Après l’Alaska, les Ukrainiens craignent une « paix » imposée par Poutine et Trump 

MEDIAPART

Au lendemain d’un sommet aux allures de marchandage territorial, l’Ukraine observe avec méfiance l’alignement de Trump sur les ambitions russes.

Clara Marchaud

Kyiv (Ukraine).– On aurait pu croire que toute l’Ukraine avait veillé dans la nuit du 15 au 16 août pour suivre la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, redoutant de découvrir un destin décidé sans elle. Pourtant, samedi matin à Kyiv, rares étaient celles et ceux qui avaient regardé la prise de parole des deux chefs d’État, vers deux heures du matin.

D’autant que la nuit a été d’un calme rare, avec seulement 81 drones cantonnés sur la ligne de front, contre environ 500 lors des jours de véritables « pluies de bombes » sur les villes ukrainiennes. « Les gens intelligents ont préféré attendre les conclusions du sommet en Alaska pour les analyser rapidement. Les sages, eux, ont simplement dormi. Voilà toute la différence entre intelligence et sagesse », ironise Mykola Bielieskov, analyste pour « Reviens vivant », la plus grande fondation privée de soutien à l’armée ukrainienne.

Vladimir Poutine et Donald Trump en Alaska, le 15 août 2025. © Photo Drew Angerer / AFP

La première réaction des Ukrainien·nes a été une colère intense face à l’accueil princier réservé à Poutine, en plein contraste avec l’hostilité qu’il avait réservée à Zelensky en février dans le bureau Ovale. « Ce qui me révolte le plus, c’est de voir des soldats américains dérouler le tapis rouge à genoux pour un criminel de guerre », s’insurge Stanislav Asseïev, auteur et ancien détenu torturé pendant deux ans et demi dans une prison russe à Donetsk. « J’ai d’abord cru à une plaisanterie : Trump offre le tapis rouge à un meurtrier officiellement inculpé. Quel message cela envoie-t-il au reste du monde ? », lance Ihor, originaire de Marioupol.

Depuis mars 2023, Poutine fait en effet l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale, accusé d’avoir orchestré la déportation de milliers d’enfants ukrainiens. « Certains prétendent que la rencontre n’a rien donné, mais ce n’est pas vrai. Poutine peut continuer à tuer en toute impunité. C’est ce qu’il voulait », regrette Oksana, une habitante de Kyiv ayant suivi la rencontre en ligne.

Au-delà de cette colère liée au symbole, Kyiv reste dans l’incertitude sur le fond. Trump et Poutine n’ont pas explicité ce qu’ils entendaient par cette « compréhension mutuelle » évoquée par le Kremlin. Pourtant, ce dernier n’a nullement renoncé à ses ambitions maximalistes vis-à-vis de l’Ukraine, répétant lors de la conférence de presse que les Ukrainiens sont un « peuple frère » tout en qualifiant Kyiv de « menace fondamentale pour [sa] sécurité nationale ».

À mesure que les détails de la rencontre ont filtré, un sentiment de trahison s’est installé chez les Ukrainien·nes, témoins de l’alignement de Trump sur les positions du Kremlin. « Trump ne comprend pas que pour Poutine, l’Ukraine n’est pas une simple affaire transactionnelle – il y voit une mission messianique. Il veut l’Ukraine pour la Russie, point final. Pour lui et son entourage, l’indépendance de l’Ukraine est un accident qu’ils s’efforcent de corriger », estime le média anglophone ukrainien Kyiv Independent dans un éditorial virulent, qualifiant ce sommet de « honteux et inutile ».

« Trump, au lieu d’imposer des sanctions comme il l’avait promis, fait marche arrière et récompense Poutine en organisant un sommet », s’indigne auprès de Mediapart Oleksandr Merejko, député à la tête de la commission parlementaire des affaires étrangères, qui compare la conférence à celle de Munich en 1938.

Un plan russe pour récupérer l’intégralité du Donbass

« Il va y avoir des échanges de territoires, la Russie aura plus de terres qu’avant, et ce dont l’Ukraine a désespérément besoin, ce sont des garanties de sécurité qui ne soient pas liées à l’Otan », a déclaré le président américain dans une interview accordée à Fox News juste après le sommet. Il a ajouté : « Maintenant, la balle est vraiment dans le camp du président Zelensky pour conclure l’accord de paix, et je dirais aussi que les nations européennes doivent s’impliquer un peu plus. »

Donald Trump a évoqué une garantie de sécurité pour Kyiv, semblable à celle prévue par l’article 5 de l’Otan, mais en dehors du cadre de l’Alliance atlantique. Selon des médias américains, Vladimir Poutine aurait proposé à Donald Trump de geler les hostilités dans les régions de Zaporijjia et Kherson, contre la cession totale de la région de Donetsk, dont un tiers reste encore sous contrôle ukrainien. Avec la région de Louhansk déjà presque entièrement prise, cela permettrait au Kremlin de détenir l’intégralité du Donbass.

« Nous ne pouvons pas accepter des concessions unilatérales au profit de la Russie. Non seulement parce que la société ne le tolérerait pas, mais aussi parce que cela ne mettrait pas fin à la guerre », insiste Volodymyr Fessenko, analyste politique. « Pour Volodymyr Zelensky, ce serait une mort politique, une honte historique », poursuit-il.

Selon un sondage de l’Institut international de sociologie de Kyiv, près des trois quarts des Ukrainien·nes refusent de céder les territoires encore contrôlés par l’armée dans les régions de Zaporijjia, Donetsk et Kherson dans le cadre d’un accord de paix. Par ailleurs, Kyiv redoute que renoncer à la chaîne de villes fortement fortifiées qu’elle contrôle dans la région de Donetsk équivaille à offrir à la Russie un tremplin pour de futures offensives. Ce week-end, l’armée russe a avancé de dix kilomètres près de la ville minière de Dobropillia, avant d’être arrêtée cette semaine, selon le président Zelensky.

Ce dernier s’est montré prêt à discuter de la question territoriale avec Trump lundi, puis lors d’une future rencontre tripartite réunissant Trump, Zelensky et Poutine. « Il est extrêmement important que les partenaires européens participent à ces négociations », poursuit Oleksandr Merejko. « Parce que cela crée un équilibre au sein du processus de négociation et permet d’éviter que Trump et Poutine s’unissent contre Zelensky pendant la rencontre, pour ne pas laisser deux grandes puissances imposer un fait accompli à la victime. »

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