité narrative) à sa pulsion sadique. Tout le monde a parlé de cette scène, à la fois pour la trouver dégueulasse et fascinante, et Tarantino semble avoir spontanément compris comment en tirer bénéfice. Il a instauré la « scène-culte ultra-violente et fun parce qu’ultra-violente » (qu’on appellera SUFUV pour plus de commodité) comme un ingrédient principal de son style. On le retrouvera dans « Pulp fiction » (1994) avec l’explosion du crane du passager arrière projetant des flots de sang et de bouts de cervelle sur Samuel L Jackson et John Travolta (2).
« Jackie Brown » ou l’accident de cahier des charges
Puis il y a eu l’erreur, ou plutôt l’anomalie « Jackie Brown ». Un film atypique dans l’œuvre de Quentin Tarantino. Il y montrait une volonté de construire un récit et pas seulement d’enchainer des scènes. Il y avait aussi l’envie de prendre le temps, de faire moins d’esbrouffe et de laisser place à l’émotion grâce à l’histoire de fascination et d’amour entre Jackie (Pam Grier) et Max (Robert Forster). Les ingrédients tarantinesques désormais classiques (dialogues, références ciné, musique…) étaient présents mais il manquait l’ingrédient essentiel : la SUFUV ! En effet dans « Jackie Brown », le premier meurtre (Chris Tucker enfermé dans un coffre de voiture) est filmé de loin, en plan fixe, et la seule scène susceptible de faire jouir le client était celle où De Niro abattait sa compagne sur un parking pour ne pas avoir obéi à son ordre de « la fermer ». Une scène filmée sans emphase ni geyser de sang, avec une victime s’écroulant hors champ. Pas vraiment de quoi exulter… Résultat : le film n’attira pas autant les foules que « Pulp ». Tarantino avait oublié de mettre trois tranches de cornichon dans son Big Mac et avait déçu ses consommateurs. Il ne commettra plus jamais cette boulette.
Car la SUFUV a deux avantages principaux. D’abord, elle permet de faire savoir que le film est sorti sur un marché saturé où il est si difficile de créer l’évènement Tous ceux qui ont attendu quelques jours avant d’aller voir les films de Tarantino sur grand écran ont pu le constater : ils connaissaient la teneur de la SUFUV bien avant de la découvrir en salles, tout simplement parce que ceux qui avaient vu le film avant ne parlaient de rien d’autre. Le principe est simple et formidablement efficace : le public adolescent (mais pas que) sort de la projection en se disant (par exemple) : « Ouah, le gars qui se fait défoncer à coups de batte de baseball, il est fou ce Tarantino ! » et partage le « fun » de la scène en question avec ses copains de classe (ou de diner en ville). Le lendemain, les copains iront voir le film à leur tour, puis parleront de la scène-signature et ainsi de suite… Ça marche à tous les coups !

Cette technique de marketing présente un autre avantage : elle permet à Tarantino de signifier à peu de frais sa qualité d’auteur, pour ceux qui considèrent qu’en être un consiste à accumuler des tics formalistes. Un peu comme si l’art d’Alfred Hitchcock se résumait à son habitude d’apparaitre dans ses propres films…
Chez Tarantino, on en reste au coup de com’, à l’argument de vente issu de manuels de Personal Branding, sans conséquence ni consistance en termes de cinéma. Là où d’autres cinéastes (Kubrick, Haneke, Scorsese, Nelson, Kechiche…) interrogent la violence et ses différentes formes (sociale, symbolique, politique, psychologique…) Tarantino utilise la seule violence physique (et ses résultats sanglants sur les corps) pour elle-même. Le spectateur n’est pas invité à y réfléchir, mais juste à en rire et en jouir crescendo jusqu’au point ultime de la SUFUV qui occupe chez Tarantino la même place que le but dans une partie de football : elle permet au public surexcité d’exulter enfin.
Cet usage footballistique du cinéma est conforté par un nouvel ingrédient ajouté au cahier des charges « auteur » de Tarantino depuis « Inglorious Basterds » en 2009 : la réécriture de l’histoire
Cinéma footballistique pour spectateurs/supporters
Dans « Inglourious », Hitler meurt criblé de balles dans un cinéma parisien. Dans « Once upon a time… in Hollywood », Sharon Tate échappe à la mort. Dans « Django », un esclave noir massacre un à un les oppresseurs blancs… Imaginer des alternatives à l’Histoire telle qu’elle est advenue, c’est le plus récent dada de QT. La démarche peut donner des cauchemars intéressants comme dans « Watchmen » de Zack Snyder (2009) où les Etats-Unis ont gagné la guerre du Vietnam, ou dans la série « The man in the High Castle » qui imagine l’Allemagne nazie et le Japon vainqueurs de la 2ème guerre mondiale, ou encore dans le téléfilm « Fatherland » (1994) qui décrit lui aussi une société où les nazis ont gagné et où on s’apprête à célébrer en grande pompe le 75ème anniversaire d’un Führer bien vivant. Toutes ces fictions prennent un fait historique capital et le modifient pour ensuite imaginer les conséquences de cette modification.
Rien de tel chez Tarantino. Sa réécriture de l’Histoire se résume à une « correction » du passé où les innocents sont sauvés et les méchants sont tués. Sharon Tate a été assassinée par le clan Manson ? Le clan Manson sera décimé dans « Once upon a time… » et Sharon survivra. Les esclaves noirs ont été massacrés par milliers par les esclavagistes ? Un esclave noir en massacrera des dizaines dans « Django ». Hitler est mort dans un bunker en 1944 après avoir fait exterminer 6 millions de juifs ? Quentin le fera crever dans « Inglorious », mitraillé à bout portant dans un cinéma de Paris… Et ensuite ? ensuite rien. La modification qu’il propose n’est pas un point de départ mais un but, et il faut prendre ici ce terme dans son acception purement footballistique, car le seul souci de Tarantino est une fois de plus d’offrir l’occasion d’exulter à son spectateur/supporter, de réaliser un fantasme de vengeance d’une communauté autrefois opprimée/massacrée dont il décide de porter les couleurs, et peu importe s’il faut pour cela la mettre très exactement dans le rôle des bourreaux d’hier, avec leurs pratiques immondes.
« Inglorious basterds » est à ce titre d’une rare abjection. On y voit une brigade composée de soldats juifs exterminer des nazis avec la même rage (et parfois les mêmes méthodes) que les nazis ont employé pour exterminer les juifs, et Tarantino semble parfaitement l’assumer puisqu’à la scène d’ouverture (superbement mise en scène) qui s’achève sur le mitraillage de la famille juive cachée dans un sous-sol répondra la scène finale apocalyptique où Hitler, Goebbels et d’autres dignitaires nazis sont enfermés dans une salle de cinéma, mitraillés et brulés vifs en même temps que d’autres spectateurs dont on ne sait rien. Peut-être s’agit-il d’innocents mais Tarantino (et ses personnages) s’en contrefout et les traite comme une masse sans nom ni visage forcément coupable et méritant d’être exterminée pour la seule raison qu’ils sont présents. On y voit aussi une montagne de muscles (Eli Roth) éclater le crâne d’un officier SS désarmé à grands coups de batte de baseball, et s’acharner sur le corps agonisant dans les convulsions. Une scène qui réussit l’exploit d’inspirer du dégout à la vue de l’élimination d’un personnage incarnant ce que l’humanité a produit de pire et de plus infame ! Difficile d’imaginer que l’objectif de Tarantino était là, mais il y parvient…

Le constat est le même pour « Django » (2012), film dans lequel un ange blanc tombé du ciel (le toujours épatant Christoph Waltz) vient libérer un esclave noir (Jamie Foxx). C’est ce même gentil blanc « progressiste » (la fameuse figure du « white savior ») qui va enseigner la lecture à l’esclave et lui apprendre le plus important : utiliser une arme avec expertise pour accéder à la vengeance et lui permettre non pas de trouver une échappatoire à la violence, ou de la faire cesser, mais d’en inverser la direction. Nouvelle inversion fantasmée de la violence historique (hystérique ?) dans le seul but de faire exulter l’équipe battue hier. Dans « Django », il faut ajouter à la bêtise abyssale du propos une belle dose de ridicule : à la fin, l’esclave martyrisé élimine un à un les oppresseurs, puis sort pour contempler (avec lunettes de soleil) l’explosion à la dynamite de leur vaste demeure. Il se retourne vers son épouse qui l’applaudit en riant (celle-là même qui vient de subir viols, coups et humiliations pendant des années mais qui semble avoir tout oublié grâce au show) puis regarde avec ébahissement son héros sur sa monture faire quelques figures de dressage équestre avant le générique de fin… On pourrait être dans un Mel Brooks raté, mais non, on est chez « l’auteur » Tarantino…
En mettant en images le fantasme d’une inversion de direction de la violence (3) entre bourreaux et victimes (il le fait de manière tout aussi stupide et bornée avec le féminisme dans « Kill Bill »), le cinéma de QT ne procure aucun apaisement, aucune catharsis. Au contraire, la vengeance, la force et la brutalité étant célébrées comme des solutions qui apportent plaisir et jouissance (tant qu’on est dans une équipe assez puissante pour les exercer aux dépens du camp adverse), il valide leur existence et leur perpétuation. (4)
Il est intéressant de comparer « Inglorious » à deux autres films où apparait le personnage de Hitler : « Le dictateur » de Charlie Chaplin (1940) et le remake du « To be or not to be » de Lubitsch par Mel Brooks en 1983. Tarantino s’inspire manifestement du dernier notamment dans la scène (drôle) de l’accent italien juste avant la projection du film de Goebbels, mais il choisit de finir dans la revanche, le sang et les flammes là où Brooks, Lubitsch et Chaplin livraient de vibrants plaidoyers humanistes et universalistes. Chaque époque a l’auteur qu’elle mérite…
La cinéphilie comme cache-misère
La recette QT comprend un dernier ingrédient obligatoire : la profusion référentielle. Tarantino adore le cinéma ! Il le dit, le répète, le cite, le découpe, le recolle. Chaque plan, chaque réplique, chaque costume est une référence plus ou moins explicite à une œuvre ou un genre, que ce soient les westerns spaghetti, les films de kung-fu, séries B, blaxploitation, etc… Hommages et références (ou bien vols et plagiats ?) peuplent et surpeuplent son cinéma. Là encore, il faut se demander ce qu’il fait de cette profusion, à quoi elle sert artistiquement. La réponse peut fuser aussi vite que celle de Godard précédemment : à rien.
L’intérêt d’une référence ou d’une citation, c’est de rapprocher ou de faire entrer en collision des univers pour en faire naitre quelque chose. Là, rien de tel. Rien de neuf n’émerge de cette accumulation : pas de point de vue politique (et tout cas conscient), pas de regard sur le monde contemporain, pas de trajectoire humaine véritablement habitée. L’exemple poussé jusqu’à l’absurde est le premier « Kill Bill », sorte de catalogue de références que QT copie certes à la perfection, mais au service d’un scénario indigent qu’on pourrait résumer ainsi : Une femme trahie se venge. Et après ? et après, comme d’habitude : nada ! Loin de sublimer ses références, Tarantino s’y enferme, incapable de produire autre chose qu’un patchwork nostalgique (et narcissique) de formes moribondes ou mortes en enchainant les clins d’œil complices à un public cinéphile qui, contrairement au public habituel des blockbusters, a besoin de se donner des excuses pour jouir du spectacle d’action et de violence, de se vivre comme « intelligent » en étant capable de débusquer telle ou telle référence. Marketing et technique de vente, encore…

La filmo de Tarantino, souvent célébrée pour sa virtuosité, est une impasse (« postmoderne » si on veut, mais une impasse quand même) : celle d’un cinéma qui ne parle plus du monde ni du réel, mais uniquement de lui-même. Un enfermement narcissique. Et en termes de narcissisme glauque, on est servi avec un réalisateur qui ne cesse de mettre en scène un personnage de passionné éruptif à chacune de ses sorties, alors que ses films révèlent surtout un adolescent dangereusement frustré et fruste, doté d’une mémoire encyclopédique dont il ne fait rien, volontiers agressif lorsque sa posture de génie intouchable est ne serait-ce que questionnée. Un enfant gâté et capricieux à qui on passe tout, alors qu’il sert un produit profondément infect dans un emballage soigné depuis 22 ans.
Depuis « Once upon a time… », Quentin multiplie les annonces et démentis concernant son prochain film. Il en est à 9 et promis/juré, il s’arrêtera à 10. Pourquoi 10 ? pour rien, comme d’hab, sinon que le chiffre rond est plus facile à vendre, et que cette « danse du ventre » lui permet de se placer symboliquement dans la liste des auteurs passés sur qui la presse a beaucoup spéculé concernant leur œuvre ultime : les Leone, Kubrick, Coppola… Le businessman du 7ème art soigne la rareté de son produit et entretient l’attente de ses supporters inconditionnels tout en profitant du capital accumulé et du profit généré : les hommages, les invitations à décerner des lauriers, et on l’imagine, les longues journées au bord de la piscine. Son personnage et sa démarche collent parfaitement à l’air du temps cynique et violent dont on peut voir aujourd’hui tant d’incarnations dans le champ politique à travers le monde.« Tant mieux s’il est heureux » disait Godard. Oui, tant mieux. Mais il faudrait au moins commencer à le prendre pour ce qu’il est et lui donner sa juste place dans l’histoire du cinéma : celle d’un épigone perturbé et survolté, d’un talentueux artisan au service d’une “philosophie“ hautement problématique, et d’un excellent attaché de presse de lui-même. On voit mal comment le N° 10, s’il existe un jour, pourrait chambouler ce constat…
NOTES
1/ On peut ajouter à cette liste le soutien de QT à Roman Polanski lors d’une interview de 2003 (mais enterrée jusqu’au début du mouvement MeToo). Interview dans laquelle il affirmait avec force que la relation sexuelle de son collègue cinéaste en 1977 avec une mineure de 13 ans préalablement droguée et alcoolisée ne constituait pas un viol. On est priés de ne pas vomir…
2/ Par sa générosité, son inventivité narrative, la drôlerie de ses dialogues et un côté non prétentieux qui a disparu corps et âme depuis, « Pulp Fiction » est ce que Tarantino a fait de mieux.
3/ Autre exemple plus anecdotique de mise en scène de fantasme d’inversion des pôles : la scène dans « Once upon a time… » au cours de laquelle Bruce Lee se fait démonter par le garde du corps/cascadeur (Brad Pitt). Pourquoi ? pour rien. Ou plutôt « parce que j’ai envie et que je le peux et que c’est fun» semble dire QT. Ou comme l’avoue Christoph Waltz lorsqu’il tue Di Caprio dans « Django » en sachant parfaitement qu’il va déclencher un bain de sang et sa propre mort : « Je n’ai pas pu résister ».
4/ Comme on le disait plus haut, difficile d’affirmer que les films de Tarantino alimentent ou augmentent la somme de violence dans le monde, dans le sens, par exemple, qu’ils favoriseraient les passages à l’acte. Mais il est tout aussi difficile de ne pas voir son influence sur la manière dont cette violence se manifeste, son « évolution stylistique ». On peut citer le phénomène du « Happy slaping », ou des criminels comme Luca Mignota. On peut aussi citer les soldats du pays d’adoption de Tarantino se filmant en train de mitrailler nonchalamment des quartiers d’habitation, ou d’allumer une clope au moment de faire exploser une école ou un pâté de maison à Gaza. On est très exactement dans des manifestations de l’abjection cool (froide) si caractéristique des personnages de sociopathes rigolards tarantiniens…
Crédits photo/illustration en haut de page :
Blast, le souffle de l’info
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