Gilets Jaunes (tome 2) : Acte après acte, l’écriture d’une pièce

Le mouvement des Gilets jaues se donne le temps d’une respiration démocratique et ne cède en rien sur les agendas et les calendriers qu’on veut lui imposer. Il exprime, à sa façon, les possibilités d’une organisation autogérée de la société, d’un autogouvernement populaire1.

De Commercy à Saint-Nazaire, ces lignes que nous écrivions dès le début du mois de décembre 2018 nous semblent résonner plus fort que jamais dans un imaginaire collectif qui s’arroge de nouveau le droit à l’alternative.

Des maisons du peuple aux assemblées de villes et de villages, le défaitisme des dernières années cède la place à la construction tâtonnante, patiente et déterminée, d’un horizon politique par et pour le peuple. Le besoin de coordination et d’unité a rassemblé des centaines de délégations sur les côtes saint-nazairiennes et on se prend désormais à rêver toujours plus loin.

Malgré les efforts déployés par le pouvoir pour expulser les Gilets jaunes des espaces publics et pour réprimer violemment la contestation sociale, rien n’y fait2. La propagande médiatique est en surrégime mais le mouvement continue d’inventer des lieux de délibération collective, d’échange et de solidarité, de résister en nombre dans les rues des villes chaque week-end, d’être soutenu par une majorité de la population. Mieux, il ricoche sur des pans de plus en plus larges de la société.

Des assistantes maternelles en gilets roses, jusque-là peu organisées, en sont à leur troisième mobilisation nationale et construisent déjà des alliances avec les chômeur·euses et les précaires. Des éboueurs de l’agglomération lyonnaise en gilets orange gagnent un conflit dur après dix-sept jours de grève. Des Stylos rouges font des marelles « politiques » au milieu des cortèges d’enseignant·es. Des Blouses blanches de l’hôpital universitaire de Besançon s’associent aux Gilets jaunes pour défendre un service public gratuit et de qualité. Des personnes handicapé·es en gilets bleus dénoncent, dans les rues de Carcassonne, un espace public qui exclut systématiquement des segments de la population. Sans parler des milliers de retraité·es déjà aux avant-postes sur bien des ronds-points et qui pourraient bien enfiler un gilet gris pour défendre les retraites.

Car d’acte en acte, le jaune cristallise l’envie de justice sociale, de démocratie et construit une pièce où chacun·e des acteur·trices peut jouer sa propre partition. Laquelle se joue et s’accorde dans un ensemble qui donne bien du fil à retordre aux tenants de l’ordre du monde. L’ébullition sociale contamine en effet la myriade de luttes aux quatre coins de la société pendant qu’une dignité retrouvée donne de l’élan combatif aux groupes sociaux discriminés, opprimés et exploités.

Peu ou prou, les organisations syndicales et associatives semblent elles aussi prises par le vent nouveau que les Gilets jaunes ont fait souffler, par cette atmosphère de sursaut social. Si, dans trop d’endroits, les premiers temps ont été difficiles et les clivages toujours vivaces, la nécessité commune de s’allier pour gagner et les combats communs ont entraîné des débats et des repositionnements significatifs. Des alliances se construisent ainsi sur des bases solides. Dans plusieurs département, CGT, Solidaires, FSU, mais aussi FO, voire CFTC, et Gilets jaunes ont appelé ensemble à la grève et à la généralisation des blocages et des alternatives sur et en dehors des lieux de travail3. C’est une tournure « nouvelle » d’intersyndicale en forme de Bourse du travail première manière que proposent les assemblées de Commercy et de Saint-Nazaire et qui devrait permettre d’élargir et d’amplifier la mobilisation et les convergences dans les territoires et les entreprises.

La haie d’honneur faite par les Gilets jaunes montpelliérains à la marche contre les violences sexistes et sexuelles en novembre dernier, la journée du 8 mars qui s’est étendue au samedi 9, ainsi que les dimanches de mobilisation sont autant d’épisodes d’une convergence entre féministes et femmes Gilets jaunes qui s’approfondit dans l’action et par le débat.

À Paris, des organisations antiracistes et de racisé·es ont fait cortège commun avec des Gilets jaunes. Ailleurs, des liens se tissent entre monde rural et banlieue urbaine tandis que la jeunesse engagée dans la lutte contre le changement climatique s’est emparée du mot d’ordre unificateur : « Fin de mois, fin du monde, même combat ».

Une invitation aux possibles se fraye un chemin dans nos esprits au fur et à mesure que -s’entraperçoivent les contours des coalitions possibles pour élargir et amplifier la lutte. Après celle de Commercy, l’Assemblée des assemblées de Saint-Nazaire éclaire de façon éblouissante ce chemin :

Ainsi nous construirons collectivement ce fameux « Toutes et tous ensemble » que nous scandons et qui rend tout possible : nous construisons toutes et tous ensemble, à tous les niveaux du territoire. […] Face à la mascarade du grand débat, face à un gouvernement non représentatif et au service d’une minorité privilégiée, nous mettons en place les nouvelles formes d’une démocratie directe […]. Nous appelons les assemblées citoyennes et populaires, ainsi créées, à se fédérer4.

Ce second livre numérique et gratuit ne prétend pas donner une vision exhaustive et objective d’un mouvement aussi multiforme que celui des Gilets jaunes. Évidemment. En outre, il n’est pas dans nos habitudes, qui plus est dans un contexte mondial de montée en puissance des périls racistes et fascistes, d’écarter des possibles tentatives de récupération et d’infiltration de l’extrême droite, ce qui relèverait d’une posture inconséquente5. Néanmoins, sans minimiser ce qui s’est passé au cours de certaines manifestations, ce n’est pas du tout l’orientation prise par ce mouvement. Tourner le dos à l’intelligence collective en marche sous ce prétexte nous semblerait encore plus inconséquent et terriblement paralysant. De même, nous ne nions pas que « soutien et respect de l’autonomie » soient des notions qui se conjuguent mal pour nombre d’organisations, notamment politiques. Nous ne prétendons pas non plus que la présence de 300 « délégations » à Saint-Nazaire signifie pour autant que sur le terrain le mouvement se développe là où il est né et où il a tout son sens : dans les localités, les quartiers, les ronds-points…

Dans cet ouvrage, notre choix est celui de la mise en avant des éléments émancipateurs que les Gilets jaunes ont mis sur la place publique. Il s’agit d’un choix qui donne quelques-unes des lignes fortes qui participent tout à la fois de la construction d’un front large – un printemps jaune – enraciné dans les luttes, récentes ou anciennes et de l’esquisse d’un horizon émancipateur – trop souvent absent.

10  avril 2019

Télécharger gratuitement le livre : Gilets Jaunes, tome 2

Pour rappel :

Volume 1 : Introduction : Gilets Jaunes – Des clefs pour comprendreintroduction-gilets-jaunes-des-clefs-pour-comprendre/

Gilets jaunes : Appels de Saint-Nazairegilets-jaunes-appels-de-saint-nazaire/


1. Collectif, « Nous sommes le peuple », introduction à Gilets jaunes : des clés pour -comprendre,vol. 1, Paris, Syllepse, 8 décembre 2018.

2. Sur la répression, voir notamment le site Allô place Beauveau.Sur la riposte, diverses initiatives sont en cours, voir – notamment – l’Assemblée des blessé·es et l’appel de l’Assemblée des assemblées de Saint-Nazaire : « Nous exigeons l’annulation des peines des prisonniers et condamnés du mouvement ! », p. 54.

3. En bloquant, par exemple, Carrefour et son vaste plan de licenciement, en organisant des circuits courts, des marchés citoyens…

4. Voir les appels de l’Assemblée des assemblées de Saint-Nazaire des 5-6-7 avril 2019, p. 10-12. On peut aussi consulter le site Le vrai débat.

5. Voir Gilets jaunes : des clés pour comprendre, vol. 1, Paris, Syllepse, 2018.

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