Une ferme en logement social dans le Béarn

[ad_1] 2022-02-01 09:12:28 https://reporterre.net//

­Espiute (Pyrénées-Atlantiques)

Le givre étend une nappe blanche sur la campagne béarnaise. Les rires font vibrer l’air frais et laissent échapper des nuages de condensation. Une vingtaine de personnes tapent du pied pour se réchauffer devant une bâtisse en pierre, une ferme abandonnée sur la commune de Espiute, quelque part entre le Béarn et le Pays basque. Elles sont toutes venues participer au chantier participatif organisé par l’association Renouveau paysan. Objectif : créer du logement social pour les paysans. La ferme expérimentale de Mouliaa sera donc le premier site à accueillir une activité agricole tout en étant la propriété d’un bailleur social — l’Office 64 de l’habitat a racheté les lieux [1].

Vendredi 14 janvier, une équipe de volontaires s’est regroupée pour délimiter les mares et les futures plantations de fruitiers du terrain. Planter des piquets, dérouler du grillage, le fixer avec des clous… Le programme de la journée permet d’apposer les premières marques. Lulu Lugan, l’un des deux fondateurs de l’association, constate : « Le sol est trop froid pour qu’on plante les arbres aujourd’hui. C’est le sol qui dicte sa loi. » Les haies et les fruitiers attendront que des températures plus clémentes pointent leur nez. Deux hectares de terrain agricole attenant à l’ancienne ferme un peu délabrée seront investis par les volontaires à l’installation. La commune d’Espiute a ajouté un hectare supplémentaire.

Lulu Lugan, l’un des deux fondateurs de l’association Renouveau paysan, lors du chantier participatif à la ferme expérimentale de Mouliaa. © Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Le projet prévoit six logements sociaux [2] en réhabilitant le bâti existant, la ferme et le hangar, selon un mode de construction écologique. Deux seront à destination d’agriculteurs qui signeront une charte agroécologique pour s’engager à une agriculture bio et respectueuse de l’environnement. Au vu des surfaces et de la qualité de la terre, « il y a deux parcelles, l’une qui pourrait accueillir du maraîchage, l’autre plutôt de la culture de plantes médicinales et de l’arboriculture », détaille Linda Rieu, l’autre fondatrice de l’association. Le chantier participatif du jour met sur pied les « communs ». Gérés par l’ensemble des futurs habitants, ils visent à améliorer l’autonomie du lieu : des mares pour canaliser l’eau, et des fruitiers pour avoir des espaces de récoltes et renforcer la biodiversité. Les travaux de réhabilitation du bâti devraient démarrer en 2022 et les installations en 2023.

Un constat : la difficulté des paysans à s’installer

« Lulu, il manque des pointes ! » interpelle Linda. Le duo à l’origine de l’association Renouveau paysan a quelque chose de détonnant. D’un côté Lulu Lugan, yeux clairs, sémillant retraité, intarissable sur les difficultés du monde paysan, et de l’autre Linda Rieu, une trentenaire enthousiaste qui aime passer à l’action. Leur point commun ? Ils sont tous deux nés dans une ferme basque et s’intéressent de près aux difficultés du monde paysan. Ils font des constats similaires : les fermes disparaissent à rythme constant et les volontaires pour s’installer rencontrent de grandes difficultés. L’un des freins majeurs à l’installation est dû aux investissements très lourds qu’un paysan doit réaliser, notamment pour acheter son lieu de vie. De plus, beaucoup de paysans répondent aux critères pour être éligibles à du logement social mais, faute de logements adaptés à leur activité, ils renoncent à ce droit. Le duo a réussi à fédérer autour de lui des acteurs peu habitués à se mettre autour d’une table : chambre d’agriculture, bailleurs sociaux, réseau paysan, collectivités locales…

« On est en train de régler les derniers problèmes légaux », dit à Reporterre Linda Rieu. L’association travaille avec des juristes de différentes universités qui ont conclu que le cadre de la loi permettait aux bailleurs sociaux de prendre en charge des espaces professionnels, notamment depuis la loi Elan de 2018, et donc des fermes.

Convaincre les bailleurs sociaux de rentrer dans le jeu n’a pas été simple et ils restent frileux sur certains aspects. « Ils ne veulent pas assumer la gestion des terres agricoles, on va donc créer une structure d’intermédiation locative », explique ainsi Linda.

Clément travaille le bois pour fabriquer des échelles. Elles serviront à renforcer le système de sécurité des mares. © Isabelle Miquelestorena / Reporterre

Ancrage sur le territoire

L’objectif du projet est de proposer une solution à même de freiner l’érosion du monde paysan. En France, environ trente fermes disparaissent chaque jour. Avec le système du logement social, le paysan qui s’installe devient locataire de son habitat et de son espace professionnel. L’investissement de départ est donc limité au strict minimum pour que, selon Lulu, « les paysans n’aient pas à tout porter ». La ferme de Mouliaa est le premier site qui permet à Renouveau paysan de passer de l’idée aux actes. L’achat de Mouliaa s’est fait un peu par hasard, par opportunité, comme l’explique Lulu : « On n’a pas choisi cette ferme pour le projet, mais on fait le projet à partir de cette ferme. Ça nous confronte à la réalité. »

Les ministères concernés, de l’Agriculture et du Logement, s’étaient montrés intéressés par l’idée mais aucune réunion n’a été programmée. Il faut continuer à avancer localement, a conclu Linda. D’autres instances, le département des Pyrénées-Atlantiques et la Région Nouvelle-Aquitaine, ont aidé au montage. Lulu ajoute : « C’est un projet qui fédère beaucoup mais qui a du mal à avoir des acteurs décisionnaires. »

« Une parcelle pourrait accueillir du maraîchage, l’autre plutôt de la culture de plantes médicinales et de l’arboriculture », détaille Linda, l’autre fondatrice de l’association. © Isabelle Miquelestorena / Reporterre

L’enracinement local est d’ailleurs primordial pour l’association qui vise à lutter contre la désertification des zones rurales. « Ce chantier permet un ancrage sur le territoire », commente Linda. Parmi la vingtaine de volontaires du jour, un groupe d’amis de Sauveterre, le bourg tout proche, est venu prêter main forte. Ils ont un projet d’habitat participatif et sont toujours motivés pour « les projets qui ont du sens », glisse Kathleen, l’une des jeunes du groupe. « Je bosse sur les sujets de transition écologique et de revitalisation des villages, ça me parle ! Les fermes sont les pierres angulaires d’un aménagement durable et résilient. » Elle désespère de constater que des lieux sont inoccupés et tombent en désuétude quand, dans le même temps, les gens rencontrent des difficultés pour se loger.

Deux mares ont déjà été creusées puis se sont remplies naturellement d’eau. © Isabelle Miquelestorena / Reporterre

À quelques poteaux de là, Christian rigole en regardant des débutants tenter de dérouler le grillage sans s’emmêler. Le paysan en agroécologie dans sa ferme d’Oneix, près de Saint-Palais, a l’habitude des travaux en extérieur, contrairement à certains de ses acolytes du jour qu’il guide avec humour. Il soutient le projet depuis ses débuts et assure qu’il sera aussi présent au moment de l’installation : « Avec ma compagne Odile, on est prêts à donner des conseils, on sera amené à suivre les maraîchers. » La transmission, c’est une philosophie de vie pour ce paysan dont la ferme est toujours ouverte aux personnes désireuses de se former aux principes de l’agroécologie.

Du côté de Renouveau paysan, l’équipe menée par Linda et Lulu regarde vers l’avenir. Et lorgne sur une autre ferme, côté Pays basque cette fois. « On fait des réunions publiques dans la vallée des Aldudes ou en Soule pour tenter de trouver un autre bâti agricole », dit la jeune femme. Qui espère que leurs projets donneront envie à d’autres, partout en France.

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