26.décembre.2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Dans cet article abrégé publié par le London Daily Mirror basé sur son film de 1975, Smashing Kids [Ecraser les enfants, NdT], John Pilger décrit la classe sociale comme la maladie la plus virulente de Grande-Bretagne, causant des niveaux records de pauvreté infantile.
Lorsque j’ai fait mon premier rapport sur la pauvreté des enfants en Grande-Bretagne, j’ai été frappé par les visages des enfants à qui j’ai parlé, surtout les yeux. Ils étaient différents : vigilants, craintifs.
À Hackney, en 1975, j’ai filmé la famille d’Irene Brunsden. Irene m’a dit qu’elle avait donné à son enfant de deux ans une assiette de cornflakes. « Elle ne me dit pas qu’elle a faim, elle se contente de gémir. Quand elle gémit, je sais que quelque chose ne va pas. »
« Combien d’argent avez-vous dans la maison ? » ai-je demandé.
« Cinq pence », m’a-t-elle répondu.
Irène a dit qu’elle pourrait être obligée de se prostituer, « pour le bien du bébé ». Son mari Jim, qui est camionneur et ne pouvait pas travailler pour cause de maladie, était à côté d’elle. C’était comme s’ils partageaient un deuil privé.
C’est ce que fait la pauvreté. Selon mon expérience, ses dégâts sont comme ceux de la guerre ; ils peuvent durer toute une vie, se propager aux proches et contaminer la génération suivante. Ils retardent les enfants, provoquent une multitude de maladies et, comme me l’a dit Harry Hopwood, un chômeur de Liverpool, « c’est comme être en prison. »
Cette prison a des murs invisibles. Lorsque j’ai demandé à la jeune fille de Harry si elle pensait qu’un jour elle vivrait une vie comme les enfants plus aisés, elle m’a répondu sans hésiter : « Non. »
Qu’est-ce qui a changé 45 ans plus tard ? Au moins un membre d’une famille démunie a des chances d’avoir un emploi – un emploi qui lui refuse un salaire décent. Incroyable, bien que la pauvreté soit plus déguisée, d’innombrables enfants britanniques se couchent encore le ventre vide et se voient impitoyablement refuser des chances…
Ce qui n’a pas changé, c’est que la pauvreté est le résultat d’une maladie encore virulente mais dont on parle rarement : la classe.
Les études successives montrent que les personnes qui souffrent et meurent précocement des maladies de la pauvreté provoquées par une mauvaise alimentation, des logements insalubres et les priorités de l’élite politique et de ses fonctionnaires « sociaux » hostiles, sont des travailleurs. En 2020, un enfant britannique d’âge préscolaire sur trois souffre ainsi.
En réalisant mon récent film, The Dirty War (La guerre sale, NdT) sur la NHS (National Health Service, le service de santé publique du Royaume-Uni, NdT), il m’est apparu clairement que les coupes sauvages dans le NHS et sa privatisation par les gouvernements Blair, Cameron, May et Johnson avaient dévasté les personnes vulnérables, dont de nombreux travailleurs du NHS et leurs familles. J’ai interrogé une employée du NHS mal payée qui ne pouvait pas régler son loyer et qui a été forcée de dormir dans des églises ou dans la rue.
Dans une banque alimentaire du centre de Londres, j’ai observé de jeunes mères regarder nerveusement autour d’elles alors qu’elles s’empressaient de partir avec de vieux sacs Tesco remplis de nourriture et de lessive, et des protections qu’elles ne pouvaient plus s’offrir, leurs jeunes enfants s’accrochant à eux. Il n’est pas exagéré de dire que j’avais parfois l’impression de marcher sur les traces de Dickens.
Boris Johnson a affirmé que moins de 400 000 enfants vivent dans la pauvreté depuis 2010, date à laquelle les Conservateurs sont arrivés au pouvoir. C’est un mensonge, comme l’a confirmé le commissaire à l’Enfance. En fait, plus de 600 000 enfants sont tombés dans la pauvreté depuis 2012 ; le total devrait dépasser les 5 millions. Il s’agit, selon certains, d’une guerre de classes contre les enfants.
L’ancien élève d’Eton Boris Johnson est peut-être une caricature de la classe des enfants nés pour gouverner, mais son « élite » n’est pas la seule. Tous les partis au Parlement, notamment, sinon surtout, le Parti travailliste – comme une grande partie de la bureaucratie et la plupart des médias – n’ont que peu ou pas de liens avec la « rue », le monde des pauvres, l’économie de marché, le système de crédit universel qui peut vous laisser sans un sou et dans le désespoir.
La semaine dernière, le Premier ministre et sa caste ont montré où se situaient leurs priorités. Face à la plus grande crise sanitaire de mémoire d’homme, alors que la Grande-Bretagne a le plus grand nombre de décès dus au syndrome de la Covid-19 en Europe et que la pauvreté s’accélère en raison d’une politique punitive « d’austérité », il a annoncé 16,5 milliards de livres sterling pour la « défense ». Cela fait de la Grande-Bretagne, dont les bases militaires couvrent le monde entier, le pays qui dépense le plus en Europe dans le domaine militaire.
Et l’ennemi ? Le vrai est la pauvreté et ceux qui l’imposent et la perpétuent.
Le film de John Pilger de 1975, Smashing Kids, peut être regardé sur http://johnpilger.com/videos/smashing-kids
John Pilger est un journaliste et cinéaste australo-britannique vivant à Londres. Le site web de Pilger est : www.johnpilger.com. En 2017, la British Library a annoncé la création d’archives John Pilger rassemblant toutes ses œuvres écrites et filmées. Le British Film Institute inscrit son film de 1979, Year Zero : the Silent Death of Cambodia (Année zéro : la mort silencieuse du Cambodge, NdT), parmi les 10 documentaires les plus importants du 20ème siècle. Certaines de ses précédentes contributions à Consortium News peuvent être consultées ici.
Source : Consortium News, John Pilger, 26-11-2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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