BILLET DE BLOG 21 JUIN 2021
Italie : le syndicaliste Adil Belakhdim tué, violence contre les travailleurs qui refusent la super-exploitation
Après nombre de cas de violences extrêmes contre les travailleurs en révolte dans les situations de super exploitation, on assiste désormais à l’homicide d’un syndicaliste. C’est le prévisible aboutissement de la gigantesque diffusion du travail demi-noir, noir et du néo-esclavagisme qui afflige des millions de travailleurs dans la logistique, les fausses coopératives et la sous-traitance partout.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Pire, les fausses coopératives dont se sont spécialisées même des ex-syndicalistes des grands syndicats, sont en réalité des cages aux mains de caporaux qui pratiquent aisément des modalités mafieuses (menaces, tabassage, recours aux gros bras pour donner la leçon brutale à ceux qui osent se révolter). Ainsi, juste une semaine avant l’assassinat d’Adil, devant le magasin FedEX, le piquet de grève a été agressé par une bande de gros bras armés de bâtons de fer sortie soudainement du magasin. La police était là, elle a tout vu, mais elle n’a fait que regarder la scène alors que des travailleurs et syndicalistes Si-Cobas ont été gravement blessés. La même scène, on l’avait vu quelques semaines auparavant à Plaisance et aussi dans d’autres lieux de la logistique. Et la police a même arrêté des syndicalistes et mis sous enquête nombre de grévistes comme pour donner preuve d’un choix sans faille du côté du patronat.
La réalité du caporalat violent qui assure la super-exploitation d’immigrés et parfois aussi d’Italiens est bien connue depuis longtemps (l’acharnement de la surexploitation ou la fureur de la thanatopolitique néo-libérale). Comme signale Eurispes (en 2018) on peut estimer que l’ensemble des économies souterraines (demi-noir et noir) a généré en Italie environ 30 milliards d’euros, le 35% du PNB officiel[1]. Et on peut estimer qu’en Italie il y a environ 8 millions de travailleurs qui oscillent entre précarité demi-noire, noir total et néo-esclavagisme. Cela ne concerne pas uniquement les fausses coopératives dans la logistique, dans l’agriculture ; dans le BTP, dans le Sud de l’Italie; tout le pays est marqué par ce système de super exploitation et même dans les grandes entreprises comme Fincantieri. La sous-traitance est le champ le plus affecté merci aussi à la manipulation de nombre d’entrepreneurs dits ethniques qui se chargent de tous les taches et risques du recrutement et de la gestion violente de travailleurs parfois néo-esclavisés. Par ailleurs, comme témoignent quelques inspecteurs du travail, toutes les institutions chargées de la prévention et du contrôle (inspectorat du travail, inspectorat de l’Assurance nationale, inspectorat sanitaire et aussi syndicalistes responsables de la sécurité sur le travail) depuis des années ont été réduit à des dimensions ridicules[2]… alors qu’entretemps les gouvernements n’ont pas arrêté de renforcer les polices et les forces militaires pour un sécuritarisme qui nie la protection des travailleurs, des victimes d’accidents du travail et de maladies dues aux contaminations toxiques. Bref : police partout, prévention et protection nulle part!
C’est le triomphe du néo-libéralisme qui continue et même se renforce avec le gouvernement Draghi car toute l’économie est de plus en plus hybridée et se nourrit de demi-noir et noir. L’Etat néolibéral ne fait que servir la super exploitation et cette hybridation et les forces de police ne font que supporter systématiquement cette situation (dans laquelle le caporalat violent et la complicité des polices avec sont courants). Ainsi le soi-disant Recovery Plan de Draghi ne prévoit presque RIEN pour remédier la réalité de la super exploitation, du demi-noir et du noir. Au contraire il prévoit d’abolir les limitations des licenciements.
Signalons au passage que cette réalité existe aussi dans tous les pays dits démocratiques européens et ailleurs en mesure pas du tout négligeable mais beaucoup plus cachée (entre autres voir ici).
Tout cela se passe en raison du fait qu’en Italie tous les partis ont épousé la cause du néo-libéralisme, et cela concerne aussi la plupart des syndicats, même si la CGIL (la CGT italienne) essaye de sauver la face surtout après l’assassinat d’Adil et le succès des syndicats autonomes. Hélas, cet univers de syndicats autonomes est souvent fragmenté tout comme dans les rangs des grands syndicats traditionnels les syndicalistes honnêtes sont souvent isolés voir marginalisés.
Cela dit, la mobilisation générale qui spontanément a éclaté dans tout le pays en réaction à l’assassinat de Adil promet une nouvelle possibilité de convergence des luttes et des organisations syndicales et en particularité une grande participation des jeunes car elles/ils sont les plus touchées/es par la précarité à la merci d’une gestion violente et néo-esclavagiste.
[1] Voir: https://eurispes.eu/mediacontent/aise-it-italian-spread-ricchezza-redditi-dichiarati-e-tenore-di-vita-in-un-nuovo-studio-eurispes/ et https://www.editions-harmattan.fr/livre-20_ans_apres_les_brutalites_policieres_du_g8_de_genes_forces_de_police_italiennes_entre_securitarisme_et_insecurites_ignorees_salvatore_palidda-9782343232447-70321.html
[2] Voir cet excellent reportage de Franz Barragino ici: https://www.ilfattoquotidiano.it/2021/06/18/lavoro-irregolare-chi-controlla-ispettori-inps-e-inail-decimati-dalla-politica-e-rallentati-dalla-burocrazia-cosi-selezioniamo-le-denunce-e-abbandoniamo-molti-lavoratori/6231448/
Vendredi matin à Biandrate (Novara, Italie), lors d’un blocage organisé devant un entrepôt de LIDL, Adil Belakhdim, 37 ans, père de deux enfants et coordinateur syndical du SI COBAS, a été fauché et tué par un poids lourd. Ce dernier tentait de forcer un piquet de grève qui avait lieu dans le cadre d’une journée de grève nationale des travailleurs de la logistique organisée pour dénoncer des épisodes récents de répression patronale, mais aussi pour s’opposer à la convention collective nationale récemment signée par les grandes confédérations syndicales. En effet cet accord est fortement contesté par les organisations qui sont majoritaires et réellement représentatives dans le secteur de la logistique : les syndicats de base SI COBAS, Adl COBAS et USB.
Le meurtre d’Adil, qui n’est d’ailleurs pas le premier dans le secteur de la logistique en Italie, est le point culminant d’une escalade répressive violente qui se déchaine depuis des mois contre le syndicalisme de base en général et plus particulièrement contre l’organisation SI COBAS : des grévistes violemment chargés par la police à Piacenza devant un entrepôt de FedEx-TNT, une entreprise US qui a engrangé des profits énormes à l’occasion de la pandémie mais qui vient d’annoncer un plan européen de restructuration avec 6300 licenciements à la clef, jusqu’aux récentes attaques armées menées par des membres de sociétés de sécurité et des briseurs de grèves à San Giuliano Milanese et à Lodi dans un style digne des Pinkertons états-uniens de la fin du XIXème siècle.
Des épisodes qui ont également leur origine dans les liens qui se sont noués entre les patrons de la logistique et le crime organisé – qui a trouvé dans ce secteur, caractérisé par l’importance de la sous-traitance et des illégalismes structurels, une source importante de profits – dans le but d’écraser un mouvement de lutte et de grèves qui dure depuis maintenant plus de 10 ans.
Le secteur de la logistique italien s’est en effet distingué, depuis au moins 2008, non seulement par le niveau de répression antisyndical mais également par le niveau de conflictualité et de résistance assumé par des ouvriers majoritairement immigrés et enrôlés dans un système de sous-traitance basé sur des « coopératives » où le taux d’exploitation et les manquements au droit du travail atteignent des sommets. L’émergence de ce mouvement de lutte a également été rendu possible grâce à un travail de longue haleine mené par des militants du syndicalisme de base, qui ont su remplir le vide laissé par les grandes confédérations syndicales traditionnelles, souvent complices et alliées des patrons de la logistique avec lesquelles elles ont des liens historiques très forts, notamment par le biais de ces fameuses « coopératives ».
Le meurtre d’Adil Belakhdim, et plus généralement ce contexte général de luttes et de répressions intenses dans le secteur de la logistique en Italie, sont révélateurs à la fois de la façon dont le patronat entend gérer le « retour à la normale » après la pandémie et sur la manière dont les États entendent récompenser les « travailleurs en première ligne », ceux qui ont continué à travailler pendant la crise sanitaire et qui ont permis aux géants de la logistique et du e-commerce d’engranger des profits énormes.
Mais ils nous disent aussi quelque chose sur le rôle de plus en plus central que ce secteur en expansion joue dans les filières de production globales. La logistique – comprise ici comme l’ensemble des opérations qui permettent la circulation des marchandises et des informations dans le capitalisme mondialisé – est désormais devenue la véritable infrastructure matérielle de la globalisation, ce qui donne aussi aux travailleurs de ce secteur – des ports aux chemins de fer en passant par le transport routier et les entrepôts – un énorme pouvoir de pression et de blocage. Dans la crise économique qui s’annonce, il faudra alors s’attendre à ce que, en Italie comme ailleurs, une saison de contre-offensive patronale ait lieu dans ce secteur, mais aussi, peut-être une saison de renouvellement du conflit social à partir des luttes de la logistique.
Hier, à Rome, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté en hommage à Adil Belakhdim et pour dénoncer la violence patronale à l’appel du SI COBAS et d’un ensemble de forces militantes réunies au sein du « Pacte anticapitaliste pour un front unique de classe ». Une nouvelle démonstration de force des travailleurs de la logistique et de leurs soutiens dans la capitale, après l’occupation du siège du Parti Démocrate le 4 mai dernier et la manifestation du 21 mai marquée par des affrontements avec les forces de l’ordre devant le parlement. Une manifestation qui annonce, espérons-le, une remobilisation et une recomposition du syndicalisme de base et de l’ensemble des forces du mouvement social qui soit en mesure d’organiser l’autodéfense populaire et de répondre coup pour coup aux attaques des patrons de la logistique, du gouvernement Draghi et de leurs chiens de garde
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