Les prud’hommes ont invalidé le motif économique des licenciements de 832 ex-salariés de l’usine de pneus d’Amiens-Nord, devenue un symbole de la désindustrialisation. La première annonce concernant un plan de licenciement datait de juillet 2007.
Après treize ans de combat acharné, la victoire est totale. Ce jeudi 28 mai, les prud’hommes d’Amiens ont donné raison aux 832 anciens salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord qui contestaient leur licenciement économique. L’entreprise a été condamnée pour « licenciement sans motif économique valide », et les licenciements ont été considérés par la justice comme invalides.
Spécialisée dans la fabrication de pneus agricoles, l’usine avait fermé en janvier 2014, après un bras de fer de près de sept ans entre la direction et les salariés, démarré en juillet 2007 avec une première annonce d’un plan de 400 licenciements. Cette lutte est devenue un des symboles des batailles menées contre la désindustrialisation en France. Sur les 1 143 salariés que comptait l’usine à sa fermeture, près des trois quarts s’étaient lancés dans la procédure prud’homale.
Le juge départiteur – un magistrat professionnel chargé d’examiner le dossier, les conseillers prud’homaux non professionnels n’ayant pas réussi à se départager en 2018 – leur a donné raison sur tous les tableaux. Il leur a reconnu un préjudice moral, en raison de la dureté du conflit qui les avait opposés à la direction.
Les ex-salariés réclamaient chacun plusieurs années de salaire, et selon nos informations, ces sommes leur ont été accordées dans leur intégralité. Goodyear va donc sans doute devoir payer des millions d’euros, et ce immédiatement. Fait rare, l’exécution provisoire du jugement a en effet été prononcée. L’entreprise a pris « acte » du jugement et a indiqué « se réserver le droit de faire appel ».
« Ce jugement fera date, nous faisons la démonstration que les combats qu’on mène, on les gagne !, se félicite auprès de Mediapart Mickaël Wamen, l’ex-leader CGT de l’usine, devenu une figure de l’aile la plus radicale du syndicat. Malheureusement, l’usine ne sera pas reconstruite, les machines ne seront pas réinstallées et les emplois ne reviendront pas. »
La CGT assure avoir décompté plus d’une dizaine de suicides dans les rangs de ceux qui ont été licenciés. « J’ai une pensée très émue pour tous nos collègues qui nous ont quittés. Cet argent ne les remplacera pas, mais aidera leurs familles », déclare Mickaël Wamen.
L’audience de départage s’était tenue le 28 janvier, et avait dû être délocalisée dans le palais des congrès d’Amiens, une première en France. L’avocat des Goodyear, Fiodor Rilov, avait alors insisté, comme lors de la première instance en 2018, sur le résultat net après impôt de 2,5 milliards de l’entreprise en 2014, l’année de la fermeture.
Il avait considéré cette affaire comme « emblématique du refus des ouvriers de se laisser écraser à l’occasion du démantèlement de leur outil de travail pendant que leur employeur réalise des profits colossaux ». Les avocats de la direction avaient, eux, argumenté sur les difficultés depuis 2007 de l’usine « extrêmement déficitaire », aggravées par la « crise sévère » de 2009, et mis en avant la dette nette du groupe de 5,267 milliards de dollars au moment de la fermeture.
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Aujourd’hui, l’avocat, défenseur de nombreux ouvriers licenciés et qui a déjà à son actif la condamnation pour fraude de Samsonite en 2018, salue « une énorme victoire ». « Ce résultat vient couronner avec succès une lutte qui a duré treize ans et montre que les salariés avaient raison lorsqu’ils se battaient pour dire qu’on ne peut pas licencier des centaines de salariés et faire des millions de profits la même année », déclare l’avocat.
« La justice du travail a rendu la dignité à ces travailleurs, à qui on a beaucoup reproché leur lutte », insiste-t-il. En 2013, Mediapart racontait en effet les dégâts de la lutte à Amiens, et les rancœurs entre les salariés et les syndicats. « C’est la victoire de gens qui sont pour moi des soldats de la lutte ouvrière, et qui sont passés aujourd’hui au statut de héros pour moi », dit Mickaël Wamen. Fin 2017, l’ex-leader syndical et six collègues ont été condamnés en appel à de la prison avec sursis pour « séquestration ou violences en réunion », pour avoir retenu le directeur de la production et le directeur des ressources humaines de leur entreprise, le 4 janvier 2014.
Le syndicaliste appelle « tous les camarades à prendre en compte ce jugement à une période où on se prépare à voir arriver une vague de licenciements ». Fiodor Rilov, qui ne cache pas son engagement à la CGT, estime lui aussi que « dans le contexte actuel, un jugement aussi symbolique va permettre à des milliers de salariés de s’appuyer sur une décision de justice pour contester le sacrifice des emplois sur l’autel des profits ».
Commentaires :
- 28/05/2020 18:07
- PAR JEAN-MARC B EN RÉPONSE AU COMMENTAIRE DE JEAN-MARC B LE 28/05/2020 17:52
Afin qu’ils ne fassent pas appel, il faut leur montrer que le mouvement social trouvera les moyens, en France et à l’étranger, de leur faire payer deux fois plus cher que ce que demande le tribunal.
En attendant champagne, avec Mikael, le délégué CGT, et ses valeureux camarades
- 28/05/2020 17:52
- PAR POISSONSCORPION
Même si Goodyear fera probablement appel, ce jugement est une grande avancée, à un moment où le droit social risque d’être encore plus malmené. Cà doit encourager d’autres salariés à se battre (ex : Cargill…).
- 28/05/2020 18:07
- PAR DOUBLEL
C’est une bonne nouvelle pour eux mais 13 ans d’attente! 13 ans! combien ont disparu depuis? détruits par les conséquences de ce « licenciement économique ».
En 13 ans, Goodyear a eu le temps de provisionner quelques millions au cas où. Finalement ce jugement ne leur fera ni chaud ni froid. Ils gesticuleront un peu devant les caméras pour se plaindre bien sûr. Mais au final, si Goodyear n’a pas gagné, il n’a pas perdu non plus. Leur casse sociale ne leur aura pas coûté grand chose.
Ci-dessous, par notre camarade Mickael, la trempe des gagnants, pas des politiciens professionnels, tous vendus au capital.
Force et honneur à toi pour cette première bataille gagnée. Mais la réparation, qui serait la réouverture, le régime des Hollande et autres Macron ne le permet pas.
La réparation des licenciements, des mutilations, des embastillements, du racisme d’Etat, nous ne l’aurons maintenant qu’en dégageant Macron et son monde d’exploitation.
Vive la Sociale, vive la révolution de civilisation à constuire.
En attendant, tous avec les hospitaliers le 16 juin et construisons la grève générale active pour septembre. Les mauvais jours alors finiront.