Loi « sécurité globale » : « un outil pour permettre aux forces de l’ordre de cacher leurs dérapages »

Journalistes indépendants, collectifs, associations et syndicats se mobilisent contre un texte qu’ils jugent « liberticide ».

Par  Publié le 05 novembre 2020

Saisies d’écran d’une vidéo prise par un manifestant montrant une intervention de la police en marge d’une manifestation des « gilets jaunes », le 18 janvier, à Paris. Après publication de cette vidéo, une enquête IGPN a été ouverte.

Des pavés qui volent, des coups de matraque qui pleuvent, des gens hagards, blessés, en sang, à terre. Ces images témoignant d’exactions commises par les forces de l’ordre, David Dufresne, le réalisateur du documentaire de cinéma Un pays qui se tient sage, voulait qu’elles soient projetées sur grand écran. « Pour qu’on arrête de scroller, et qu’on les regarde vraiment », justifie le journaliste et écrivain, à l’origine du hashtag #AlloPlaceBeauvau documentant les violences policières lors des actes des « gilets jaunes ». Or le but de la loi qui est proposée, c’est de faire en sorte qu’on ne les voie même pas. »

Si l’article 24 de la proposition de loi « pour une sécurité globale » existait déjà, il n’aurait tout simplement pas pu faire aboutir son travail. « Sur les 55 sources d’images rassemblées dans le film, une trentaine tomberaient sous le coup de la loi », assure-t-il. A ses yeux, c’est bel et bien la source des réseaux sociaux, alimentée par des vidéastes amateurs ou professionnels (et dans laquelle il a lui-même puisé), que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, souhaite tarir. « C’est-à-dire le canal par lequel le débat sur les violences policières s’est imposé », constate-t-il, amer.

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Ce texte constitue « un outil qui va permettre aux forces de l’ordre de cacher leurs dérapages », critique à son tour Maxime Reynié, photographe indépendant et fondateur du site maintiendelordre.fr. Dans un thread publié sur Twitter lundi 2 novembre, il a apporté la preuve qu’un même policier avait porté des coups sur des hommes et des femmes au cours de plusieurs manifestations différentes. Un travail proche de celui de son confrère destiné, en l’occurrence, à alerter ses abonnés sur cette « mauvaise chose pour la presse » – comme l’a fait le collectif Reporters en colère, du reporter et militant Taha Bouhafs et du journaliste Gaspard Glanz. « Techniquement, il ne sera plus possible de faire des lives depuis les manifestations, argumente-t-il. Il faudrait flouter les visages. Non seulement c’est long et compliqué, mais la plupart des gens ne savent pas le faire. »

Les « risques du direct »

Dans un communiqué publié mercredi soir qui dénonce « un texte dangereux pour la liberté de la presse », Reporters sans frontières pointe ce qu’elle appelle les « risques du direct »« Face à un journaliste en train de les filmer, explique l’ONG, des policiers pourraient présumer que ses images sont diffusées en direct dans le but de leur nuire, et pourront alors procéder à son arrestation en flagrant délit pour qu’il soit poursuivi. » Le reporter pourrait être ainsi empêché de couvrir un événement, ce qui « provoquerait un effet dissuasif, voire d’autocensure, sur le reste de la profession », s’alarme Pauline Adès-Mevel, la porte-parole de l’organisation, qui rappelle que la loi de 1881 sur la liberté de la presse ne « prévoyait jusqu’ici pratiquement aucune peine de privation de liberté ».

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La rédactrice en chef de RSF s’efforce toutefois de tempérer ses inquiétudes. « Ce texte ne vise que les images qui seraient diffusées avec intention de nuire », rappelle-t-elle. La disposition précise en effet que les vidéos devraient avoir « pour but de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique » du policier ou du gendarme filmé pour être considérées comme punissables. « Cette intention devant être prouvée, on ne voit pas comme un juge pourrait mettre en cause un journaliste professionnel qui n’est pas dans une démarche vindicative », déclare-t-elle. Une distinction qui paraît difficile à effectuer, a fortiori dans le vif de l’événement. « Ce sont bien souvent les journalistes indépendants, précaires, qui se retrouvent en première ligne lors des manifestations, remarque à ce propos Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT. Ils font des images que les médias mainstream sont susceptibles de diffuser à leur tour. »

En septembre déjà, une quarantaine de sociétés de journalistes avaient signé un communiqué commun pour demander au ministre de l’intérieur de renoncer à certaines dispositions du nouveau schéma national de maintien de l’ordre, susceptibles de « porter atteinte à la liberté d’informer »« On a l’impression d’être attaqués de partout », conclut Emmanuel Vire.

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