Valérie Pécresse, ses déclarations de peu d’intérêts / Retour sur une dépublication

Depuis plusieurs semaines, Blast enquête sur les participations financières de Valérie Pécresse et de son époux. Dans deux premiers articles publiés mi-janvier, nous avons révélé la façon dont l’élue avait invisibilisé début 2016 des actifs Alstom pour masquer un conflit d’intérêts avec ses fonctions à Île-de-France Mobilités – l’autorité des transports franciliens, gros acheteur de trains, de trams et de bus. La semaine dernière, Blast a diffusé un nouvel article sur les déclarations d’intérêts de la candidate LR à la présidentielle. Il a finalement été déréférencé. En cause, une info arrivée… après coup.

L’histoire démarre le 17 janvier dernier. Il est 7h39 ce lundi quand Blast appelle Valérie Pécresse sur son numéro personnel. Après plusieurs semaines d’enquête, nous nous apprêtons à sortir un article sur les actions Alstom détenues par son couple. La conversation dure exactement 18 secondes. Le temps pour la présidente d’Île-de-France de demander qui appelle : les présentations faites, la communication est brutalement coupée. Une heure plus tard, Blast reçoit à son tour un appel. A l’autre bout du fil, Jean-Marc Zakhia. Membre du tout premier cercle, cet ancien d’Euro RSCG suit la carrière de l’élue de Versailles depuis son passage au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il y a une décennie. Il a également travaillé pour elle au Budget. Au téléphone, le sujet Alstom à peine énoncé, la réactivé du conseiller est remarquable : pas même une demi-fraction de seconde écoulée entre notre question et sa réponse. Surprenant pour un dossier éminemment personnel.

L’ex-d’Alstom devenu General

Lundi 7 février, Blast prépare la parution d’un nouvel article sur les actifs des Pécresse. Quelques jours plus tôt, nous avons récupéré une dizaine de documents : la quasi-totalité des déclarations d’intérêts déposées depuis 2014 par Valérie Pécresse, soit à la région, soit à la HATVP (principalement). A l’étude de ces attestations, quelque chose cloche. Ca concerne cette fois les actions General Electric, le conglomérat dont Jérôme Pécresse est vice-président. Ce dernier l’a rejoint en novembre 2015 après la vente très contestée de la branche énergie d’Alstom. Le groupe américain, c’est notable, a tenu à conserver avec l’entité rachetée celui qui en était le premier dirigeant. Une façon de le récompenser : Jérôme Pécresse a été, plusieurs anciens d’Alstom l’ont confirmé à Blast contrairement à ce qu’il affirme, un acteur déterminant en coulisses de ce transfert. L’opération avait fait polémique, déclenchant une guerre au sein de l’appareil d’Etat entre Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron (1), qui l’a validée, jusqu’à nourrir les travaux et les auditions d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale, en 2017 et 2018.

Sur les déclarations de Valérie Pécresse, ces grandes manœuvres trouvent leur matérialisation dans le portefeuille du couple. Celle-ci apparaît dans trois attestations adressées à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : la première, une « déclaration de modification substantielle des intérêts », a été validée le 3 septembre 2017 à 22h35; la seconde le 17 décembre à 9h04; enfin Valérie Pécresse a signé la troisième en ligne le 1er février 2021 à 20h18. Un rapide calcul (en divisant la valorisation déclarée de ce portefeuille par le nombre d’actions indiqué) semble confirmer notre première impression. Pour en avoir le cœur net, nous décidons de pousser nos investigations.

Un don d’invisibilité

Pour mémoire, cette série de trois déclarations à la HATVP (2017, 2019 et 2021) mentionnant des actions GE avait été précédée d’une attestation déposée en février 2017 auprès des services de la région Île-de-France. Une des plus étranges de toutes – Blast a publié ces deux pages Word -, avec une curieuse mention « néant » aux participations financières. De son propre chef, sans qu’aucune règle ne l’y oblige, Valérie Pécresse avait d’ailleurs décidé de la mettre en ligne, sur le site de la Région. Une façon de se montrer offensive sur les questions de déontologie et de transparence, et marquer la rupture avec la mandature Huchon. En 2016, dès les premiers mois de son premier mandat, elle avait fait adopter une charte d’éthique régionale.

A l’époque, le lecteur qui tombe sur cette attestation de février 2017 dont elle certifie la fiabilité n’a pas de doutes. Si on s’en tient à ce qu’elle indique, la signataire ne possède aucune action, aucune participation financière, quelle qu’elle soit. Mais ce « néant » relève au minimum d’un sens aiguisé de l’optimisation doublé d’un singulier rapport aux mots, et à ce qu’ils expriment. En effet, les actions Alstom, elles, n’ont pas été vendues. Toujours pas : elles sont restées à l’abri dans la fiducie créée par les Pécresse début 2016, déjà évoquée par Blast – donc invisibles.

Ce précédent justifiait à lui seul une certaine réserve sur le contenu des déclarations de l’ex-porte-parole du gouvernement Fillon, incitant à regarder de plus près la façon dont elle avait géré par la suite ses communications sur les actifs Général Electric. Un autre signal invitait à cet effort de curiosité : dans sa première déclaration à la HATVP de janvier 2014, si celle qui était alors députée des Yvelines énonçait bien des actions Alstom, elle s’était en revanche gardée d’évaluer leur valeur. A la place du montant, une mention manuscrite : « impossible à évaluer aujourd’hui ». C’est la dernière fois que la référence à Alstom apparaît.

Un décalque prévenant

Pour les titres General Electric, on repère vite une autre curiosité. Sur les attestations de septembre 2017 et décembre 2019, Valérie Pécresse recopie les mêmes éléments, mot pour mot, chiffre pour chiffre. La situation déclarée est un décalque. Ce statut quo semble pourtant douteux. Ce doute, la native de Neuilly le nourrit elle-même en précisant que de nouvelles actions vont venir gonfler le portefeuille du couple mais qu’elles ne seront pas mentionnées : « A ce titre il (Jérôme Pécresse, en tant que vice-président de General Electric, ndlr) a reçu et va continuer à recevoir des actions et des options de souscription d’actions de cette société, indique-t-elle dans ces deux déclarations. Les attributions ultérieures seront fréquentes et ne feront pas l’objet de déclarations modificatives ».

La patronne de Libres ! l’annonce elle-même : pas de « déclarations modificatives ». A deux ans d’intervalle, c’est le même portefeuille : « Société : General Electric / 230000 € / Nombre de parts détenues : 10000 ». Ce copié-collé revient à neutraliser la nouvelle déclaration et lui retirer son intérêt puisqu’on connaît d’avance sa teneur : exactement la même, quoi qu’il arrive. Etonnant quand il s’agit d’actualiser sa situation au nom de la transparence afin que les infos portées à la connaissance de l’autorité de contrôle et des citoyens soient le plus fidèles possible à la réalité, au moment où elle est attestée sur l’honneur.

Ces deux documents ont été enregistrés et validés tels quels par la HATVP.

Extraits des deux déclarations de septembre 2017 et décembre 2019. Un décalque.
Dans ce contexte, nous avons procédé à d’autres vérifications. Dans un premier temps en consultant les archives du cours en bourse. Objectif : identifier la valeur de l’action GE au moment de la rédaction des trois déclarations d’intérêts mentionnant ces participations. En rapportant ces éléments au nombre de titres GE déclarés par Valérie Pécresse, le résultat est détonnant : sur les trois attestations (septembre 2017, décembre 2019 et février 2021), il laissait apparaître des différences importantes avec les estimations de la présidente de région.

Le contrôle aux abonnés absents

Après des échanges avec des spécialistes de la bourse, avant de valider et de décider de publier ces éléments, il restait une dernière étape : s’adresser aux intéressés. D’abord, les autorités de contrôle, un acteur de l’histoire puisqu’elles reçoivent, enregistrent et valident les déclarations de l’ancienne ministre.
Les services de la HATVP ont instruit les trois où l’on retrouve la trace des actifs General Electric. Nous aurions aimé échanger avec l’autorité administrative pour comprendre comment elles avaient été vérifiées. Mais la HATVP avait décliné les sollicitations de Blast en janvier, à l’époque sur les actions Alstom, se retranchant derrière la confidentialité de ces procédures.

Cette porte (re)fermée, Blast a cherché à contacter Jacqueline de Guillenchmidt. Ancienne membre du Conseil constitutionnel, la magistrate à la retraite préside la commission d’éthique de la région Ile-de-France depuis 2016. A ce titre, elle a reçu trois attestations de Valérie Pécresse – deux que nous n’avons pu récupérer, la troisième (celle de février 2017) affichant le fameux « néant ». Gardienne de la « Charte pour une nouvelle éthique politique en Île-de-France », Jacqueline de Guillenchmidt dispose de pouvoirs de sanctions en cas d’insincérité. Malheureusement, parler à l’ex-pensionnaire du Conseil supérieur de la magistrature s’est avéré impossible : les services de la région Ile-de-France ont fait barrage, refusant de nous donner son contact malgré notre insistance.

La présidente de la région IDF prend la pose avec Jacqueline de Guillenchmidt, qu’elle a installée à la tête de la commission d’éthique régionale.
Toujours en quête de vérifications, nous avons appelé Anne Méaux. La patronne d’Image 7 est en charge de la communication de la candidate LR, après avoir accompagné en 2017 le long calvaire de François Fillon. Sans retour, ni réponse à notre message laissé sur son téléphone portable.

La méthode Jérôme Pécresse

Enfin, Blast a sollicité le couple Pécresse. Le 2 février, nous avons adressé à chacun des époux (Valérie Pécresse via son conseiller Jean-Marc Zakhia, Jérôme Pécresse directement) un mail indiquant que nous étions sur le point de publier un nouvel article. Sur une dizaine de questions, trois portaient sur la méthode de calcul des valorisations des actifs GE. Nous leur demandions de nous préciser comment elles avaient été évaluées, leur proposant de nous rappeler pour en parler de vive voix.

Retournée par mail via son conseiller, la réponse de la diplômée d’HEC tient en deux phrases. Expéditives : « Mme Pécresse s’est conformée aux obligations d’actualisation de sa déclaration d’intérêt à chaque fois que c’est nécessaire, comme le prévoit la loi. (entourage Pécresse). Pour le reste , vous avez déjà eu les réponses ou celles de M. Pécresse ». Jérôme Pécresse, justement, nous a également répondu. Par mail, là encore : « D’une façon générale, indique-t-il le 2 février à Blast sur les actifs General Electric, les valeurs déclarées pour les actions correspondent au nombre d’actions multiplié par le cours de l’action au moment de la déclaration (et pour les actions GE, par le taux de change $/€ au même moment). »

Ainsi livrée, sans aucune autre précision, la méthode du vice-président de General Electric validait celle retenue par Blast. Et le gouffre entre les valeurs que nous avions calculées et celles des déclarations de Valérie Pécresse.

Sur cette image, en haut, les questions de Blast sur les actions GE et le calcul de leur valorisation. A la suite, extraits des réponses de Valérie Pécresse, puis de Jérôme Pécresse.
Mardi matin, ce 8 février, Blast publie un article titré « Valérie Pécresse, ses déclarations de peu d’intérêts ». Surprise, le lendemain de sa parution, Jérôme Pécresse nous adresse un nouveau mail, à l’heure du déjeuner. « Nos déclarations à la HATVP, auxquelles vous faites référence, étaient (…) parfaitement exactes », affirme-t-il. Dans son message, l’époux de l’élue de droite soulève « un point crucial » que nous n’aurions « manifestement pas identifié ».

Cet élément se trouve au bout d’un lien que Jérôme Pécresse a joint à son mail, et qui renvoie à une annonce faite l’été dernier par General Electric. Le groupe américain annonce une opération de regroupement de titres. « Début août 2021, comme vous pouvez le voir dans le communiqué ci-dessous, détaille notre correspondant, General Electric a procédé à une opération de regroupement en bourse de 8 de ses actions en 1. A titre illustratif, un actionnaire détenant 8 actions General Electric de 10$ de cours chacune, s’est alors, à la place, retrouvé avec 1 action au cours de 80$ ». Cette pratique vise à réduire le nombre de titres en circulation dans le monde. Les détenteurs d’actions voient le nombre d’actions de leur portefeuille divisé sans que sa valeur totale ne change en revanche.

Jusque-là, on peut se demander le rapport avec les trois déclarations d’intérêts de son épouse, objet de notre article de mardi : elles sont antérieures à l’opération en réalité officialisée le 18 juin 2021. Sauf que celui qui pourrait devenir le « premier monsieur de France » (en cas de victoire en avril de Valérie Pécresse) l’assure : les calculs de Blast « reposent sur une importante erreur factuelle et sont donc absolument erronés. » « Votre erreur, détaille-t-il, résulte du fait que, après cette opération, pour assurer une comparabilité historique, les sites boursiers comme ceux que vous avez consulté ont retraité a posteriori leurs données antérieures sur la nouvelle base. Vous n’avez manifestement pas identifié ce point crucial. »

Jérôme Pécresse conclut ainsi : « Si vous m’aviez interrogé avant d’écrire votre article sur ce point précis, comme vous l’avez fait sur d’autres, j’aurais pu vous apporter ces éléments et éviter cette erreur, qui confère à votre article et à son intitulé sur votre compte Twitter un caractère diffamatoire, entrainant évidemment un préjudice important pour mon épouse et moi-même. ».

Un article fantôme

Après réception du mail du mari de la candidate des Républicains, Blast a gelé l’accès à l’article, le temps de vérifier – pas l’opération de regroupement de titres de l’été 2021 mais son lien avec les cours de la bourse archivés. Il nous faudra une après-midi entière. Avocats d’affaires, ex-dirigeant de multinationales, service financier de l’AMF (l’Autorité des marchés financiers), investisseurs, journalistes… Sur le moment, personne n’est en mesure de nous répondre sur la rectification a postériori des informations financières. Le service de presse de l’AMF confirmera en fin de journée la pratique : « Pour votre bonne information, écrit la direction de la communication, ce type d’opérations sur titres fait classiquement l’objet d’ajustement antérieur sur les cours. C’est le rôle des fournisseurs de données qui gèrent les données en historique. ».

Ces informations, Jérôme Pécresse (et Valérie Pécresse) ne les ont jamais communiquées à Blast au moment où nous leur annoncions de façon transparente notre article à venir. Les questions qui s’y rapportaient étaient précises : nous leur demandions, répétons-nous, la méthode retenue pour calculer les estimations déclarées. A ces questions, ils n’ont pas voulu répondre, ni détailler les éléments de ce calcul et ces estimations. A la place, Jérôme Pécresse nous a donné une méthode que nous avons suivie.

De notre côté, nous avons pleinement respecté et les méthodes et les temps de passage imposés au travail d’enquête. Nous avons consacré à ce seul sujet une dizaine de jours à temps plein pour en peser chaque point, chaque élément, et les vérifier. Au regard des canons habituels, nous avons même sur-vérifié en contactant tous les intéressés, individuellement, en doublant nos questions et nos mails d’alertes (pour qu’ils ne passent pas à côté), en proposant un échange téléphonique et en cherchant obstinément, malgré les portes claquées et les blocages, à multiplier les interlocuteurs.

Conclusion de ce moment de transparence, Blast a décidé de retirer définitivement son article. Sur l’estimation de la valeur des actions General Electric (notre papier portait sur d’autres points mais le paquet GE en était l’élément fort), nous ne pouvions aboutir à un autre résultat sans les indications que Jérôme Pécresse nous ressort après coup. Ces informations livrées à contretemps, les époux Pécresse ne les ont pas découvertes une fois l’article publié. Et ils avaient tous les éléments en mains pour en connaître sa teneur avant parution.

La vraie question

Reste l’affaire Alstom. Dans les échanges que nous avons eus depuis mercredi avec plusieurs interlocuteurs qui connaissent ce dossier, les mêmes propos reviennent. « La question n’est pas le nombre et la valeur des actions GE, avertit un de ces contacts, vous ne devez pas vous laisser détourner du vrai sujet ! » ; « leur stratégie, souligne un autre avec qui nous avons échangé, c’est de vous confondre sur cette histoire de valeur mais ce n’est pas le vrai point que vous avez soulevé ». Alors, reste l’essentiel.

L’essentiel ? C’est la fortune des Pécresse. Libération, Le Canard Enchaîné ou encore L’Humanité ce vendredi se sont penchés également sur le sujet, à la suite de nos premières révélations. Libé et l’Huma sont revenus sur les approximations des déclarations d’intérêts de l’élue francilienne. Le Canard a plus particulièrement pointé la tendance de l’élue francilienne à avoir la richesse honteuse, et à cacher sous le tapis les signes et les traces de sa fortune. L’hebdo satirique a mis en avant le très conséquent patrimoine du couple – deux villas à la Baule, achetées 1 millions d’euros en 2003 pour la première, 2 millions pour la seconde, et une propriété à proximité du château de Versailles acquise pour 2 millions d’euros encore.

La Une de L’Humanité de ce vendredi 11 février.
Enfin, l’essentiel renvoie surtout à l’affaire Alstom et à nos révélations de janvier sur la situation de conflit d’intérêts de la présidente de la région Ile-de-France, membre du conseil d’Ile-de-France Mobilités (qu’elle préside depuis fin 2015) en violation des règles du code des transports.
Dans notre mail du 2 février, la dernière des questions adressées aux Pécresse revenait sur ce sujet sensible. Elle est ainsi formulée : « – vous indiquez à Blast avoir cédé toutes les actions Alstom versées dans la fiducie créée en janvier 2016. (…) Est-il possible de me faire passer l’acte de cession qui s’y rapporte ? ». Sur le moment, à cette demande non plus nous n’avons pas eu de réponse.

Pour le moment.

(1) A Belfort, le président de la République a annoncé jeudi dernier le retour en France et le rachat par EDF de la division qui s’occupe des turbines Arabelles de nos centrales nucléaires

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Crédits photo/illustration en haut de page :

(c) Adrien Colrat

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