Le Covid-19, la crise écologique et le « capitalisme de catastrophe »

Le Covid-19 a accentué comme jamais auparavant les vulnérabilités écologiques, épidémiologiques et économiques interdépendantes imposées par le capitalisme. Alors que le monde entre dans la troisième décennie du XXIe siècle, nous assistons à l’émergence d’un «capitalisme de catastrophe», la crise structurelle du système prenant des dimensions planétaires.

Depuis la fin du XXe siècle, la mondialisation capitaliste a de plus en plus adopté la forme de chaînes de marchandises interconnectées contrôlées par des sociétés transnationales, reliant diverses zones de production, principalement dans le «Sud global», avec un pic de la consommation, de la finance et de l’accumulation mondiales, principalement dans le «Nord global». Ces chaînes de marchandises constituent les principaux circuits matériels du capital à l’échelle mondiale qui constituent le phénomène de l’impérialisme tardif caractérisé par la montée du capital financier monopolistique généralisé.[1]

Dans ce système, les rentes impériales exorbitantes provenant du contrôle de la production mondiale sont obtenues non seulement par la domination/distribution (arbitrage) mondiale du travail, par laquelle les transnationales ayant leur siège au centre du système surexploitent le travail industriel à la périphérie, mais aussi, de plus en plus, par l’arbitrage mondial des terres, par lequel les transnationales de l’agroalimentaire exproprient des terres (et de la main-d’œuvre) bon marché dans le Sud global afin de produire des cultures d’exportation destinées principalement à être vendues dans le Nord global[2].

En abordant ces circuits complexes du capital dans l’économie mondiale actuelle, les dirigeants d’entreprise se réfèrent à la fois aux chaînes d’approvisionnement et aux chaînes de valeur, les chaînes d’approvisionnement représentant le mouvement du produit physique, et les chaînes de valeur renvoient à la «valeur ajoutée» à chaque maillon de la production, des matières premières jusqu’au produit final[3].

Ce double accent mis sur les chaînes d’approvisionnement et les chaînes de valeur ressemble d’une certaine manière à l’approche plus dialectique développée dans l’analyse de Karl Marx des chaînes de produits de base (commodities) dans la production et l’échange, englobant à la fois les valeurs d’usage et les valeurs d’échange. Dans le premier volume du Capital, Marx a mis en évidence la double réalité des valeurs d’usage des matières naturelles (la «forme naturelle») et des valeurs d’échange (la «forme valeur») présentes dans chaque maillon de «la chaîne générale des métamorphoses qui ont lieu dans le monde des matières premières»[4]. L’approche de Marx a été reprise par Rudolf Hilferding dans son Capital financier, dans lequel il évoque les «maillons de la chaîne des échanges de matières premières»[5].

Dans les années 1980, les théoriciens du système-monde Terence Hopkins et Immanuel Wallerstein ont réintroduit le concept de chaîne de produits de base fondé sur les éléments constitutifs de la théorie marxienne[6]. Néanmoins, ce qui a été généralement perdu dans les analyses marxiennes (et du système-monde) ultérieures des chaînes de produits de base (commodities), qui les traitaient comme des phénomènes exclusivement économiques/valeurs, était l’aspect matériel-écologique des valeurs d’usage.

Marx, qui n’a jamais perdu de vue les limites naturelles-matérielles dans lesquelles le circuit du capital se déroulait, avait souligné «le côté négatif, c’est-à-dire destructeur» de la valorisation capitaliste par rapport aux conditions naturelles de production et au métabolisme des êtres humains et de la nature dans son ensemble. La «faille irréparable dans le processus interdépendant du métabolisme social» (la faille métabolique) qui constituait le rapport destructeur du capitalisme à la terre, par lequel il «épuisait le sol» et «forçait à fertiliser les champs anglais avec du guano», était également évidente dans les «épidémies périodiques», résultant des mêmes contradictions organiques du système[7].

Un tel cadre théorique, axé sur les formes doubles et contradictoires des chaînes de produits de base, qui intègrent à la fois des valeurs d’usage et des valeurs d’échange, fournit la base pour comprendre les tendances combinées des crises écologiques, épidémiologiques et économiques de l’impérialisme tardif. Il nous permet de percevoir comment le circuit du capital sous l’impérialisme tardif est lié à l’étiologie de la maladie via l’agrobusiness, et comment cela a généré la pandémie Covid-19.

Cette même perspective axée sur les chaînes de produits de base nous permet en outre de comprendre comment la perturbation du flux des valeurs d’usage sous la forme de biens matériels et l’interruption du flux de valeur qui en résulte ont généré une crise économique grave et durable. Le résultat a été de pousser une économie déjà stagnante jusqu’au bord du gouffre, menaçant le renversement de la superstructure financière du système. Enfin, au-delà, il y a le fossé planétaire bien plus grand engendré par le «capitalisme de catastrophe» actuel, qui se manifeste par le changement climatique et le franchissement de diverses frontières planétaires, dont la crise épidémiologique actuelle n’est qu’une autre manifestation dramatique.

 

Circuits du capital et crises écologico-épidémiologiques

Il est remarquable qu’au cours de la dernière décennie, une nouvelle approche plus holistique de l’étiologie des maladies, fondée sur le principe d’une seule santé pour un monde unique, ait vu le jour, principalement en réponse à l’apparition des maladies zoonotiques récentes (ou zoonoses) telles que le SRAS, le MERS et le H1N1, transmises à l’homme par des animaux non humains, sauvages ou domestiques.

Le modèle «One Health» intègre l’analyse épidémiologique sur une base écologique, en réunissant des écologistes, des médecins, des vétérinaires et des analystes de la santé publique dans une approche qui a une portée mondiale. Cependant, le cadre écologique original qui a motivé «One Health», représentant une nouvelle approche plus complète des zoonoses, a récemment été repris et partiellement annulé par des organisations dominantes telles que la Banque mondiale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis.

Par conséquent, l’approche multisectorielle de «One Health» a été rapidement convertie en un mode de rassemblement d’intérêts aussi variés que la santé publique, la médecine privée, la santé animale, l’agroalimentaire et les grandes firmes pharmaceutiques pour renforcer la réponse à ce qui est considéré comme des épidémies épisodiques, tout en traduisant la montée d’une ample stratégie des firmes dans laquelle le capital, et plus particulièrement l’agroalimentaire, est l’élément dominant. Il en résulte que les liens entre les crises épidémiologiques et l’économie mondiale capitaliste sont systématiquement minimisés dans ce qui se veut un modèle holistique[8].

Une nouvelle approche révolutionnaire de l’étiologie de la maladie est donc apparue en réponse. Elle est connue sous le nom de «Structural One Health» qui s’appuie de manière critique sur «One Health», mais qui est plutôt enracinée dans la vaste tradition historico-matérialiste. Pour les partisans de la «Structural One Health», la clé consiste à déterminer comment les pandémies dans l’économie mondiale contemporaine sont liées aux circuits des capitaux qui modifient rapidement les conditions environnementales.

Une équipe de scientifiques, dont Rodrick Wallace, Luis Fernando Chaves, Luke R. Bergmann, Constância Ayres, Lenny Hogerwerf, Richard Kock et Robert G. Wallace, ont écrit ensemble une série d’ouvrages tels que Clear-Cutting Disease Control: Capital-Led Deforestation, Public Health Austerity, and Vector-Borne Infection (Ed. Springer 2018) et, plus récemment, «COVID-19 et les routes du capital» (par Rob Wallace, Alex Liebman, Luis Fernando Chaves, et Rodrick Wallace) dans le numéro de mai 2020 de la Monthly Review[9]. La santé structurelle est définie comme «un nouveau domaine, [qui] examine les impacts des circuits mondiaux du capital et d’autres contextes fondamentaux, y compris les histoires culturelles profondes, sur l’agroéconomie régionale et la dynamique des maladies associées entre les espèces»[10].

L’approche historico-matérialiste révolutionnaire représentée par la «Structural One Health» s’écarte de l’approche «One Health» classique:

1° en se concentrant sur les chaînes de produits de base (commodities) comme moteurs des pandémies ;

2° en écartant l’approche habituelle des «géographies absolues» qui se concentre sur certains endroits où de nouveaux virus émergent, tout en ne percevant pas les voies de transmission économiques mondiales ;

3° en considérant les pandémies non pas comme un problème épisodique ou des événements aléatoires de type «cygne noir», mais plutôt comme le reflet d’une crise structurelle générale du capital, au sens où l’a expliqué István Mészáros dans son ouvrage Beyond Capital (New York University Press, 1995) ;

4° en adoptant l’approche de la biologie dialectique, associée aux biologistes de Harvard, Richard Levins et Richard Lewontin, dans The Dialectical Biologist (Harvard University Press, 1985) ;

et 5° en insistant sur la reconstruction radicale de la société dans son ensemble de manière à promouvoir un «métabolisme planétaire» durable[11].

Dans son ouvrage Big Farms Make Big Flu (Monthly Review Press, 2016) et ses autres écrits, Robert G. (Rob) Wallace s’inspire des notions de Marx sur les chaînes de production et la faille métabolique, ainsi que de la critique de l’austérité et des privatisations fondée sur la notion du paradoxe de Lauderdale (selon lequel les richesses privées sont renforcées par la destruction des richesses publiques). Les penseurs de cette tradition critique s’appuient donc sur une approche dialectique de la destruction écologique et de l’étiologie de la maladie[12].

Naturellement, la nouvelle épidémiologie historico-matérialiste n’est pas venue de nulle part, mais s’est construite sur une longue tradition de luttes socialistes et d’analyses critiques des épidémies, incluant des contributions historiques telles que

1° La situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844 de Friedrich Engels, qui a exploré la dimension de classe des maladies infectieuses;

2° les propres élaborations de Marx sur les épidémies et les conditions générales de santé dans le Capital;

3° le zoologiste britannique (le protégé de Charles Darwin et Thomas Huxley et l’ami de Marx) E. Ray Lankester qui a traité des sources anthropogéniques des maladies et de leur fondement dans l’agriculture, les marchés et la finance capitalistes dans son Kingdom of Man (1907);

et 4° Richard Levins, auteur de «Is Capitalism a Disease» (Monthly Review, 2000)[13].

Dans la nouvelle épidémiologie historico-matérialiste associée à la «Structural One Health», il est particulièrement important de reconnaître explicitement le rôle de l’agrobusiness mondial et de l’intégrer à des recherches détaillées sur chaque aspect de l’étiologie de la maladie, en se concentrant sur les nouvelles zoonoses. Ces maladies, comme l’a déclaré Rob Wallace dans Big Farms Make Big Flu, étaient «les retombées biotiques [interaction du vivant sur le vivant dans un écosystème] involontaires des efforts visant à orienter l’ontogenèse et l’écologie animales vers la rentabilité des transnationales», produisant de nouveaux agents pathogènes mortels[14].

L’agriculture offshore consistant en monocultures d’animaux domestiques génétiquement similaires (éliminant les coupe-feu immunitaires), y compris les parcs massifs d’engraissement de porcs et les vastes élevages de volaille, associée à une déforestation rapide et au mélange chaotique d’oiseaux sauvages et d’autres espèces sauvages avec la production animale industrielle – sans exclure les marchés de produits frais avec volaille, fruits de mer, etc. – ont créé les conditions de la propagation de nouveaux agents pathogènes mortels tels que le SRAS, le MERS, le virus Ebola, le H1N1, le H5N1 et maintenant le SRAS-CoV-2.

Plus d’un demi-million de personnes dans le monde sont mortes de la grippe H1N1, tandis que les décès dus au CoV-2 du SRAS dépasseront probablement largement ce chiffre[15].

«Les entreprises agroalimentaires, écrit Rob Wallace, déplacent leurs sociétés dans le Sud pour profiter de la main-d’œuvre et des terres bon marché et étendent leur chaîne de production au monde entier»[16]. «Les grippes, nous dit Wallace, émergent maintenant par le biais d’un réseau mondialisé productif d’établissements d’engraissement et de commercialisation, où des souches spécifiques apparaissent pour la première fois. Les troupeaux étant déplacés d’une région à l’autre – transformant la distance spatiale sous la contrainte du juste à temps – de multiples souches de grippe sont continuellement introduites dans des localités où se trouvent des populations d’animaux sensibles»[17].

Il a été démontré que les exploitations avicoles commerciales à grande échelle ont beaucoup plus de chances d’héberger ces zoonoses virulentes. L’analyse de la chaîne de valeur a été utilisée pour retracer l’étiologie de nouveaux cas d’influenza tels que le H5N1 tout au long de la chaîne de production de la volaille[18].

Il a été démontré que l’influenza dans le sud de la Chine émerge dans le contexte d’un «présent historique dans lequel de multiples recombinants [qui a subi une recombinaison génétique] virulents sont issus d’un mélange d’agroécologies ayant leur origine à différentes époques, à la fois par dépendance de la voie de transmission et par contingence: dans ce cas, époque ancienne (riz), début des temps modernes (canards semi-domestiqués) et actuelle (intensification de la volaille)». Cette analyse a également été étendue par des géographes radicaux, tels que Bergmann, qui travaillent sur «la convergence de la biologie et de l’économie au-delà d’une seule chaîne de produits de base et dans le tissu de l’économie mondiale»[19].

Les chaînes mondiales interconnectées de l’agroalimentaire, qui sont à la base de l’apparition de nouvelles zoonoses, font en sorte que ces agents pathogènes se déplacent rapidement d’un endroit à l’autre, en exploitant les chaînes du lien humain et de la mondialisation, les hôtes humains se déplaçant en quelques jours, voire en quelques heures, d’une partie du globe à l’autre. Wallace et ses collègues écrivent dans «COVID-19 et les routes du capital» :

«Certains agents pathogènes sortent directement des centres de production… Mais beaucoup, comme le Covid-19, proviennent des marges de la production du capital. En effet, au moins 60 % des nouveaux agents pathogènes humains émergent en se répandant des animaux sauvages vers les communautés humaines locales (avant que les plus efficaces ne se répandent dans le reste du monde).»

Ils résument ainsi les conditions de la transmission de ces maladies :

«le principe opérationnel sous-jacent est que la cause du Covid-19 et d’autres agents pathogènes de ce type ne se trouve pas seulement dans l’objet d’un agent infectieux ou dans son évolution clinique, mais aussi dans le domaine des relations écosystémiques que le capital et d’autres causes structurelles ont capté à leur propre avantage. La grande variété d’agents pathogènes, représentant différents taxons [entités d’être vivants regroupés, car possédant des caractères en commun], hôtes sources, modes de transmission, évolutions cliniques et résultats épidémiologiques, possède toutes les caractéristiques qui nous font faire les yeux doux à nos moteurs de recherche lors de chaque épidémie, et marque différentes parties et voies le long des mêmes types de circuits d’utilisation des terres et d’accumulation de valeur»[20].

La restructuration impériale de la production à la fin du XXe et au début du XXIe siècle – que nous connaissons sous le nom de mondialisation – était principalement le résultat de l’arbitrage mondial du travail et de la surexploitation des travailleurs dans le Sud (y compris la contamination délibérée des environnements locaux) au profit principalement des centres mondiaux du capital et de la finance. Mais elle a également été motivée en partie par un arbitrage mondial des terres qui s’est déroulé simultanément par le biais des multinationales de l’agroalimentaire.

Selon Eric Holt-Giménez dans A Foodie’s Guide to Capitalism: Understanding the Political Economy of What We Eat (Monthly Review Press, 2017) «le prix de la terre» dans une grande partie du Sud global «est si bas par rapport à sa rente foncière (ce qu’elle vaut pour ce qu’elle peut produire) que la capture de la différence (arbitrage) entre le bas prix et la rente foncière élevée fournira aux investisseurs un beau profit. Tout bénéfice tiré de la production de cultures est secondaire par rapport à l’accord… Les possibilités d’arbitrage foncier se présentent en amenant de nouvelles terres – avec une rente foncière attrayante – sur le marché foncier mondial où les rentes peuvent en fait être capitalisées»[21]. Une grande partie de ce phénomène a été alimentée par ce que l’on appelle la révolution de l’élevage, qui a fait du bétail une marchandise mondialisée basée sur des parcs géants d’engraissement et des monocultures génétiques[22].

Ces conditions ont été promues par les différentes banques de développement dans le contexte de ce que l’on appelle par euphémisme la «restructuration territoriale». Elle consiste à retirer de la terre les agriculteurs de subsistance et les petits producteurs sur ordre des transnationales, principalement des entreprises agroalimentaires, ainsi que la déforestation rapide et la destruction des écosystèmes.

On parle également d’accaparement des terres au XXIe siècle, accéléré par les prix élevés des denrées alimentaires de base en 2008 et à nouveau en 2011, ainsi que par les fonds privés à la recherche d’actifs tangibles face à l’incertitude suite à la grande crise financière de 2007-2009. Il en résulte la plus grande migration de masse de l’histoire de l’humanité, les populations étant chassées de leurs terres dans le cadre d’un processus mondial d’érosion multiface de la paysannerie, modifiant l’agroécologie de régions entières, remplaçant l’agriculture traditionnelle par des monocultures et poussant les populations dans des bidonvilles urbains[23].

Rob Wallace et ses collègues observent que l’historien et théoricien critique des villes, Mike Davis, et d’autres «ont identifié comment ces paysages en voie d’urbanisation agissent à la fois comme marchés locaux et comme centres régionaux pour les produits agricoles mondiaux qui passent par là… En conséquence, la dynamique des maladies forestières, sources premières des agents pathogènes, n’est plus limitée aux seuls arrière-pays. Les épidémiologies qui leur sont associées sont elles-mêmes devenues relationnelles, ressenties à travers le temps et l’espace. Un SRAS peut soudainement se propager à l’homme dans la grande ville, à quelques jours seulement de sa sortie de la caverne des chauves-souris»[24].

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Les nouveaux agents pathogènes générés involontairement par l’agrobusiness ne sont pas eux-mêmes des valeurs d’usage de matériaux naturels, mais plutôt des résidus toxiques du système de production capitaliste, repérables dans les chaînes de produits de l’agrobusiness dans le cadre d’un régime alimentaire mondialisé[25]. Pourtant, dans une sorte de «revanche» métaphorique de la nature telle que décrite pour la première fois par Engels et Lankester, les effets d’entraînement des catastrophes écologiques et épidémiologiques combinées introduites par les chaînes de produits mondiales actuelles et les actions de l’agrobusiness, donnant lieu à la pandémie Covid-19, ont perturbé l’ensemble du système de production mondial[26].

 

Perturbation de la chaîne des produits de base et effet de fouet mondialisé

L’effet de confinement et de distanciation sociale, arrêtant la production dans des secteurs clés du globe, a ébranlé les chaînes d’approvisionnement et de valeur au plan international. Cela a généré un gigantesque «effet de fouet» qui s’est répercuté tant du côté de l’offre que de la demande dans les chaînes mondiales de produits de base[27]. En outre, la pandémie de Covid-19 s’est produite dans le contexte d’un régime mondial de capital financier monopolistique néolibéral qui a imposé une austérité mondiale, y compris sur la santé publique. L’adoption universelle de la production à flux tendus et de la concurrence basée sur ce temps (flux tendus) dans la réglementation des chaînes mondiales de produits de base a laissé les entreprises et les installations telles que les hôpitaux avec peu de stocks, un problème aggravé par le stockage urgent de certains biens de la part de la population[28].

Les chaînes mondiales actuelles de produits de base – ou ce que nous appelons les chaînes de valeur du travail – sont organisées principalement pour exploiter les coûts unitaires de main-d’œuvre plus faibles (en tenant compte à la fois des coûts salariaux et de la productivité) dans les pays les plus pauvres du Sud, où la production industrielle mondiale est maintenant largement située. En 2014, les coûts unitaires de la main-d’œuvre en Inde représentaient 37% du niveau des États-Unis, tandis que ceux de la Chine et du Mexique étaient respectivement de 46% et 43%. En Indonésie, les coûts unitaires de main-d’œuvre étaient plus élevés, soit 62% du niveau américain[29]. Cela est dû en grande partie aux salaires extrêmement bas des pays du Sud, qui ne représentent qu’une petite fraction des niveaux de salaire des pays du Nord.

En attendant, la production indépendante réalisée selon les spécifications des multinationales, ainsi que la technologie de pointe introduite dans les nouvelles plates-formes d’exportation du Sud global, génère une productivité à des niveaux comparables dans de nombreux domaines à celle du «Nord global». Il en résulte un système mondial intégré d’exploitation dans lequel les différences de salaires entre les pays du Nord et du Sud sont plus importantes que les différences de productivité, ce qui entraîne des coûts unitaires de main-d’œuvre très bas dans les pays du Sud et génère d’énormes marges bénéficiaires brutes (ou surplus économique) sur le prix à l’exportation des marchandises en provenance des pays les plus pauvres.

Les énormes excédents économiques générés dans le «Sud global» sont comptabilisés dans la comptabilité du produit intérieur brut en tant que valeur ajoutée dans le Nord. Cependant, ils sont mieux compris comme une valeur captée du Sud. Tout ce nouveau système d’exploitation internationale associé à la mondialisation de la production constitue la structure profonde de l’impérialisme tardif du XXIe siècle. C’est un système d’exploitation/expropriation mondiale formé autour de l’arbitrage mondial du travail, qui a pour résultat une vaste fuite de la valeur générée des pays pauvres vers les pays riches.

Tout cela a été facilité par les révolutions dans le domaine des transports et des communications. Les coûts d’expédition ont chuté à mesure que les conteneurs d’expédition standardisés proliféraient. Les technologies de communication telles que les câbles à fibres optiques, les téléphones mobiles, l’Internet, le haut débit, l’informatique en nuage (cloud) et les vidéoconférences ont modifié la connectivité mondiale. Le transport aérien a permis de réduire les coûts des voyages rapides qui ont augmenté en moyenne de 6,5% par an entre 2010 et 2019[30]. Environ un tiers des exportations américaines sont des produits de base ou intermédiaires pour des biens finaux produits ailleurs, comme le coton, l’acier, les moteurs et les semi-conducteurs[31]. Ces conditions en évolution rapide génèrent une structure d’accumulation internationale de plus en plus intégrée et hiérarchisée. De là est née la structure actuelle de la chaîne mondiale des produits de base. Il en est résulté la connexion de toutes les parties du globe au sein d’un système mondial d’oppression, une connectivité qui montre maintenant des signes de déstabilisation sous les effets de la guerre commerciale des États-Unis contre la Chine et les effets économiques mondiaux de la pandémie Covid-19.

La pandémie Covid-19, avec ses confinements et sa distanciation sociale, est «la première crise mondiale de la chaîne d’approvisionnement»[32]. Elle a entraîné des pertes de valeur économique, un chômage et un sous-emploi importants, l’effondrement des entreprises, une exploitation accrue, ainsi qu’une faim et des privations généralisées. Pour comprendre à la fois la complexité et le chaos de la crise actuelle, il est essentiel de savoir qu’aucun PDG d’une transnationale ne dispose d’une carte complète de la chaîne d’approvisionnement de la firme[33].

Habituellement, les centres financiers des firmes et les responsables des achats des entreprises connaissent leurs fournisseurs de premier rang, mais pas ceux de second rang (c’est-à-dire les fournisseurs de leurs fournisseurs), et encore moins ceux de troisième ou même de quatrième rang. Comme l’écrit Elisabeth Braw dans Foreign Policy, «Michael Essig, professeur de gestion de l’approvisionnement à l’université de la Bundeswehr de Munich, a calculé qu’une multinationale comme Volkswagen compte 5000 fournisseurs (les fournisseurs dits de premier rang), chacun d’eux ayant en moyenne 250 fournisseurs de deuxième rang. Cela signifie que l’entreprise compte en fait 1,25 million de fournisseurs – dont la grande majorité est inconnue». De plus, cela exclut les fournisseurs de troisième rang. Lorsque la nouvelle épidémie de coronavirus s’est produite à Wuhan en Chine, on a découvert que cinquante et un mille entreprises dans le monde avaient au moins un fournisseur direct à Wuhan, tandis que cinq millions d’entreprises y avaient au moins un fournisseur de deuxième rang. Le 27 février 2020, alors que la perturbation de la chaîne d’approvisionnement était encore largement centrée sur la Chine, le World Economic Forum (WEF), citant un rapport de Dun & Bradstreet, a déclaré que plus de 90% des transnationales du classement de Fortune 1000 avaient un fournisseur de premier ou de second rang affecté par le virus[34].

Les effets du SRAS-CoV-2 ont rendu urgent pour les entreprises d’essayer de cartographier l’ensemble de leurs chaînes de produits de base. Mais cela est extrêmement complexe. Lorsque la catastrophe nucléaire de Fukushima s’est produite, on a découvert que la région de Fukushima produisait 60% des pièces automobiles essentielles au monde, une grande partie des produits chimiques pour batteries au lithium et 22% des plaquettes de silicium de trois cents millimètres, toutes essentielles à la production industrielle. Des tentatives ont été faites à cette époque par certaines firmes monopolistiques pour cartographier leurs chaînes d’approvisionnement. Selon la Harvard Business Review, «les dirigeants d’un fabricant japonais de semi-conducteurs nous ont dit qu’il a fallu une équipe de 100 personnes pendant plus d’un an pour cartographier les réseaux d’approvisionnement de l’entreprise jusqu’aux sous-niveaux après le tremblement de terre et le tsunami [et la catastrophe nucléaire de Fukushima] en 2011»[35].

Face à des chaînes de produits de base dont de nombreux maillons sont invisibles et qui se brisent en de nombreux endroits, les firmes sont confrontées à des interruptions et des incertitudes dans ce que Marx appelait la «chaîne des métamorphoses» dans la production, la distribution et la consommation de produits matériels, couplées à des changements erratiques dans la demande globale de l’offre. L’ampleur de la pandémie de coronavirus et ses conséquences sur l’accumulation mondiale sont sans précédent, les coûts économiques mondiaux ne cessant d’augmenter. Fin mars, quelque trois milliards de personnes sur la planète se trouvaient en mode de confinement ou de distanciation sociale[36]. La plupart des entreprises n’ont pas de plan d’urgence pour faire face aux multiples ruptures de leurs chaînes d’approvisionnement[37]. L’ampleur du problème s’est manifestée dans les premiers mois de 2020 par des dizaines de milliers de déclarations de force majeure, commençant d’abord en Chine puis se propageant ailleurs, où divers fournisseurs indiquent qu’ils sont incapables d’exécuter des contrats en raison d’événements extérieurs extraordinaires. Ces déclarations s’accompagnent de nombreuses «navigations à vide» pour des voyages réguliers de cargos qui sont annulés, les marchandises étant bloquées en raison d’une défaillance de l’offre ou de la demande[38]. Début avril, la National Retail Federation des États-Unis a indiqué qu’en mars 2020, les expéditions de conteneurs de 6,1 mètres sur des navires ont atteint leur niveau le plus bas depuis cinq ans, et que les expéditions devraient chuter beaucoup plus rapidement à partir de ce moment[39]. Les vols de passagers aériens dans le monde entier ont diminué d’environ 90%, ce qui a conduit les principales compagnies aériennes américaines à utiliser «les soutes et les cabines de leurs avions [afin de les «rediriger»] vers les vols de fret, en enlevant souvent les sièges et en utilisant les rails vides pour sécuriser le fret»[40].

Selon les estimations faites début avril par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les retombées économiques de la pandémie Covid-19 entraîneraient une baisse du commerce mondial annuel, en 2020, de 13% dans le scénario le plus optimiste, et de 32% dans le scénario le plus pessimiste. Dans ce dernier cas, l’effondrement du commerce mondial équivaudrait en un an à ce qui s’est passé lors de la Grande Dépression des années 1930 sur une période de trois ans[41].

Les effets désastreux de la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales pendant la pandémie ont été particulièrement évidents en ce qui concerne les équipements médicaux. Premier [qui connecte plus de 4000 hôpitaux et des dizaines de milliers de fournisseurs], l’une des principales organisations d’achat général pour les hôpitaux aux États-Unis, a indiqué qu’elle achète normalement jusqu’à vingt-quatre millions de masques N95 par an pour ses fournisseurs et organisations de soins de santé membres, alors que rien qu’en janvier et février 2020, ses membres en ont utilisé cinquante-six millions. Fin mars, Premier commandait 110 à 150 millions de ce type de masques, alors que ses organisations membres, telles que les hôpitaux et les maisons de retraite, ont indiqué, lors de l’enquête, qu’elles avaient à peine plus d’une semaine de réserve. La demande de masques médicaux est montée en flèche alors que l’offre mondiale était gelée[42]. Les kits de test Covid-19 étaient également en pénurie chronique au niveau mondial jusqu’à ce que la Chine relance sa production fin mars[43].

De nombreux autres produits sont également frappés par la pénurie, tandis que dans le chaos général, les entrepôts débordent de marchandises, comme les vêtements de mode, pour lesquelles la demande a chuté. Dans le monde de la production juste à temps et de la concurrence basée sur ce juste à temps, les stocks sont généralement réduits au minimum pour diminuer les coûts. Sans relâche, l’industrie automobile et de nombreuses chaînes d’approvisionnement de détail aux États-Unis risquent de connaître une pénurie chronique d’ici début mai. Comme l’a déclaré Peter Hasenkamp, qui a dirigé la stratégie de la chaîne d’approvisionnement de Tesla [voiture électrique] et qui est maintenant responsable des achats pour Lucid Motors, une start-up de voitures électriques: «Il faut 2500 pièces pour construire une voiture, mais seulement une pour ne pas le faire.» Les kits de test Covid-19 étaient rares aux États-Unis, en partie à cause d’une pénurie d’écouvillons[44]. A la mi-avril 2020, 81% des entreprises manufacturières mondiales connaissaient des pénuries d’approvisionnement, comme en témoigne l’augmentation de 44% des déclarations de force majeure en mars par rapport au début de l’année précédant l’émergence du nouveau coronavirus, et l’augmentation de 38% des arrêts de production. Il en résulte non seulement des pénuries matérielles mais aussi une crise de trésorerie et donc une énorme «flambée des risques financiers»[45].

Pour les transnationales actuelles, qui se soucient peu des valeurs d’usage qu’elles vendent à condition de générer une valeur d’échange, le véritable impact économique de la rupture des chaînes d’approvisionnement est leur effet sur les chaînes de valeur, c’est-à-dire sur les flux de valeur d’échange. Bien que les effets de la perturbation de l’offre mondiale sur la valeur totale ne seront pas connus avant un certain temps, les pertes de valeur subies par les firmes donnent une indication de la crise que cela génère pour l’accumulation. Des centaines de firmes, dont des sociétés telles que Boeing, Nike, Hershey, Sun Microsystems et Cisco, ont été confrontées à des perturbations critiques de la chaîne des produits de base au cours des deux dernières décennies. Des études basées sur quelque huit cents cas ont montré que l’effet moyen pour les entreprises d’une telle perturbation de la chaîne d’approvisionnement comprend: «une baisse de 107% des résultats d’exploitation; 114% de baisse de la rentabilité des ventes; 93% de recul de la rentabilité des actifs; 7% de déclin de la croissance des ventes; 11% de croissance des coûts; et 14% de croissance des stocks», les effets négatifs durant normalement deux ans. La même recherche indique que «les entreprises souffrant de perturbations de la chaîne d’approvisionnement enregistrent des rendements boursiers de 33 à 40% inférieurs à ceux de leurs benchmarks industrielles sur une période de trois ans qui commence un an avant la date d’annonce de la perturbation et se termine deux ans après. En outre, la volatilité du prix des actions dans l’année qui suit la perturbation est de 13,50% supérieure à celle de l’année précédant la perturbation»[46].

Bien que personne ne sache comment tout cela va se terminer dans la phase présente, même dans le cas d’une entreprise individuelle, le capital a toutes les raisons de craindre les conséquences pour la valorisation et l’accumulation. Partout, la production baisse et le chômage/sous-emploi augmente en flèche, les firmes se séparant de travailleurs qui, aux États-Unis, sont laissés à eux-mêmes. Les firmes sont maintenant dans une course pour rétablir leurs chaînes de produits de base et pour fournir un semblant de stabilité dans ce qui semble être une crise mondialisée. De plus, la rupture de toute la chaîne des métamorphoses impliquées dans l’arbitrage mondial du travail menace d’engendrer un effondrement financier dans une économie mondiale encore caractérisée par la stagnation, l’endettement et la financiarisation.

Parmi les vulnérabilités exposées, la plus importante est ce que l’on appelle le financement de la chaîne d’approvisionnement, qui permet aux entreprises de différer les paiements aux fournisseurs, avec l’aide du financement bancaire. Selon le Wall Street Journal, certaines entreprises ont des obligations de financement de la chaîne d’approvisionnement qui éclipsent leur dette nette déclarée. Ces dettes envers les fournisseurs sont vendues par d’autres institutions financières sous forme d’obligations à court terme. Credit Suisse possède de telles obligations qui sont dues par de grandes entreprises américaines telles que Kellogg et General Mills. Avec la perturbation générale des filières de produits de base, cette chaîne financière complexe, qui est elle-même l’objet de spéculation, se trouve elle-même intrinsèquement en mode crise, ce qui crée des vulnérabilités supplémentaires dans un système financier déjà fragile[47].

*

Le SRAS-CoV-2, comme d’autres agents pathogènes dangereux qui ont émergé ou réapparu ces dernières années, est étroitement lié à un ensemble complexe de facteurs, dont 1° le développement de l’agrobusiness mondial avec ses monocultures génétiques en expansion qui augmentent la susceptibilité à la contraction des zoonoses des animaux sauvages aux animaux domestiques et aux humains; 2° la destruction des habitats sauvages et la perturbation des activités des espèces sauvages; et 3° les êtres humains vivant à leur proximité.

 

Impérialisme, classe et pandémie

Il ne fait guère de doute que les chaînes mondiales de produits de base (commodities) et les types de connectivité qu’elles ont produits sont devenus des vecteurs de transmission rapide de maladies, remettant en question tout ce modèle de développement exploiteur à l’échelle mondiale. Comme l’a écrit Stephen Roach de la Yale School of Management, ancien économiste en chef de Morgan Stanley et principal initiateur du concept d’arbitrage mondial du travail, dans le contexte de la crise du coronavirus, ce que les départements financiers des firmes voulaient, c’était «des biens à faible coût, indépendamment de ce que ces économies impliquaient en termes d’investissement dans la santé publique, ou je dirais aussi d’investissement dans la protection de l’environnement et la qualité du climat». Le résultat d’une telle approche non durable de la «rentabilité» est la crise écologique et épidémiologique mondiale actuelle et ses conséquences financières, déstabilisant encore plus un système qui présentait déjà un «accroissement excessif», caractéristique des bulles financières[48].

Actuellement, les pays riches forment l’épicentre de la pandémie Covid-19 et de ses retombées financières, mais la crise globale, intégrant ses effets économiques aussi bien qu’épidémiologiques, touchera plus durement les pays pauvres. La manière dont une crise planétaire de ce type est gérée est en fin de compte filtrée par le système de classe impérial. En mars 2020, l’équipe d’intervention Covid-19 de l’Imperial College de Londres a publié un rapport indiquant que, dans un scénario mondial où le SRAS-CoV-2 n’était pas atténué, sans distanciation sociale ni confinement social, quarante millions de personnes dans le monde mourraient, avec des taux de mortalité plus élevés dans les pays riches que dans les pays pauvres, en raison de la proportion plus importante de la population âgée de 65 ans ou plus, par rapport aux pays pauvres.

Cette analyse tenait ostensiblement compte de l’accès plus large aux soins médicaux dans les pays riches. Mais elle n’a pas tenu compte de facteurs tels que la malnutrition, la pauvreté et la plus grande vulnérabilité aux maladies infectieuses dans les pays pauvres. Néanmoins, les estimations de l’Imperial College, basées sur ces hypothèses, indiquent que dans un scénario non atténué, le nombre de décès serait de l’ordre de 15 millions en Asie de l’Est et dans le Pacifique, de 7,6 millions en Asie du Sud, de 3 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes, de 2,5 millions en Afrique subsaharienne et de 1,7 million au Moyen-Orient et en Afrique du Nord – contre 7,2 millions en Europe et en Asie centrale et environ 3 millions en Amérique du Nord[49].

Basant leur analyse sur l’approche l’Imperial College, Ahmed Mushfiq Mobarak et Zachary Barnett-Howell de l’Université de Yale ont écrit un article pour le journal de l’establishment Foreign Policy intitulé «Les pays pauvres doivent réfléchir à deux fois à la distanciation sociale». Dans leur article, Mobarak et Barnett-Howell se sont montrés très explicites, affirmant que «les modèles épidémiologiques montrent clairement que le coût de la non-intervention dans les pays riches se chiffrerait en centaines de milliers, voire en millions de morts, un résultat bien pire que la plus grave récession économique imaginable». En d’autres termes, les interventions de distanciation sociale et de confinement agressif, même avec les coûts économiques qui y sont associés, sont largement justifiées dans les sociétés à hauts revenus – pour sauver des vies.

Cependant, il n’en va pas de même, selon eux, pour les pays pauvres, car ils comptent relativement peu de personnes âgées dans l’ensemble de leur population, ce qui ne génère, selon les estimations de l’Imperial College, qu’environ la moitié du taux de mortalité. Ce modèle, admettent-ils, «ne tient pas compte de la plus grande prévalence des maladies chroniques, des affections respiratoires, de la pollution et de la malnutrition dans les pays à faible revenu, ce qui pourrait augmenter les taux de mortalité dus aux épidémies de coronavirus». Mais ignorant largement ce fait dans leur article (et dans une étude connexe menée par le département d’économie de Yale), ces auteurs insistent sur le fait qu’il serait préférable, étant donné l’appauvrissement et l’ampleur du chômage et du sous-emploi dans ces pays, que les populations ne pratiquent pas la distanciation sociale ou les tests et le confinement agressif. Ces populations devraient consacrer leurs efforts à la production économique, en gardant vraisemblablement intactes les chaînes d’approvisionnement mondiales qui commencent principalement en amont dans les pays à bas salaires[50]. Il ne fait aucun doute que la mort de dizaines de millions de personnes dans le «Sud global» est considérée par ces auteurs comme un compromis raisonnable pour la croissance continue de l’empire du capital.

Comme l’affirme Mike Davis, le capitalisme du XXIe siècle implique «un triage permanent de l’humanité… condamnant une partie de la race humaine à l’extinction». Il demande :

«Mais que se passe-t-il lorsque le Covid se répand dans des populations qui n’ont qu’un accès minimal aux médicaments et qui présentent des niveaux dramatiquement plus élevés de mauvaise nutrition, de problèmes de santé non soignés et de systèmes immunitaires endommagés? L’avantage de l’âge aura beaucoup moins de valeur pour les jeunes pauvres des bidonvilles d’Afrique et d’Asie du Sud.

Il est également possible qu’une infection massive dans les bidonvilles et les villes pauvres puisse inverser le mode d’infection du coronavirus et modifier la nature de la maladie. Avant l’apparition du SRAS en 2003, les épidémies de coronavirus hautement pathogènes étaient confinées aux animaux domestiques, surtout les porcs. Les chercheurs ont rapidement reconnu deux voies d’infection différentes: fécale-orale, qui attaquait l’estomac et les tissus intestinaux, et respiratoire, qui attaquait les poumons. Dans le premier cas, la mortalité était généralement très élevée, tandis que dans le second, les cas étaient généralement moins graves. Un faible pourcentage des cas positifs actuels, en particulier sur les navires de croisière, font état de diarrhées et de vomissements et, pour citer un rapport, “la possibilité de transmission du SRAS-CoV-2 par les eaux usées, les déchets, l’eau contaminée, les systèmes de climatisation et les aérosols ne peut pas être sous-estimée”.

La pandémie a maintenant atteint les bidonvilles d’Afrique et d’Asie du Sud, où la contamination fécale est omniprésente: dans l’eau, dans les légumes cultivés localement et sous forme de poussière emportée par le vent. (Oui, les tempêtes de merde sont réelles.) Cela favorisera-t-il la voie entérique (intestinale)? Comme dans le cas des animaux, cela conduira-t-il à des infections plus mortelles, peut-être dans toutes les tranches d’âge?»[51]

L’argument de Mike Davis met en évidence l’immoralité flagrante d’une position qui affirme que la distanciation sociale et le confinement comme la suppression agressive du virus en réponse à la pandémie devraient avoir lieu dans les pays riches et non dans les pays pauvres. De telles stratégies épidémiologiques impérialistes sont d’autant plus vicieuses qu’elles prennent la pauvreté des populations du Sud, produit de l’impérialisme, comme justification d’une approche malthusienne ou darwiniste sociale, dans laquelle des millions de personnes peuvent mourir afin de maintenir la croissance de l’économie mondiale, principalement au profit de ceux qui se trouvent au sommet du système. […][52]

Sur le plan économique, c’est le Sud dans son ensemble qui, indépendamment des effets directs de la pandémie, est destiné à payer le plus lourd tribut. L’effondrement des chaînes d’approvisionnement mondiales dû à l’annulation de commandes dans le «Nord global» (ainsi qu’à la distanciation sociale et le confinement) et le remaniement des chaînes de produits qui s’ensuivra laisseront des pays et des régions entiers dévastés[53].

Ici, il est également crucial de reconnaître que la pandémie du Covid-19 est survenue au milieu d’une guerre économique pour l’hégémonie mondiale déclenchée par l’administration de Donald Trump et dirigée contre la Chine, qui a représenté environ 37% de toute la croissance cumulée de l’économie mondiale depuis 2008[54]. En raison de la guerre tarifaire, de nombreuses entreprises américaines avaient déjà retiré leurs chaînes d’approvisionnement de la Chine. Levi’s, par exemple, a réduit sa production en Chine de 16% en 2017 à 1 ou 2% en 2019. Face à la guerre tarifaire et à la pandémie Covid-19, les deux tiers des 160 cadres interrogés dans les différentes firmes aux États-Unis ont récemment indiqué qu’ils avaient déjà déménagé, qu’ils prévoyaient de déménager ou qu’ils envisageaient de déménager leurs activités de Chine au Mexique, où les coûts unitaires de main-d’œuvre sont désormais comparables et où ils seraient plus proches des marchés américains[55]. La guerre économique de Washington contre la Chine est actuellement si féroce que l’administration Trump a refusé d’abaisser les droits de douane sur les équipements de protection individuelle, essentiels au personnel médical, jusqu’à la fin mars[56]. Trump a entre-temps nommé Peter Navarro, l’économiste chargé de sa guerre économique pour l’hégémonie avec la Chine, à la tête du Defense Production Act pour faire face à la crise Covid-19.

Dans son rôle de direction de la guerre commerciale des États-Unis contre la Chine et de coordinateur politique du Defense Production Act, Navarro a accusé la Chine d’avoir introduit un «choc commercial» qui a fait perdre «plus de cinq millions d’emplois manufacturiers et 70’000 usines» et «tué des dizaines de milliers d’Américains» en détruisant des emplois, des familles et la santé. Il déclare maintenant que cela a été suivi d’un «choc du virus chinois»[57]. Sur cette base propagandiste, Navarro a procédé à l’intégration de la politique américaine concernant la pandémie autour de la nécessité de combattre le prétendu «virus chinois» et de retirer les chaînes d’approvisionnement étasuniennes de Chine. Cependant, étant donné qu’environ un tiers de tous les produits manufacturés intermédiaires mondiaux sont actuellement fabriqués en Chine, principalement dans les secteurs de haute technologie, et que cela reste la clé de l’arbitrage mondial en matière de travail, la tentative de restructuration sera très perturbatrice, dans la mesure où elle serait toutefois possible[58].

Certaines multinationales qui avaient délocalisé leur production hors de Chine ont appris à leurs dépens que cette décision ne les «libérait» pas de leur dépendance à l’égard de ce pays. Samsung, par exemple, a commencé à transporter par avion des composants électroniques de Chine vers ses usines au Vietnam – une destination pour les entreprises désireuses d’échapper aux tarifs douaniers de la guerre commerciale. Mais le Vietnam est également vulnérable, car il dépend fortement de la Chine pour les matériaux ou les biens intermédiaires[59]. Des cas similaires se sont produits dans les pays voisins d’Asie du Sud-Est. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Indonésie, et environ 20 à 50% des matières premières pour l’industrie du pays proviennent de Chine. En février, les usines de Batam, en Indonésie, ont déjà dû faire face à un assèchement des matières premières en provenance de Chine (qui représente 70% de la production de cette région). Les entreprises de la région ont déclaré qu’elles envisageaient de se procurer des matières premières dans d’autres pays, mais «ce n’est pas vraiment facile». Pour de nombreuses usines, l’option envisageable était de «cesser complètement les activités»[60].

Des capitalistes comme Cao Dewang, le milliardaire chinois qui a créé Fuyao Glass Industry, prédit l’affaiblissement du rôle de la Chine dans la chaîne d’approvisionnement mondiale après la pandémie, mais conclut que, au moins à court terme, «il est difficile de trouver une économie pour remplacer la Chine dans la chaîne industrielle mondiale» – en invoquant les nombreuses difficultés liées aux «insuffisances des infrastructures» dans les pays d’Asie du Sud-Est, aux coûts de main-d’œuvre plus élevés dans le «Nord global» et aux obstacles que les «pays riches» doivent affronter s’ils veulent «relancer la fabrication chez eux»[61].

La crise Covid-19 ne doit pas être traitée comme le résultat d’une force extérieure ou comme un événement imprévisible de type «cygne noir», mais fait plutôt comme partie d’un ensemble de tendances de crise qui sont largement prévisibles, mais pas en termes de calendrier réel. Aujourd’hui, le centre du système capitaliste est confronté à une stagnation séculaire en termes de production et d’investissement, comptant pour son expansion et son accumulation de richesses au sommet sur des taux d’intérêt historiquement bas, des montants élevés de dettes, la fuite des capitaux du reste du monde et la spéculation financière. L’inégalité des revenus et des richesses atteint des niveaux pour lesquels il n’existe aucune analogie historique. La faille dans l’écologie mondiale a atteint des proportions planétaires et crée un environnement planétaire qui ne constitue plus un lieu sûr pour l’humanité. De nouvelles pandémies apparaissent sur la base d’un système de capital financier monopolistique mondial qui s’est imposé comme le principal vecteur de maladie. Partout, les systèmes étatiques régressent vers des niveaux de répression plus élevés, que ce soit sous le manteau du néolibéralisme ou du néofascisme.

La nature extraordinairement exploitatrice et destructrice du système est évidente dans le fait que les ouvriers du monde entier ont été déclarés travailleurs essentiels des infrastructures critiques (un concept formalisé aux États-Unis par le ministère de la Sécurité intérieure). Ils sont censés effectuer la production la plupart du temps sans équipement de protection, tandis que les classes les plus privilégiées et pas indispensables prennent socialement leurs distances[62]. Un véritable confinement serait beaucoup plus étendu et nécessiterait un approvisionnement et une planification étatique, assurant la protection de toute la population, plutôt que de se concentrer sur le sauvetage des intérêts financiers. C’est précisément en raison de la nature de classe de la mise à distance sociale, ainsi que de l’accès aux revenus, au logement, aux ressources et aux soins médicaux, que la morbidité et la mortalité dues à Covid-19 aux États-Unis tombent principalement sur les populations de couleur, où les conditions d’injustice économique et environnementale sont les plus graves[63].

 

La production sociale et le métabolisme planétaire

La vision matérialiste de Marx repose sur ce qu’il appelle «la hiérarchie des besoins»[64]. Cela signifie que les êtres humains sont des êtres concrets (charnels) faisant partie du monde naturel, et qu’ils y créent leur propre monde social. En tant qu’êtres charnels, ils devaient d’abord satisfaire leurs besoins matériels en mangeant et en buvant, en s’assurant de la nourriture, d’un abri, de vêtements et des conditions de base d’une existence saine, avant de poursuivre leurs besoins de développement plus élevés, nécessaires à la pleine réalisation du potentiel humain[65].

Pourtant, dans les sociétés de classes, la grande majorité, les véritables producteurs, étaient toujours relégués dans des conditions où ils étaient retenus dans une lutte constante pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Cela n’a pas fondamentalement changé. Malgré l’énorme richesse créée au cours de siècles de croissance, des millions et des millions de personnes, même dans la société capitaliste la plus riche, restent dans une situation précaire en ce qui concerne des éléments vitaux de base tels que la sécurité alimentaire, le logement, l’eau potable, les soins de santé et les transports – cela dans un contexte où trois milliardaires aux États-Unis possèdent autant de richesses que la moitié inférieure de la population.

Pendant ce temps, les environnements locaux et régionaux ont été mis en danger, tout comme l’ensemble des écosystèmes mondiaux et le système terrestre lui-même en tant que lieu sûr pour l’humanité. L’accent mis sur les «économies» mondiales (euphémisme pour main-d’œuvre et terres bon marché) a conduit le capital transnational à créer un système complexe de chaînes mondiales de produits de base, conçu en tout point pour maximiser la surexploitation de la main-d’œuvre à l’échelle mondiale, tout en transformant le monde entier en un marché immobilier, en grande partie pour le fonctionnement de l’agrobusiness. Il en a résulté un vaste drainage des surplus de la périphérie du système mondial et un pillage des biens communs de la planète.

Dans le système étroit de comptabilité de la valeur employé par le capital, la plupart de l’existence matérielle, y compris l’ensemble du système terrestre et les conditions sociales des êtres humains, dans la mesure où elles n’entrent pas dans le marché, sont considérées comme des externalités, à voler et à dépouiller dans l’intérêt de l’accumulation du capital. Ce qui a été qualifié à tort de «tragédie des biens communs» est mieux compris, comme l’a souligné Guy Standing dans Plunder of the Commons.A Manifesto for Sharing Public Wealth (Pelican Book, 2019), comme «la tragédie de la privatisation». Aujourd’hui, le célèbre paradoxe de Lauderdale, introduit par le comte de Lauderdale au début du XIXe siècle, dans lequel les richesses publiques sont détruites pour enrichir les richesses privées, a pour champ d’action la planète entière[66].

Les circuits du capital de l’impérialisme tardif ont pris toute la mesure de ces tendances, générant une crise écologique planétaire qui se développe rapidement et menace d’engloutir la civilisation humaine telle que nous la connaissons; une véritable tempête de catastrophe. Cela vient s’ajouter à un système d’accumulation qui est séparé de tout ordre rationnel des besoins de la population, indépendamment de son rapport à l’argent[67]. L’accumulation et l’accumulation de richesses en général dépendent de plus en plus de la prolifération des déchets de toutes sortes. Au milieu de cette catastrophe, une nouvelle guerre froide et une probabilité croissante de destruction thermonucléaire ont émergé, avec au premier plan des États-Unis de plus en plus instables et agressifs. Cela a conduit le Bulletin of Atomic Scientists à déplacer sa célèbre horloge du jugement dernier à 100 secondes avant minuit, la plus proche de minuit depuis que l’horloge a commencé à fonctionner en 1947[68].

La pandémie Covid-19 et la menace de pandémies croissantes et plus meurtrières sont le produit de ce même développement impérialiste tardif. Les chaînes d’exploitation et d’expropriation mondiales ont déstabilisé non seulement les écologies, mais aussi les relations entre les espèces, créant une infusion toxique de pathogènes. Tout cela peut être considéré comme le résultat de l’introduction de l’agrobusiness avec ses monocultures génétiques, de la destruction massive des écosystèmes par le mélange incontrôlé des espèces et d’un système de valorisation mondialisée basé sur le traitement des terres, des corps, des espèces et des écosystèmes comme autant de «cadeaux gratuits» à exproprier, sans tenir compte des limites naturelles et sociales.

Les nouveaux virus ne sont pas non plus le seul problème de santé mondial qui émerge. L’utilisation excessive d’antibiotiques dans l’industrie agroalimentaire et la médecine moderne a entraîné la croissance dangereuse de superbactéries, ce qui a provoqué un nombre croissant de décès. Ce nombre pourrait dépasser, d’ici le milieu du siècle, le nombre annuel de décès par cancer, et a incité l’Organisation mondiale de la santé à déclarer une «urgence sanitaire mondiale»[69]. Comme les maladies transmissibles, dues aux conditions inégales de la société de classe capitaliste, frappent surtout la classe ouvrière et les pauvres, ainsi que les populations de la périphérie, le système qui génère ces maladies dans la poursuite de la richesse quantitative peut être accusé, comme l’ont fait Engels et les Chartistes au XIXe siècle, de meurtre social. Comme l’ont suggéré les développements révolutionnaires de l’épidémiologie représentés par «One Health» et «Structural One Health», l’étiologie des nouvelles pandémies peut être rattachée au problème global de la destruction écologique provoquée par le capitalisme.

Ici, la nécessité d’une «reconstitution révolutionnaire de la société dans son ensemble» se fait à nouveau sentir, comme cela a été le cas tant de fois dans le passé[70]. La logique du développement historique contemporain souligne la nécessité d’un système de reproduction métabolique sociale davantage basé sur les collectivités, dans lequel les producteurs associés régulent rationnellement leur métabolisme social avec la nature, de manière à promouvoir le libre développement de chacun comme base du libre développement de tous, tout en conservant l’énergie et l’environnement[71]. L’avenir de l’humanité au XXIe siècle ne peut se perpétuer dans le sens d’une exploitation/expropriation économique et écologique accrue, de l’impérialisme et de la guerre. Au contraire, ce que Marx appelait «la liberté en général» et la préservation d’un «métabolisme planétaire» viable sont les nécessités les plus urgentes aujourd’hui pour déterminer le présent et l’avenir de l’humanité, et même sa survie[72].

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Article publié dans la Monthly Review le 1er juin 2020.

John Bellamy Foster, éditeur de la Monthly Review est l’auteur de nombreux ouvrages connus. Nous citerons ici son dernier, publié en juin 2020 : The Return of Nature. Socialism and Ecology. On pourra lire un extrait de son livre Marx écologiste ici.

Intan Suwandi est l’auteur de l’ouvrage Value Chains. The New Economic Imperialism (Ed. The Monthly Review Press, 2019).

Traduction par la revue À l’Encontre.

 

Notes

[1] See John Bellamy Foster, “Late Imperialism,” Monthly Review 71, no. 3 (July–August 2019): 1–19; Samir Amin, Modern Imperialism, Monopoly Finance Capital, and Marx’s Law of Value (New York: Monthly Review Press, 2018).

[2] On the global labor arbitrage and commodity chains, see Intan Suwandi, Value Chains (New York: Monthly Review Press, 2019), 32–33, 53–54. Our statistical analysis of unit labor costs was done collaboratively with R. Jamil Jonna, also published as “Global Commodity Chains and the New Imperialism,” Monthly Review 70, no. 10 (March 2019): 1–24. On the global land arbitrage, see Eric Holt-Giménez, A Foodie’s Guide to Capitalism (New York: Monthly Review Press, 2017), 102–4.

[3] Evan Tarver, “Value Chain vs. Supply Chain,” Investopedia, March 24, 2020.

[4] Karl Marx, “The Value Form,” Capital and Class 2, no. 1 (1978): 134; Karl Marx and Frederick Engels, Collected Works, vol. 36 (New York: International Publishers, 1996), 63. See also Karl Marx, Capital, vol. 1 (London: Penguin, 1976), 156, 215; Marx, Capital, vol. 2 (London: Penguin, 1978), 136–37.

[5] Rudolf Hilferding, Finance Capital (London: Routledge, 1981), 60.

[6] Terence Hopkins and Immanuel Wallerstein, “Commodity Chains in the World Economy Prior to 1800,” Review 10, no. 1 (1986): 157–70.

[7] Karl Marx, Capital, vol. 3 (London: Penguin, 1981), 949–50; Marx, Capital, vol. 1, 348–49.

[8] Karl Marx, Capital, vol. 3 (London: Penguin, 1981), 949–50; Marx, Capital, vol. 1, 348–49.

[9] Robert G. Wallace, Luke Bergmann, Richard Kock, Marius Gilbert, Lenny Hogerwerf, Rodrick Wallace, and Mollie Holmberg, “The Dawn of Structural One Health: A New Science Tracking Disease Emergence Along Circuits of Capital,” Social Science and Medicine 129 (2015): 68–77; Rob [Robert G.] Wallace, “We Need a Structural One Health,” Farming Pathogens, August 3, 2012; J. Zinsstag, “Convergence of EcoHealth and One Health,” Ecohealth 9, no. 4 (2012): 371–73; Victor Galaz, Melissa Leach, Ian Scoones, and Christian Stein, “The Political Economy of One Health,” STEPS Centre, Political Economy of Knowledge and Policy Working Paper Series (2015).

[10] Rodrick Wallace, Luis Fernando Chavez, Luke R. Bergmann, Constância Ayres, Lenny Hogerwerf, Richard Kock, and Robert G. Wallace, Clear-Cutting Disease Control: Capital-Led Deforestation, Public Health Austerity, and Vector-Borne Infection (Cham, Switzerland: Springer, 2018), 2.

[11] Wallace et al., “The Dawn of Structural One Health,” 70–72; Wallace, “We Need a Structural One Health”; Rob Wallace, Alex Liebman, Luis Fernando Chaves, and Rodrick Wallace, “COVID-19 and Circuits of Capital,” Monthly Review 72, no.1 (May 2020): 12; István Mészáros, Beyond Capital (New York: Monthly Review Press, 1995); Richard Levins and Richard Lewontin, The Dialectical Biologist (Cambridge, MA: Harvard University Press, 1985).

[12] Rob Wallace, Big Farms Make Big Flu (New York: Monthly Review Press, 2016), 60–61, 118, 120–21, 217–19, 236, 332; Rob Wallace, “Notes on a Novel Coronavirus,” MR Online, January 29, 2020. On the Lauderdale Paradox, see John Bellamy Foster, Brett Clark, and Richard York, The Ecological Rift (New York: Monthly Review Press, 2010), 53–72.

[13] See John Bellamy Foster, The Return of Nature (New York: Monthly Review Press, 2020), 61-64, 172-204; Frederick Engels, The Condition of the Working Class in England (Chicago: Academy Chicago, 1984); E. Ray Lankester, The Kingdom of Man (New York: Henry Holt, 1911), 31–33, 159–91; Richard Levins, “Is Capitalism a Disease?,” Monthly Review 52, no. 4 (September 2000): 8–33. See also Howard Waitzkin, The Second Sickness (New York: Free Press, 1983).

[14] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 53.

[15] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 49.

[16] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 33–34.

[17] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 81.

[18] Mathilde Paul, Virginie Baritaux, Sirichai Wongnarkpet, Chaitep Poolkhet, Weerapong Thanapongtharm, François Roger, Pascal Bonnet, and Christian Ducrot, “Practices Associated with Highly Pathogenic Avian Influenza Spread in Traditional Poultry Marketing Chains,” Acta Tropica 126 (2013): 43–53.

[19] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 306; Wallace et al., “The Dawn of Structural One Health,” 69, 71, 73.

[20] Wallace et al., “COVID-19 and Circuits of Capital,” 11

[21] Holt-Giménez, A Foodie’s Guide to Capitalism, 102–5.

[22] Philip McMichael, “Feeding the World,” in Socialist Register 2007: Coming to Terms with Nature, ed. Leo Panitch and Colin Leys (New York: Monthly Review Press, 2007), 180.

[23] Farshad Araghi, “The Great Global Enclosure of Our Times,” in Hungry for Profit, ed. Fred Magdoff, John Bellamy Foster, and Fredrick H. Buttel (New York: Monthly Review Press, 2000), 145–60.

[24] Wallace et. al., “COVID-19 and Circuits of Capital,” 6; Mike Davis, Planet of Slums (London: Verso, 2016); Mike Davis interviewed by Mada Masr, “Mike Davis on Pandemics, Super-Capitalism, and the Struggles of Tomorrow,” Mada Masr, March 30, 2020.

[25] Wallace, Big Farms Make Big Flu, 61. On the significance of the concepts of the residual and residues for dialectics, see J. D. Bernal, “Dialectical Materialism,” in Aspects of Dialectical Materialism, ed. Hyman Levy et. al (London: Watts and Co., 1934), 103–4; Henri Lefebvre, Metaphilosophy (London: Verso, 2016), 299–300.

[26] Karl Marx and Frederick Engels, Collected Works, vol. 25 (New York: International Publishers, 1975), 460–61; Lankester, The Kingdom of Man, 159.

[27] Matt Leonard, “What Procurement Managers Should Expect from a Bullwhip on Crack,” Supply Chain Dive, March 26, 2020.

[28] On time-based competition and just-in-time production, see “What Is Time-Based Competition,” Boston Consulting Group.

[29] Suwandi, Value Chains, 59–61; John Smith, Imperialism in the Twenty-First Century (New York: Monthly Review Press, 2016).

[30] Walden Bello, “Coronavirus and the Death of ‘Connectivity,’” Foreign Policy in Focus, March 22, 2010; “Annual Growth in Global Air Traffic Passenger Demand from 2006 to 2020,” Statista, accessed April 22, 2020.

[31] Shannon K. O’Neil, “How to Pandemic Proof Globalization,” Foreign Affairs, April 1, 2020.

[32] Stefano Feltri, “Why Coronavirus Triggered the First Global Supply Chain Crisis,” Pro-Market, March 5, 2020.

[33] Elisabeth Braw, “Blindsided on the Supply Side,” Foreign Policy, March 4, 2020.

[34] Francisco Betti and Per Kristian Hong, “Coronavirus Is Disrupting Global Value Chains. Here’s How Companies Can Respond,” World Economic Forum, February 27, 2020; Braw, “Blindsided on the Supply Side.”

[35] Braw, “Blindsided on the Supply Side”; Thomas Y. Choi, Dale Rogers, and Bindiya Vakil, “Coronavirus is a Wake-Up Call for Supply Chain Management,” Harvard Business Review, March 27, 2020.

[36] “Nearly 3 Billion People Around the Globe Under COVID-19 Lockdowns,” World Economic Forum, March 26, 2020.

[37] Lizzie O’Leary, “The Modern Supply Chain Is Snapping,” Atlantic, March 19, 2020.

[38] Choi et. al., “Coronavirus is a Wake-Up Call for Supply Chain Management”; Willy Shih, “COVID-19 and Global Supply Chains: Watch Out for Bullwhip Effects,” Forbes, February 21, 2020.

[39] “Estimated March Imports Hit Five Year-Low, Declines Expected to Continue Amid Pandemic,” National Retail Federation, April 7, 2020.

[40] Emma Cosgrove, “FAA Offers Safety Guidance for Passenger Planes Ferrying Cargo,” Supply Chain Dive, April 17, 2020.

[41] “Trade Set to Plunge as COVID-19 Pandemic Upends Global Economy,” World Trade Organization, April 8, 2020; S. L. Fuller, “WTO: 2020 Trade Levels Could Rival the Great Depression,” Supply Chain Dive, April 9, 2020.

[42] Deborah Abrams Kaplan, “Why Supply Chain Data is King in the Coronavirus Pandemic,” Supply Chain Dive, April 7, 2020; O’Leary, “The Modern Supply Chain Is Snapping”; Chad P. Bown, “COVID-19: Trump’s Curbs on Exports of Medical Gear Put Americans and Others at Risk,” Peterson Institute for International Economics, April 9, 2020; Shefali Kapadia, “From Section 301 to COVID-19,” Supply Chain Dive, March 31, 2020.

[43] Finbarr Bermingham, Sidney Leng, and Echo Xie, “China Ramps Up COVID-19 Test Kit Exports Amid Global Shortage, as Domestic Demand Dries Up,” South China Morning Post, March 30, 2020.

[44] Kapadia, “From Section 301 to COVID-19”; “Companies’ Supply Chains Vulnerable to Coronavirus Shocks,” Financial Times, March 8, 2020; Bermingham, Leng, and Xie, “China Ramps Up COVID-19 Test Kit Exports.”

[45] “COVID-19: Where Is Your Supply Chain Disruption?,” Future of Sourcing, April 3, 2020.

[46] Thomas A. Foster, “Risky Business: The True Cost of Supply-Side Disruptions,” Supply Chain Brain, May 1, 2005; Kevin Hendricks and Vinod R. Singhal, “The Effect of Supply Chain Disruptions on Long-Term Shareholder Profitability, and Share Price Volatility,” June 2005, available at http://supplychainmagazine.fr.

[47] “Supply-Chain Finance is New Risk in Crisis,” Wall Street Journal, April 4, 2020; “CNE/CIS Trade Finance Survey 2017,” BNE Intellinews, April 3, 2017.

[48] Stephen Roach, “This Is Not the Usual Buy-on-Dips Market,” Economic Times, March 18, 2020.

[49] COVID-19 Response Team, Imperial College, Report 12: The Global Impact of COVID-19 and Strategies for Mitigation and Suppression (London: Imperial College, 2020), 3–4, 11.

[50] Ahmed Mushfiq Mobarak and Zachary Barnett-Howell, “Poor Countries Need to Think Twice About Social Distancing,” Foreign Policy, April 10, 2020; Zachary Barnett-Howell and Ahmed Mushfiq Mobarak, “The Benefits and Costs of Social Distancing in Rich and Poor Countries,” ArXiv, April 10, 2020.

[51] Davis, “Mike Davis on Pandemics, Super-Capitalism, and the Struggles of Tomorrow.”

[52] “President Maduro: Venezuela Faces the COVID-19 With Voluntary Quarantine Without Curfew or State of Exception,” Orinoco Tribune, April 18, 2020; Frederico Fuentes, “Venezuela: Community Organization Key to Fighting COVID-19,” Green Left, April 9, 2020.

[53] “Analysis: The Pandemic Is Ravaging the World’s Poor Even If They Are Untouched by the Virus,” Washington Post, April 15, 2020; Matt Leonard, “India, Bangladesh Close Factories Amid Coronavirus Lockdown,” Supply Chain Dive, March 26, 2020; Finbarr Bermingham, “Global Trade Braces for ‘Tidal Wave’ Ahead, as Shutdown Batters Supply Chains,” South China Morning Post, April 3, 2020; I. P. Singh, “Punjab: ‘No Orders, No Raw Material,’” Times of India, April 1, 2020.

[54] Roach, “This Is Not the Usual Buy-On-Dips Market.

[55] Kapadia, “From Section 301 to COVID-19.”

[56] Bown, “COVID-19: Trump’s Curbs on Exports of Medical Gear.”

[57] David Ruccio, “The China Syndrome,” Occasional Links and Commentary, April 14, 2020; Alan Rappeport, “Navarro Calls Medical Experts ‘Tone Deaf’ Over Coronavirus Shutdown,” New York Times, April 13, 2020; John Bellamy Foster, Trump in the White House (New York: Monthly Review Press, 2017), 84–85.

[58] Cary Huang, “Is the Coronavirus Fatal for Economic Globalisation?,” South China Morning Post, March 15, 2020; Frank Tang, “American Factory Boss Says Pandemic Will Change China’s Role in Global Supply Chain,”South China Morning Post, April 15, 2020.

[59] John Reed and Song Jung-a, “Samsung Flies Phone Parts to Vietnam After Coronavirus Hits Supply Chains,” Financial Times, February 16, 2020; Finbarr Bermingham, “Vietnam Lured Factories During Trade War, but Now Faces Big Hit as Parts from China Stop Flowing,” South China Morning Post, February 28, 2020.

[60] Fadli, “Batam Factories at Risk as Coronavirus Outbreak Stops Shipments of Raw Materials from China,” Jakarta Post, February 18, 2020; “Covid-19: Indonesia Waives Income Tax for Manufacturing Workers for Six Months,” Star, March 16, 2020.

[61] Tang, “American Factory Boss Says Pandemic Will Change China’s Role in Global Supply Chain.”

[62] Christopher C. Krebs, “Advisory Memorandum on Identification of Essential Critical Infrastructure Workers,” U.S. Department of Homeland Security, March 28, 2020.

[63] Lauren Chambers, “Data Show that COVID-19 is Hitting Essential Workers and People of Color Hardest,” Data for Justice Project, American Civil Liberties Union, April 7, 2020.

[64] Karl Marx, Texts on Method (Oxford: Basil Blackwell, 1975), 195.

[65] Frederick Engels, “The Funeral of Karl Marx,” in Karl Marx Remembered, ed. Philip S. Foner (San Francisco: Synthesis, 1983), 39.

[66] Guy Standing, Plunder of the Commons: A Manifesto for Sharing Public Health (London: Pelican, 2019), 49; John Bellamy Foster and Brett Clark, The Robbery of Nature (New York: Monthly Review Press, 2020), 167–72.

[67] John Bellamy Foster and Robert W. McChesney, The Endless Crisis (New York: Monthly Review Press, 2012).

[68] “It’s Now 100 Seconds to Midnight,” Bulletin of Atomic Scientists, January 23, 2020.

[69] “Microbial Resistance a Global Health Emergency,” UN News, November 12, 2018; Ian Angus, “Superbugs in the Anthropocene,” Monthly Review 71, no. 2 (June 2019).

[70] Karl Marx and Frederick Engels, The Communist Manifesto (New York: Monthly Review Press, 1964), 2.

[71] Karl Marx, Capital, vol. 3, 949.

[72] Karl Marx and Frederick Engels, Collected Works, vol. 1 (New York: International Publishers, 1975), 173; Wallace et al., “COVID-19 et les routes du capital”.

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