[ad_1] 2019-05-19 17:11:00 Europe solidaire
Malgré une mobilisation tombée à son plus bas niveau durant ces dernières semaines, le noyau dur des « gilets jaunes » comptait bien manifester, samedi 18 mai, pour marquer les six mois de cette contestation sociale inédite, à une semaine des élections européennes.
Le ministère de l’intérieur dénombrait 15 500 participants en fin d’après-midi dont 1 600 à Paris (contre 18 600 participants une semaine plus tôt dont 1 200 dans la capitale, à la même heure). Le comptage des autorités est contesté par les « gilets jaunes », qui ont annoncé pour leur part près de 41 000 manifestants.
A Paris, plusieurs rassemblements concurrents étaient prévus au cours de la journée :
• le premier, contre la hausse du prix du carburant, est parti du siège de Total, à La Défense (ouest de Paris) pour rejoindre le Sacré-Cœur de Montmartre ;
• un autre commençait à 14 heures place de la République ;
certains groupes appelaient aussi les « gilets jaunes » à rejoindre la marche contre le géant du glyphosate Bayer-Monsanto ;
• enfin, comme les semaines précédentes, les secteurs des Champs-Elysées et de Notre-Dame-de-Paris étaient sous surveillance et interdits à la manifestation.
Devant cet éparpillement des défilés et des mots d’ordre dans la capitale, Eric Drouet, une des figures du mouvement, avait appelé dans une vidéo à « arrêter les cortèges à thème ». « Je ne cautionne pas du tout ces marches qui deviennent de plus en plus ridicules », a considéré le chauffeur routier.
Rassemblements à Reims, Nancy, Lens, Marseille
Une autre figure du mouvement, Maxime Nicolle, a choisi de participer à un événement de promotion du référendum d’initiative citoyenne (RIC) à Saint-Hilaire-du-Touvet (Isère). Plusieurs « appels nationaux » avaient aussi été lancés pour se rassembler à Reims (Marne) et à Nancy.
A Reims, environ 1 000 personnes, selon des journalistes de l’Agence France-Presse (AFP), ont répondu à l’appel non déclaré en préfecture. Une dizaine de personnes ont brisé les vitres des locaux de France Bleu dans la ville, a annoncé la radio, précisant que personne n’est entré et qu’il n’y a pas eu de blessé.
A Nancy, les « gilets jaunes » étaient entre 1 300 et 1 400 selon une estimation de la préfecture. Celle-ci a confirmé qu’un drapeau européen avait été décroché de son mât à la Métropole du Grand Nancy par des « manifestants » qui l’ont remplacé par une chasuble fluo.
D’autres rassemblements avaient lieu à Lens (Pas-de-Calais) et Marseille, où l’essoufflement de la mobilisation des « gilets jaunes » était toutefois notable avec environ 800 personnes seulement au départ selon l’AFP. Tout comme à Toulouse, avec plus d’un millier de manifestants – « gilets jaunes », syndicalistes sous des bannières FO et CGT, et militants écologistes et anticapitalistes – contre plusieurs milliers de personnes au début du printemps. Le cortège montpelliérain a également réuni un millier de personnes, selon la préfecture.
« Il n’y a plus de débouchés », selon Macron
A Bordeaux, qui fut l’une des places fortes du mouvement, quelques dizaines de « gilets jaunes » seulement se sont réunis et ont rejoint la marche contre la firme Bayer-Monsanto en scandant « Nous sommes les mêmes, fin du monde, fin du mois même combat », comme à Lille où la manifestation contre la multinationale a réuni partis politiques, syndicats, associations et « gilets jaunes ».
A Besançon, le cortège de 300 « gilets jaunes » a rejoint le rassemblement de 300 manifestants venus pour la Journée de lutte contre l’homophobie et la transphobie. A Reims, Nancy, Lyon et Dijon, des heurts ont éclaté et la police a dû faire usage de gaz lacrymogènes.
Si le 1er-Mai avait largement rassemblé syndicats et « gilets jaunes », l’acte XXVI, samedi 11 mai, avait réuni 18 600 manifestants, selon un décompte officiel contesté par les « gilets jaunes », qui en dénombraient pour leur part 37 500. Pour « celles et ceux qui continuent à faire cela, il n’y a plus de débouchés », a déclaré, vendredi Emmanuel Macron lors d’un déplacement à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). « Nous avons fait notre part de travail », a estimé le président de la République, en évoquant les « réponses » apportées par les mesures annoncées après le grand débat. Il a appelé « au calme » et a invité les mécontents « à se présenter aux élections » futures.
Le Monde
• Le Monde. Publié le 19 mai 2019 à 09h33, mis à jour à 12h17 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/05/18/vingt-septieme-samedi-de-manifestation-six-mois-apres-le-debut-du-mouvement-des-gilets-jaunes_5463796_3224.html
« Gilets jaunes » : après six mois de contestation, l’heure du découragement
Leurs convictions demeurent, mais de nombreux manifestants, de toutes les mobilisations depuis le 17 novembre 2018, constatent que le mouvement recule.
Il y eut soudain un grand silence dans la conversation. Mélissa, 20 ans, était en train de raconter tout ce que ses six mois de manifestation en gilet jaune lui avaient apporté. Elle disait : « Ça m’a ouvert l’esprit. Aujourd’hui, je suis moins centrée sur moi, je fais plus attention aux autres, à nos anciens. » Et aussi : « J’ai pris de l’assurance, de la maturité. On a su dépasser nos peurs d’aller manifester, ça fait grandir. » Et puis elle a ajouté solennellement : « Ça nous a forgés. » Et c’est là que sa voix s’est brisée. L’émotion témoignait de sa fatigue. Mais y résonnaient aussi toute la sincérité et la profondeur de son engagement dans cette révolte inédite pour elle – comme pour la France. « Ce n’est pas juste une simple manifestation, c’est bien plus que ça… En discutant avec les gens, j’ai pris conscience de toute la misère qui existait… », explique-t-elle, bouleversée.
Comme il semble loin ce 17 novembre 2018 où elle était venue manifester pour la première fois de sa vie, avec ses « petites revendications », comme elle dit désormais – « j’ai appris à relativiser » : ses galères d’étudiante, qui pour vivre doit travailler en parallèle de sa formation d’éducateur spécialisé et rembourser un prêt, sa famille ne pouvant l’aider. Ce samedi-là, ils étaient, se rappelle-t-elle, « dans le flou total » :
« On ne savait pas si ça allait durer deux heures ou trois semaines. Beaucoup ne se projetaient pas au-delà du week-end. Je n’aurais pas imaginé que ce serait pris autant au sérieux, que cela aurait un tel impact social. »
Pour ceux qui la mènent toujours, la lutte a pris, en six mois, une envergure imprévue. Les espérances ont grandi à mesure que durait la mobilisation. Ils demandaient moins de taxes sur l’essence, ils se sont pris à rêver de pouvoir changer le monde. Et si elles ne les ont pas satisfaits, les mesures concédées par le chef de l’Etat, le 10 décembre, après seulement quatre semaines de manifestations, les ont finalement confortés dans l’idée que ce mouvement avait une force exceptionnelle, historique même.
« Ça n’a pas été assez explosif »
Ancienne militante de Sud-PTT, rompue aux mouvements sociaux, Françoise, qui garde des enfants quatre jours par semaine pour compléter sa petite retraite, confie n’avoir jamais connu cette intensité en quarante ans de manifestations. « Il y a un bonheur de se retrouver, une solidarité toutes générations confondues que je n’ai jamais vus dans les cortèges syndicaux, constate-t-elle. Quand on dit qu’on est une famille, c’est vrai ! » Elle s’est ainsi surprise à écourter ses vacances de Pâques pour ne pas manquer sa manifestation parisienne hebdomadaire. « C’est un truc qui vous attrape, dit-elle, ça devient vital de se retrouver, d’échanger, de débattre, ça fait un bien fou. Si ça s’arrête… » Elle n’a pas fini sa phrase. « Oui, on a peur que ça s’arrête et on ne sait pas quoi dire pour faire penser aux gens qu’on doit continuer. »
Pour la première fois depuis six mois, cette inquiétude était partagée par tous les « gilets jaunes » que Le Monde a contactés cette semaine. Alors qu’ils continuent de se mobiliser pour une cause dont ils sont plus que jamais persuadés qu’elle est juste, un certain découragement pointait chez ces irréductibles. Daniel, bientôt 62 ans, qui vend des chaussures sur les marchés, peste :
« Je suis un peu dégoûté. Ça n’a pas été assez explosif, il aurait fallu que ça pète partout ! Mais les gens, ils ont des prêts, ils ont leurs gamins, on leur fait peur de tous les côtés… »
Il raconte fièrement ses premiers faits d’armes en novembre sur les Champs-Elysées, s’asseyant devant les policiers, tirant une barrière pour entraver la chaussée, avec écrit sur son gilet : « Aujourd’hui, nous sommes le 14 juillet 1789. » « J’avais besoin de lâcher ma colère, celle de ne pas y arriver dans la vie alors qu’on travaille. Ça rend méchant. » Six mois après, sa colère est toujours là : « Qu’est-ce que j’ai de plus ? » Pour lui, c’est pourtant très concret : 400 euros, obtenus en demandant la prime d’activité. « Ce sont les “gilets jaunes” de mon rond-point de Beauvais qui m’ont dit que j’y avais droit. Quémander m’a toujours fait honte. Mais ce que je voudrais moi, c’est pas des aides, c’est vivre dignement de mon travail ! »
« On est tous plus ou moins à bout »
Pendant des semaines, lorsqu’on leur demandait chaque week-end s’ils retournaient manifester, Laurent, informaticien de 51 ans, dans le Val-de-Marne, répondait : « Toujours motivé ! », quand Fabienne, 53 ans, vendeuse de nappes en Saône-et-Loire lançait : « On lâche rien ! » Cette fois, Laurent a dit d’emblée : « Je pensais que ça allait prendre, ou au moins se maintenir, malheureusement, j’ai l’impression que la mobilisation périclite. Après, tout est fait pour : la répression policière fonctionne, les gens ont peur. »
Fabienne a dit : « On est dans la lutte, on y croit encore. » Avant d’ajouter : « Mais on est tous plus ou moins à bout. » Pilier des « gilets jaunes » de Montceau-les-Mines, elle a passé des nuits entières sur son rond-point. Après six mois, elle n’a, dit-elle, « rien gagné, à part de belles rencontres, et un peu d’espoir » : « Voir les gens se bouger m’a rendu moins pessimiste. » A Noël, elle a été placée en garde à vue pour avoir lancé un « p’tit con » à un policier. « Il m’avait donné un coup de matraque sur la main. »
Elle qui n’avait jamais eu affaire à la justice s’est retrouvée quarante-huit heures en garde à vue : « On se sent moins que rien. » Condamnée avec dispense de peine, elle souffle : « Ça refroidit. Maintenant, j’ai peur de me faire reprendre lors d’une manifestation. » Tous font de la répression du mouvement la raison principale des baisses de mobilisation. Ils ont d’ailleurs radicalement changé de point de vue sur les forces de l’ordre : « Une perte totale de confiance dans la police », résume Laurent.
Aujourd’hui, ils accusent le coup. « On cherche une méthode pour faire face à la répression, peut-être en se recentrant sur notre région », confie Mélissa, qui vit dans le Calvados. A Paris, Françoise explique :
« Je ne suis ni pleine d’espoir ni désespérée. Mais déboussolée. On veut continuer, mais la question c’est comment ? Ceux qui ont appris l’histoire un peu vite croient que la Révolution s’est faite en un jour, le 14 juillet 1789, mais c’est faux. Ni en un jour, ni en six mois, d’ailleurs. »
En attendant le résultat des élections européennes, ils continuent de manifester, comme pour entretenir la flamme. « On maintient une présence, en espérant que les gens finissent par revenir », explique Laurent. Une victoire de la liste LRM soutenue par Emmanuel Macron serait assurément un coup dur pour ce mouvement qui en a fait son ennemi juré.
Aline Leclerc
• Le Monde. Publié le 17 mai 2019 à 11h31 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/05/18/vingt-septieme-samedi-de-manifestation-six-mois-apres-le-debut-du-mouvement-des-gilets-jaunes_5463796_3224.html
A Meung-sur-Loire, la tentation pour les « gilets jaunes » de reprendre la route des ronds-points
Les « Guerrières » appartenaient au noyau dur des « gilets jaunes » de Meung-sur-Loire (Loiret) avant de gagner la capitale pendant plusieurs manifestations. Elles reviennent pour tenter de relancer la mobilisation.
« Entre nous, on aime bien s’appeler les Warriors ou Guerrières », s’amuse Sabrina pour présenter son équipe de « gilets jaunes » de Meung-sur-Loire (Loiret). Elles sont cinq femmes, âgées de 35 à 40 ans, travaillant comme agent d’entretien, ouvrière agricole ou intérimaire à l’usine. Engagées depuis le début du mouvement, le 17 novembre 2018, elles ont enchaîné en six mois blocages et filtrages, observé ruptures et divisions, sillonné le Loiret et le Loir-et-Cher en quête de marches et de chaînes humaines. Jusqu’à décider, quatre « actes » durant, de monter à Paris toutes les cinq, « par amour des risques et de l’action, et pour se faire entendre davantage », précise Sabrina.
« Mais à chaque fois, les CRS nous gazaient, nous nassaient et nous chargeaient », raconte cette femme de ménage de 38 ans. Son fils adolescent soutient son engagement, mais « je ne l’aurais jamais emmené à la capitale pour autant. Trop dangereux. Ni même mon mari : comme il attend sa prothèse de hanche, je préfère qu’il reste à la maison », explique-t-elle. A Paris, son amie Garance s’est pris un éclat de grenade de désencerclement. Sabrina a le genou en vrac après avoir été piétinée : « C’était le 1er-Mai, on collait au cortège de la CGT, et les CRS avaient confisqué nos masques. Je leur répétais que j’étais asthmatique, mais ils ne voulaient rien entendre. Plus tard, quand ils ont gazé, ça courait vraiment dans tous les sens. Comme on était encerclé, pour forcer le passage, il fallait bien des black blocs et quelques “gilets jaunes” qui n’avaient pas peur de se prendre des coups. »
Pour ces Loirétaines, Paris a été l’étape ultime d’un apprentissage militant. Les « gilets jaunes » de Meung-sur-Loire s’étaient, aux origines, répartis entre deux giratoires : celui du Super-U, avec ses vastes tentes blanches sous lesquelles débattre ou pique-niquer, et celui du péage de l’A10, plus austère, à une poignée de kilomètres. Rapidement, des désaccords ont surgi quant aux actions à mener. Les filtrages de courte durée, à la nuisance modérée, ont séduit les « U ». Ceux qui, comme Sabrina, ont opté pour des blocages et de grosses barricades se sont retrouvés aux abords de l’autoroute.
« On tournait en rond »
L’existence de deux cagnottes distinctes n’a fait qu’accroître les frictions. « On dépensait souvent moins que les “U”, donc il nous en restait pas mal. De cette manière, on a pu s’occuper des trois chiens de David », confie Sabrina. David Beaujouan, 36 ans, était une figure locale du mouvement. Ce chauffeur routier est mort en avril, après un malaise cardiaque sur le parking de l’entrepôt Amazon de Saran, près d’Orléans, où son camion venait d’être chargé.
« Et puis, c’était bien beau de rester sur un rond-point mais à un moment, nous aussi on tournait en rond », dit Sabrina. Elle trouva en Marjorie, 37 ans, ouvrière agricole et mère de quatre enfants, une précieuse binôme. Ensemble, elles ont rejoint les marches pacifiques de Blois, Vendôme ou Romorantin, dûment déclarées en préfecture. A chaque fois, Marjorie arborait un large drapeau au-dessus de sa chasuble fluo : le drapeau tzigane, vert et bleu, orné d’une roue rouge à seize rayons. Mais le choc des images de violences et le sentiment d’une absence de considération pour les mobilisations de province ont poussé les deux femmes vers Paris. « On préférait être dans une nasse, visibles de tous, qu’oubliées sur un rond-point de campagne », résume Sabrina.
Samedi 18 mai, après avoir applaudi un rassemblement blésois de motards en colère, les « Warriors » retourneront à leur rond-point historique, pour y organiser un barbecue et rameuter leurs effectifs passés. « Dans notre noyau dur, il y avait beaucoup de chômeurs et de RSA, se souvient Sabrina. A un moment, il a bien fallu qu’ils retrouvent du boulot, en acceptant des horaires décalés et des week-ends sans repos. Il ne restait plus que des retraités, on a perdu pas mal de monde. » Sur Facebook et sa messagerie, la verve des troupes demeure intacte. « La fraternité, on l’a, on est en route pour l’égalité grâce au référendum d’initiative citoyenne (RIC), et la liberté nous sera rendue quand Macron donnera sa démission. On vaincra ! », écrit Marjorie dont l’avenir devrait pourtant enfin s’éclaircir : la jeune femme a entamé les démarches pour démarrer un CAP de pâtissier, un métier qui l’attire depuis longtemps.
Jordan Pouille
• Le Monde. Publié le 17 mai 2019 à 11h28, mis à jour hier à 13h22 :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/17/a-meung-sur-loire-la-tentation-pour-les-gilets-jaunes-de-reprendre-la-route-des-ronds-points_5463367_823448.html
Européennes : les listes « gilets jaunes »
Et une, et deux, et trois listes « gilets jaunes », même si elles ne se revendiquent pas expressément comme telles : Alliance jaune, que mènera le chanteur Francis Lalanne, Evolution citoyenne, déposée par une des figures du mouvement, Christophe Chalençon, et Mouvement pour l’initiative citoyenne, composée de candidats tirés au sort et qui revendique le référendum d’initiative citoyenne. D’autres personnalités qui, à un moment ou un autre, ont connu leur quart d’heure de célébrité ont rejoint telle ou telle liste, comme Benjamin Cauchy sur celle de Nicolas Dupont-Aignan ou Jean-François Barnaba sur celle de Florian Philippot.
Les européennes à venir divisent les « gilets jaunes »
Faut-il voter le 26 mai et, si oui, pour qui ? Les manifestants, dont la plupart se disent apolitiques, hésitent.
[Article du le 12 avril 2019]
Ces dernières semaines, la question s’est faite de plus en plus courante dans les cortèges du samedi comme sur les pages Facebook des « gilets jaunes » : « Que faire pour les européennes ? »
Elle n’avait pourtant rien d’une évidence dans ce mouvement constitué, on l’avait constaté sur les ronds-points cet hiver, de nombreux Français ne votant pas, les uns n’ayant jamais pris leur carte d’électeur, les autres s’abstenant depuis de longues années, convaincus que cela n’avait pas d’impact sur leur quotidien compliqué. Un certain nombre d’entre eux faisaient d’ailleurs valoir, dès le 17 novembre 2018, qu’endosser un gilet jaune était une démarche « apolitique ».
Même s’il se revendique apartisan, le mouvement s’est pourtant révélé, au fil des semaines, éminemment politique. Pour beaucoup, cette mobilisation sur les ronds-points ou sur les Champs-Elysées a été une première expérience de citoyenneté.
Depuis, ces « gilets jaunes » veulent prendre toute leur place dans le débat et tenter de peser dans la politique menée. « Les “gilets jaunes” ont éveillé ma conscience, j’étais lobotomisée par la télé », confiait ainsi récemment Jennifer, une carriste de 39 ans venue de Normandie pour manifester à Paris. « Là j’ouvre les yeux sur ce gouvernement. Donc évidemment que je vais voter aux européennes, et surtout pas pour la liste Macron », poursuivait-elle.
« Tellement technique »
Comme Jennifer, un certain nombre de « gilets jaunes » pourraient se rendre aux urnes le 26 mai. Sur de nombreuses pages Facebook prisées des « gilets jaunes » fleurissent des incitations à prendre sa carte d’électeur avant le 31 mars, limite des inscriptions sur les listes électorales.
Si la plupart des « gilets jaunes » veulent profiter du scrutin européen pour adresser un message à Emmanuel Macron, dont ils contestent la politique, ils ne savent par pour autant pour qui voter. « Je ne sais pas », reconnaissait mi-février Daniel, 62 ans, en marge d’une manifestation parisienne. « Je vais voter pour l’opposition, voir les discours qu’ils ont », poursuivait ce bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA), tout en martelant : « Le 26 mai, pas une voix pour Macron ! »
Jennifer non plus n’était pas fixée. « Je me renseigne sur François Asselineau » (président de l’Union populaire républicaine, UPR), explique cette « gilet jaune ». « Mais je ne connais pas toutes les listes », précise-t-elle. Le candidat de l’UPR est partisan du Frexit, une sortie de la France de l’Union européenne (UE). « C’est vrai qu’ils ne nous ont pas écoutés en 2005, mais je crois que sortir de l’Europe n’est pas la bonne solution, souligne pour sa part Benjamin, 41 ans, comédien à Nantes. Ce qu’il faut, c’est dénoncer les traités, que l’Europe ne soit plus gérée par la finance… Mais c’est tellement technique, on ne maîtrise pas le sujet. »
D’autres « gilets jaunes » évoquent des votes pour les listes La France insoumise, Europe Ecologie-Les Verts, Nouveau Parti anticapitaliste…
Dans un direct sur Facebook, mi-février, Eric Drouet, l’une des figures médiatiques du mouvement, a popularisé l’idée d’un vote unanime des « gilets » pour une même liste. « On fera un post ou un sondage là-dessus, pour qu’on soit tous raccord, expliquait-il. Chacun peut voter ce qu’il veut mais ce serait bien qu’on se disperse pas sur les personnes à voter pour pas donner plus de force à Macron. » En réponse, des internautes suggéraient alors de voter pour l’UPR de François Asselineau, sans que M. Drouet prenne position.
Cette suggestion faisait débat le 6 avril à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) au sein d’un petit groupe de Troyes (Aube), en marge de la seconde « assemblée des assemblées », sorte de réunion nationale de « gilets jaunes ».
« Asselineau, est-ce que c’est utile de voter pour lui ? Est-ce qu’il peut battre Macron ? », s’interrogeait Carole, 55 ans, auxiliaire de vie à domicile. « Moi je sais ce qu’il faudrait pour peser, c’est voter Rassemblement national », tranchait Sabrina, 30 ans, approuvée par Claude, 60 ans, qui pestait : « Mais si on fait ça on va se faire traiter de raciste ! »
« Combat des idées »
Testée depuis plusieurs mois – et créditée de 3 % des intentions de vote par la plupart des sondages –, la possibilité d’une liste « gilets jaunes » reste assez impopulaire dans le mouvement. L’expérience du « Ralliement d’initiative citoyenne » fut révélatrice : cette liste a été l’initiative la plus médiatisée, parce qu’elle était la première à se créer, fin janvier, et qu’elle avait à sa tête une des figures très populaire des « gilets jaunes », Ingrid Levavasseur.
Accusée de « trahir », celle-ci a dû faire face à une campagne très violente de dénigrement sur les réseaux sociaux. Elle a même été agressée lors d’une manifestation. L’aide-soignante de formation a finalement décidé de jeter l’éponge à la suite de désaccords stratégiques au sein de la liste, notamment autour de la rencontre d’une partie de ses colistiers avec le chef de file italien du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio.
A ce jour, une dizaine de projets de listes labelisées « gilets jaunes » ont émergé sans qu’aucun n’apparaisse jusqu’ici en capacité de présenter d’ici au 3 mai (date limite de dépôt des listes) à la fois le nombre de candidats requis et un plan de financement solide. Toujours dans les limbes, certaines de ces listes pourraient fusionner.
Reste que l’idée même de voir émerger une liste « gilets jaunes », en particulier aux élections européennes, va à l’encontre des convictions d’une grande partie des manifestants. Ces derniers refusent de cautionner un système politique qui, jugent-ils, pousse à défendre les intérêts particuliers plutôt que l’intérêt général. « Dès lors que vous prétendez aux suffrages, vous ne pouvez plus mener le combat des idées, estimait même auprès du Monde en février François Boulo, porte-parole de « gilets jaunes » de Rouen. Car vous rentrez dans des stratégies pour vous faire élire. »
« Contrôle démocratique »
Les 6 et 7 avril, au terme de discussions assez vives menées au sein de groupes de travail, les 700 « gilets jaunes » réunis à Saint-Nazaire, représentants 235 délégations de toute la France, se sont accordés sur un appel commun pour les élections européennes. Très critique à l’égard des institutions de l’UE, considérées comme « anti-démocratiques et ultralibérales », ce texte va à l’encontre de la stratégie de vote soutenue par Eric Drouet.
Rappelant que l’un des principes du mouvement est « l’autonomie des groupes de “gilets jaunes” et des individus en général », ces « gilets jaunes » ne donnent « aucune consigne de vote ou même de participation à ces élections », tout en condamnant « toutes les tentatives de constitution de liste politique au nom des “gilets jaunes” ! »
Défendue par certains délégués, l’idée d’actions de blocage des bureaux de vote « dans les quartiers riches puisque l’abstention touche majoritairement les quartiers populaires » n’a pas été retenue, faute de faire consensus.
Dans leur appel, ces « gilets jaunes » suggèrent seulement de profiter de la campagne pour sensibiliser contre les institutions européennes et organiser des actions pour « tourner en dérision cette mascarade électorale ». « Le Parlement européen que nous élisons n’a même pas le pouvoir de proposer une loi ! La Commission européenne décide de tout sans aucun contrôle démocratique », s’indignent-ils dans le texte.
Suggérant de traduire et de faire circuler leur appel en Europe, ces « gilets jaunes » proposent en outre un grand rassemblement européen à Bruxelles et préviennent : « Quel que soit le résultat du vote, il faudra compter sur nous ! C’est dans la lutte que se construira l’Europe des peuples. » Ils se sont quittés sans arrêter de date pour ce rassemblement.
Aline Leclerc
• Le Monde. Publié le 12 avril 2019 à 11h19 – Mis à jour le 13 avril 2019 à 10h03 :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/12/les-europeennes-a-venir-divisent-les-gilets-jaunes_5449226_823448.html
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