Travailleurs sans-papiers en grève : « Ils font face à une ultraprécarité organisée »

Des manifestants pour la régularisation des sans-papiers, notamment à l’appel de la CGT, le 29 novembre 2009. (REVELLI-BEAUMONT/SIPA)
Par Baptiste Legrand

·Publié le ·

Marilyne Poulain est membre de la direction confédérale de la CGT et pilote du collectif immigration du syndicat. Elle explique à « l’Obs » les causes de la mobilisation de salariés sans-papiers en Ile-de-France, ce lundi 25 octobre. « Ils ont choisi de dire non », insiste-t-elle.

Plus de 200 travailleurs sans-papiers ont entamé une grève ce lundi sur onze sites en région parisienne. Pour quelles raisons ?

La première chose qui ne va pas, ce sont les contrats de travail. Dans le secteur de la restauration, par exemple, on trouve des travailleurs qui enchaînent des contrats d’« extras » très courts. C’est censé être du travail d’appoint… Et pourtant, dans les faits, ces personnes travaillent depuis deux ou trois ans, parfois 200 heures par mois ! Ce devrait donc être des CDI ! Au Café Marly [une brasserie chic située près du Louvre, à Paris, NDLR], quatre travailleurs ont été arrêtés durant le confinement. Ils n’ont pas été payés. Ils se sont retrouvés dans des situations de très grande difficulté.

Il y a aussi le sujet des livreurs, qui subissent les conséquences d’une sous-traitance en cascade. Dans le 19e arrondissement de Paris, Monoprix a confié sa livraison à Stuart, qui a sous-traité à PickUp, une filiale de La Poste, qui a sous-traité à une société de livraison qui a fait travailler des personnes sans fiche de paye – bien qu’on trouve la trace de chèques – puis leur a imposé d’être autoentrepreneurs. Il faut que l’Etat mette ces entreprises devant leurs responsabilités.

Combien y a-t-il de travailleurs sans-papiers en France ?

Plusieurs centaines de milliers, mais c’est difficile à dire précisément. Le mouvement de ce lundi est coordonné avec plusieurs départements et plusieurs syndicats de différents métiers, afin que ces travailleurs aient plus de force et qu’ils puissent sortir de l’ombre.

Dans quels secteurs travaillent-ils ?

Ils font tourner un grand nombre de secteurs d’activité. On sait qu’ils sont nombreux dans la restauration – en particulier à la plonge. Dans le BTP, des entreprises ont recours à des intérimaires sans-papiers pour des tâches de manœuvre ou pour de la démolition – ils sont alors exposés à de l’amiante et à du plomb dans des conditions de travail dégradées – mais aussi à des postes qualifiés, tels que coffreur.

Les travailleurs sans titre de séjour sont nombreux dans le secteur de la propreté. Chez l’entreprise Sepur, à Bobigny, on constate un système organisé d’abus d’intérim. A la demande de chefs d’équipes, certains doivent revenir travailler sous une nouvelle identité, afin d’éviter une requalification en CDI.

On trouve aussi des travailleurs sans-papiers dans l’aide à la personne, la logistique, le nettoyage des bureaux, le tri des déchets… Globalement, tous les métiers pénibles, ceux que les Anglo-Saxons appellent les 3D : « Dirty, Dangerous and Demeaning » [« sales, dangereux et humiliants », NDLR].

En quoi la crise sanitaire les a-t-elle particulièrement touchés ?

Tous ces travailleurs sans titres de séjour, ce sont des gars qui ont dû continuer à travailler durant le confinement, même sans masque, dans des conditions de travail encore dégradées. Quand tous les cafés étaient fermés et qu’il n’y avait pas de sanitaires accessibles, certains travailleurs en ont été réduits à faire leurs besoins dans des bidons !

Ils travaillent, payent des cotisations sociales… Quelles conditions doivent-ils remplir pour être régularisés ?

Il faut trois ans de présence en France et avoir travaillé vingt-quatre mois, ou bien cinq ans de présence et avoir travaillé au moins huit mois au cours des deux dernières années. Et surtout, ces personnes ont besoin du soutien de leur employeur, parce qu’il faut un contrat de travail ou une promesse d’embauche et que c’est lui qui doit remplir la demande de régularisation. On fait face à un véritable arbitraire patronal. Or, ceux qui surexploitent ces situations de précarité n’ont aucun intérêt à y mettre fin, puisqu’ils en tirent un profit.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

Ils peuvent ainsi infliger des conditions de travail que d’autres n’accepteraient pas : des horaires imposés, de la flexibilité, une absence d’équipements de protection… Mais avec la mobilisation de ce lundi, on voit que ces travailleurs ont choisi de dire non. Lorsqu’on est sans titre de séjour, il se crée une inégalité de droits qui est préjudiciable pour tout le monde. C’est la raison pour laquelle cela ne concerne par seulement les sans-papiers, mais tous les salariés. Nos intérêts sont communs, que l’on soit Français ou immigré.

On entend dire que les Français ne souhaitent pas leur régularisation, mais c’est faux. Un sondage Harris Interactive, réalisé au mois de mars, montre que 60 % des personnes interrogées souhaitent leur régularisation, et 89 % demandent qu’on ne fasse pas de différence entre un travailleur français et un travailleur immigré. Politiquement, il y a un réel manque de courage à refuser de régulariser ces travailleurs.

Par Baptiste Legrand

« Toujours sous pression », des travailleurs sans-papiers occupent leurs entreprises à Paris

Lundi 25 octobre 2021, près de 200 travailleurs sans-papiers ont entamé un mouvement de grève à Paris et en Ile-de-France pour obtenir leur régularisation.

Une douzaine de travailleurs sans-papiers a fait le piquet de grève dans l'agence Manpower du 12ème arrondissement de Paris, lundi 25 octobre 2021.
Une douzaine de travailleurs sans-papiers a fait le piquet de grève dans l’agence Manpower du 12ème arrondissement de Paris, lundi 25 octobre 2021. (©MAM / actu Paris)
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« Vous savez à quoi on reconnaît un travailleur sans-papiers dans une entreprise ? C’est celui qui ne dit jamais non. » Lundi 25 octobre 2021, 200 travailleurs sans-papiers ont entamé un mouvement de grève et occupent sept sites à Paris et en Île-de-France. Parmi ces piquets de grève figure l’agence Manpower proche de la Gare de Lyon.

Ne pas avoir ses papiers, c’est être sous pression constamment »

Ils sont une douzaine à tenir le piquet de grève dans l’agence Manpower du 12ème arrondissement. Parmi eux, Dia Abdoulaye. À 29 ans, il se bat pour être régularisé en France. « Ne pas avoir ses papiers, c’est être sous pression constamment », livre-t-il, las.

Sous pression de peur que le patron vous renvoie du jour au lendemain mais aussi être tétanisé par la peur de se faire arrêter par la police et de « devoir retourner au Sénégal du jour au lendemain », alors que le jeune homme construit depuis 2017 sa vie ici.

Avec un salaire oscillant entre 1 200 euros et 2 000 euros nets, Dia Abdoulaye aspire à plus de sérénité. « Vous savez à quoi on reconnaît un travailleur sans-papiers dans une entreprise ? C’est celui qui ne dit jamais non », lance-t-il, sans aucune ironie.

Polyvalents et précaires

À ses côtés, un autre gréviste abonde. « On est polyvalents et mobiles. On peut être envoyés dans des entreprises de BTP, de restauration ou encore de logistique », liste-t-il.

Ils sont une douzaine à faire grève lundi 25 octobre 2021 dans l'agence Manpower de Paris.
Ils sont une douzaine à faire grève lundi 25 octobre 2021 dans l’agence Manpower de Paris. (©MAM / actu Paris)

« On est de bons salariés, toujours disponibles et jamais malades. » Parce que « si on ne travaille pas, on est à la rue » et qu’en cas d’accident du travail, le risque de dénonciation existe. Le collègue de Dia Abdoulaye serre les dents et assure qu’en cas de blessure, il ne dit pas un mot. « Tu dois supporter la douleur parce que sinon tu n’as pas d’indemnités donc tu ne peux pas payer ton loyer ni aider ta famille », confie-t-il.

« On paie nos impôts comme tout le monde, on veut participer et aider au développement de la France. On n’est pas ici pour foutre le bordel, on veut juste avoir des papiers pour regagner confiance en nous », reprend Dia Abdoulaye.

18 dossiers de régularisation en attente

Depuis l’accueil de l’agence, Marie-Odile Bonnet, secrétaire générale de la CGT Manpower explique qu’actuellement, 18 dossiers de régularisation sont en cours de traitement depuis des mois.

Tout prend un temps infini alors que ces travailleurs sont ici depuis des années et qu’ils doivent faire vivre leurs familles. On n’est pas là juste pour enrichir le capital, il faut aussi donner le change et des droits à ces femmes et ces hommes.

Marie-Odile Bonnet Secrétaire générale de la CGT Manpower

Ce lundi soir, de nouveaux dossiers de naturalisation seront déposés à la préfecture de police par la CGT. Avec l’espoir d’une issue positive, et d’un peu de tranquillité.


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