Le journaliste et historien Dominique Vidal, qui collabore au « Monde diplomatique », rappelle que « l’antisémitisme est un délit » tandis que « l’antisionisme est une opinion politique, que chacun est libre d’approuver ou non ». Mais il est estime que les injures proférées contre le philosophe sortent du cadre de la contestation d’une opinion.
« Sale sioniste de merde, tu vas mourir ! », « Retourne dans ton pays ! », « sale race » : ce sont là quelques-unes des insultes qui ont visé, samedi 16 février, le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. La classe politique et de nombreux intellectuels ont vivement condamné cette violence verbale.
Sur Twitter, quelques-uns ont débattu de la différence entre la notion d’antisémitisme et d’antisionisme. Julien Bahloul, ancien journaliste de la chaîne israélienne i24News, s’est ainsi ironiquement réjoui que Benoît Hamon admette que « l’antisionisme est de l’antisémitisme ». Dans son tweet posté quelques heures avant, le leader du mouvement Génération.s avait indiqué condamner « sans aucune réserve ceux qui ont conspué, insulté et traité d’un ‘sale sioniste’ qui voulait dire ‘sale juif' » le philosophe et académicien.
Franceinfo : Quelle différence faites-vous entre antisémitisme et antisionisme ?
Dominique Vidal : Il y a une différence radicale. L’antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes par les lois françaises. L’antisionisme est une opinion que chacun est libre d’approuver ou non.
L’antisionisme est une pensée politique et n’a donc rien à voir avec le fait de développer la haine des juifs.à franceinfo
Le sionisme date de la fin du XIXe siècle : c’est une pensée politique qui a été imaginée par Theodor Herzl. Il venait de constater les dégâts de l’affaire Dreyfus dans l’opinion française. Il considérait que les juifs ne pouvaient pas s’assimiler dans les pays où ils vivaient et qu’il fallait leur donner un Etat pour qu’ils puissent tous se rassembler.
Emmanuel Macron a affirmé que l’antisionisme était le « nouvel antisémitisme » lors de son discours en 2017 pour les 75 ans de la rafle du Vel d’Hiv. Êtes-vous d’accord ?
Non, je pense que cette phrase d’Emmanuel Macron, qu’il n’a d’ailleurs jamais répétée, constitue un amalgame entre ces deux concepts qui n’ont pas de lien l’un avec l’autre. Cet amalgame est une erreur historique et une faute politique.
C’est une erreur historique car depuis que Theodor Herzl a développé cette stratégie du sionisme, on peut observer que l’immense majorité des juifs ne l’a pas approuvée. C’était évident entre 1897 et 1939 (quand débute la Seconde Guerre Mondiale) : l’écrasante majorité des juifs était alors hostile à l’idée d’un Etat juif en Palestine. Mais la Shoah a bouleversé leur situation dans le monde. A partir de ce moment-là, il y a eu trois grandes vagues d’émigration des juifs vers la Palestine. Celle des survivants du génocide tout d’abord, la seconde était celle des juifs arabes après la guerre de 1948, et la troisième, celle des juifs soviétiques, dans les années 1990. Ce qui est commun à ces trois vagues de plusieurs millions de personnes est qu’il ne s’agissait pas d’un choix politique sioniste.
Les juifs ont émigré parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix.à franceinfo
Les survivants de la Shoah voulaient par exemple aller aux Etats-Unis mais ils n’avaient pas de visas. Pour les juifs de l’Union soviétique, il était souvent impossible de revenir chez eux à cause des pogroms. Et les juifs arabes n’étaient pas bien acceptés en Europe. Tous n’ont eu qu’une seule solution : aller en Palestine et en Israël.
C’est d’autre part une faute politique d’Emmanuel Macron car on ne peut pas réprimer une opinion. Ce serait comme si les communistes demandaient une loi pour réprimer l’anticommunisme ou si les libéraux demandaient une loi pour réprimer l’altermondialisme. On entrerait dans un processus totalitaire où on exigerait que des opposants soient muselés au nom de leur idéologie.
Pour vous, les insultes proférées contre Alain Finkielkraut relèvent-elles de l’antisionisme ou de l’antisémitisme ?
Aucune insulte n’est antisioniste. L’insulte est forcément antisémite. A partir du moment où il y a un caractère haineux dans les propos, comme c’était le cas des « gilets jaunes » face à Alain Finkielkraut, il s’agit forcément d’un délit, condamnable par la justice. Quand on lui dit « sale sioniste de merde », on n’est plus dans la théorie politique. C’est juste purement raciste.
Est-ce que le fait d’utiliser « sioniste » n’est pas aussi une manière de remplacer le mot « juif » pour échapper à une condamnation en justice ?
Bien sûr. Cette opération de passe-passe linguistique a notamment été utilisée par Dieudonné et Alain Soral. A partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s’exprimer. « Juif » est devenu « sioniste » et « antisémitisme » est devenu « antisionisme » dans leur discours. Ceux qui s’en sont pris à Alain Finkielkraut ont fait la même opération. Ils méritent d’être condamnés avec la plus grande clarté. Moi qui me suis souvent opposé aux idées d’Alain Finkielkraut, je considère que ce qui est arrivé hier est inacceptable.
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi un certain nombre de confrères journalistes s’étonnent que dans le mouvement des « gilets jaunes » il puisse y avoir des antisémites. L’extrême droite a fait 33% des voix à l’élection présidentielle de 2017. Ses idées sont prégnantes dans la société française, pas étonnant que le mouvement des « gilets jaunes » n’y échappe pas.
Mais cela ne veut pas dire que tous les « gilets jaunes » sont antisémites : dans leurs manifestations, l’antisémitisme reste un phénomène marginal, même s’il existe.
Insultes proférées contre Alain Finkielkraut par des « gilets jaunes » : on vous résume l’affaire
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion » après les injures qui ont visé le philosophe, samedi à Paris.
« La haine à l’état brut dans les rues de Paris ». Sur Twitter, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a fermement condamné les insultes dont le philosophe Alain Finkielkraut a été victime, à Paris, lors de la 14e journée de mobilisation des « gilets jaunes », samedi 16 février. « Sale sioniste de merde, tu vas mourir ! », « sale race ! » ont hurlé des manifestants, qui l’ont pris à partie pendant quelques minutes.
L’essayiste a reçu le soutien d’Emmanuel Macron, qui a condamné « les injures antisémites dont il a fait l’objet ». Une enquête a été ouverte dimanche par le parquet de Paris et un suspect a été identifié. Franceinfo revient sur cette agression verbale et ses conséquences.
Que s’est-il passé ?
La scène s’est déroulée samedi en début d’après-midi, sur le boulevard du Montparnasse, dans le 14e arrondissement de la capitale. Aux abords du cortège, plusieurs « gilets jaunes » repèrent Alain Finkielkraut, qui passait par hasard dans le quartier sans intention de se joindre aux manifestants. Le philosophe a expliqué sur LCI qu’il sortait d’un taxi alors qu’il venait de raccompagner sa belle-mère après un déjeuner. Rapidement, sa présence déclenche une vague d’hostilité de la part de manifestants qui commencent à l’encercler. Le philosophe reçoit alors un flot d’insultes, comme on peut le voir sur les images tournées par Yahoo Actualités.
« Je voulais rentrer chez moi. Et en même temps, je vois cette manifestation qui défile, donc je vais quand même regarder. Je n’étais pas là depuis une minute que j’ai été en effet pris à partie de manière très violente par des manifestants » a-t-il expliqué sur LCI.
Des policiers l’évacuent dans la foulée par la rue Campagne-Première, qui fait l’angle avec le boulevard du Montparnasse. « J’ai été obligé de fuir de peur qu’ils me cassent la gueule et je pense que ça aurait pu mal tourner » a raconté le philosophe au Parisien.
Quelles insultes ont été proférées ?
Dans les images mises en ligne par Yahoo, on entend crier de nombreuses menaces et des insultes : « Barre-toi, sale sioniste de merde ! » lance l’un, « Nique ta mère », crie un autre, tandis que l’on entend certains crier : « Palestine ! ». « Espèce de raciste, t’es un haineux, tu vas mourir, tu vas aller en enfer, espèce de sioniste ! » crie un autre tout près de la caméra.
D’autres images tournées d’un peu plus loin par le journaliste indépendant Charles Baudry, on entend : « Facho ! Palestine ! Rentre chez toi, rentre chez toi en Israël » mais aussi : « La France est à nous. Rentre à Tel-Aviv », « Tu vas mourir ».
Peut-on parler d’antisémitisme ?
Ces injures ont un caractère antisémite, estime la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui a annoncé dimanche matin dans un tweet qu’elle saisissait la justice. Alain Jakubowicz, avocat et président d’honneur de la Licra, a réclamé sur franceinfo une réponse politique dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme : » Le sujet c’est : quand est-ce qu’on va s’attaquer au problème de fond ? (…) C’est un cancer et aujourd’hui il faut mettre la France sous chimiothérapie. »
Samedi soir, quelques heures après l’altercation, Emmanuel Macron a réagi aux injures visant Alain Finkielkraut en parlant « d’injures antisémites » contre ce « fils d’émigrés polonais devenu académicien français ».
Dans un article publié par franceinfo, le journaliste et écrivain Dominique Vidal, auteur de l’essai Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (éditions Libertalia), explique pourquoi les insultes qui ont visé Alain Finkielkraut sont antisémites et pas seulement antisionistes. « A partir du moment où il y a un caractère haineux dans les propos, comme c’était le cas des ‘gilets jaunes’ face à Alain Finkielkraut, il s’agit forcément d’un délit, condamnable par la justice. Quand on lui dit ‘sale sioniste de merde’, on n’est plus dans la théorie politique. C’est juste purement raciste ».
De plus, le parquet de Paris a annoncé dimanche matin avoir ouvert une enquête pour « injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion, par parole, écrit, image ou moyen de communication électronique ». Les investigations sont confiées à la BRDP (Brigade de répression de la délinquance à la personne).
Qu’en dit Alain Finkielkraut ?
Le philosophe est revenu sur ce moment d’extrême tension. Pour lui, les injures dont il a été victime le visent personnellement et revêtent aussi un caractère antisémite : « La haine est là, et elle m’attend assez souvent. C’est terrible à dire puisqu’à travers moi, ce qui est visé, ce sont les juifs en tant que sionistes, c’est-à-dire du fait de leur souci d’Israël » a-t-il déclaré sur France 3. Pour lui, ceux qui l’ont insulté ne sont pas des « gilets jaunes d’origine » a-t-il déclaré dans Le Parisien. « Je pense que je n’aurais pas subi ce même genre d’insultes sur les ronds-points » a-t-il affirmé au quotidien.
Sur LCI, l’essayiste a expliqué pourquoi il ne souhaitait pas porter plainte. « J’aurais porté plainte si on m’avait cassé la figure » a-t-il déclaré. Au Parisien, il a précisé : « Il ne faut pas trop en faire non plus, j’ai l’impression que beaucoup de gens ont été plus traumatisés que moi et que les images leur ont fait plus peur qu’à moi. »
Où en est l’enquête ?
Sur Twitter, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a indiqué qu’un suspect a d’ores et déjà été identifié. Il s’agit selon lui du « principal auteur des injures ».
Que risquent les personnes impliquées ?
En France, le Code pénal prévoit jusqu’à 12 000 euros d’amende pour injure publique. Si le caractère raciste ou antisémite est retenu, l’auteur encourt un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Mais les responsables risquent d’être difficiles à identifier. Et l’enquête devra déterminer quelles paroles ont été prononcées par les uns ou les autres.
L’incident s’est déroulé sur fond de recrudescence des faits antisémites, qui ont augmenté l’an dernier de 74% en France, passant de 311 en 2017 à 541 en 2018, après deux années de baisse, selon le gouvernement.
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