La rédaction de Frustration est choquée et en colère contre le traitement médiatique infligé à Taha Bouhafs, journaliste et militant. Décidément en France, le journalisme « neutre et objectif » s’arrête dès que le sujet traité porte sur quelqu’un qui n’est pas blanc et qu’il a le malheur de s’engager politiquement. Forcément suspect, présumé coupable ! Thomas Flahaut s’en est ému sur sa page personnelle et puisqu’il mettait les bons mots sur cette colère, nous lui avons demandé de l’écrire dans Frustration :
Si vous regardez un peu la télévision ou que vous en percevez, comme moi, les échos à travers Twitter, vous aurez noté que, partout, on diffame, on accuse, on insulte Taha Bouhafs, un jeune journaliste de 25 ans, auteur d’un livre beau et utile, Ceux qui ne sont rien (La Découverte, 2022), et candidat aux législatives sous les couleurs de l’Union Populaire à Vénissieux, dans le Rhône.
Des plateaux RMC à ceux de France 5, son investiture est qualifiée, pour les plus sobres, de « polémique » ; elle est généralement « scandaleuse », une preuve que des « démons communautaristes » hantent la France Insoumise. Sur Cnews, table ouverte de l’extrême-droite française, Taha Bouhafs serait « ouvertement islamiste », « raciste et antisémite » et même le « nouveau Jean-Pierre Stirbois » (député FN en 86 et ancien du MJR, fondé par des ex-OAS, ce qui double l’insulte quand on sait l’héritage anticolonial dans lequel s’inscrit Taha Bouhafs).
Cela, sans jamais aucune contradiction, sans jamais donner la parole à celui qu’on accuse – toujours, on dénie à Taha Bouhafs le droit à la parole. Répéter ici ces injures serait encore leur donner un écho malgré moi alors que ces accusations ont été démontées maintes fois par l’intéressé et ses avocats. Alors que, surtout, il s’agit de dire autre chose par-dessus tout ce bruit dégueulasse :
Taha Bouhafs n’est bien sûr rien de tout ce qu’ils disent. Taha Bouhafs s’est engagé avec une ardeur dont peu d’entre nous n’avons jamais été capables dans les luttes sociales et antiracistes. Taha Bouhafs est, et c’est un sérieux problème pour eux, un jeune arabe, un intellectuel et un militant venant des quartiers populaires et qui ne s’en excuse pas, qui le revendique. C’est bien pour cela qu’il est victime d’un acharnement raciste de la part de toute la droite, de l’extrême-droite, de réactionnaires s’entêtant encore à se dire de gauche et des médias des dominants, acharnement démultiplié par les réseaux sociaux.
On parle souvent de Taha Bouhafs comme de celui qui a déclenché l’affaire Benalla : on lui doit en effet cela, d’avoir crevé l’écran du soi-disant nouveau monde macroniste et d’avoir prouvé, si c’était encore nécessaire, qu’il n’était que la version grotesque de ce qu’a toujours été l’Etat français, colonialiste, au service des intérêts capitalistes, un petit club où tout est permis pour qui a le bon carnet d’adresses.
On lui doit cela mais en vérité, on lui doit bien plus.
Il est de ceux qui permettent, dans notre camp, aujourd’hui, de donner de l’élan à une nouvelle génération de militants et de construire une gauche de combat luttant contre toutes les formes d’oppression, dans la rue et les institutions de la République française. Il y contribue en menant de front l’engagement dans son travail de journaliste et de « chroniqueur » (c’est un mot que j’emploie pour qualifier son travail d’écrivain, pour saluer sa justesse), l’engagement antiraciste (la marche contre l’islamophobie qui a en partie conduit LFI à clarifier sa position sur cette question, ou le Comité Justice pour Adama pour ne citer que cela), l’engagement enfin dans la dynamique institutionnelle de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale. Il est une de ces figures qui contribuent à construire une conscience commune aux opprimés, à faire tenir ensemble lutte de classe et antiracisme. Son livre est un creuset de nos désespoirs et de nos colères, il fait tout tenir ensemble et pour cela, je le remercie de nous avoir offert cet outil politique.
Taha, c’est cela : il représente toutes nos colères, il représente aussi nos possibles politiques.
La tornade réactionnaire qui s’abat sur lui a pour objectif de l’abattre. Imaginer un jeune homme tel que lui devenir député, cela les répugne, cela les révolte. S’ils frappent Taha, ils frappent avec lui les personnes racisées, les antiracistes, les jeunes issus des classes populaires, toutes celles et ceux qui feraient tâche dans leur tableau, qui n’ont droit à la parole que lorsqu’ils se taisent et les laissent parler à leur place, qui ont encore moins le droit d’aspirer à délibérer, et dont les vécus ne peuvent pas être l’assise d’une pensée et d’une action politique.
J’écris des livres, des romans, c’est mon travail. Mon écriture est toujours irriguée par la politique. Mais la position d’artiste, le dégagement qu’elle implique, est une position de confort. En tant qu’artiste et antiraciste, en tant que jeune issu des classes populaires, si mon travail m’a donné ne serait-ce qu’un peu d’espace pour m’exprimer, cela ne sert à rien si je ne défends pas Taha comme je défendrais mon petit frère ou moi-même, si je ne prends pas, a minima, sa défense publiquement. Si je ne dis pas publiquement que ce qui arrive à Taha me révolte. Que je serai de son côté quoiqu’il arrive, comme il se sentait entouré, « en lieu sûr », parmi la foule de cette manifestation anti Loi El Khomri, descendant une rue de Grenoble dans cette scène bouleversante qui ouvre son livre. Tu dis que la foule t’entraînais, tu nous entraînes aujourd’hui.
La présence de Taha Bouhafs à l’Assemblée nationale le mois prochain, mais également celle de Rachel Keke (femme de chambre qui a mené, avec ses collègues, le mouvement victorieux à l’Ibis Batignolles auquel Taha Bouhafs consacre les deux derniers chapitres de son livre), de Stéphane Ravacley (boulanger de Besançon, gréviste de la faim pour empêcher, avec succès, son apprenti d’être expulsé du territoire), lève un grand espoir. Ils sont nos frères, sœurs, pères, et mères, ils sont nos amis. Défendre Taha, c’est défendre cet espoir-là.
Ce court texte est peut-être un peu brouillon. J’oublie peut-être des choses, des gens, des combats : je l’écris vite, sous le coup d’une colère noire. Je l’écris pour te dire, Taha, que tu n’es pas seul, que nous croyons en toi.
Thomas Flahaut
Invité au micro d’Europe 1, Alexis Corbière, député de La France insoumise, revient sur la potentielle investiture de Taha Bouhafs, journaliste pour « Le Media », aux législatives dans le cadre de l’union populaire menée par LFI. Ciblé par de nombreuses attaques, le député estime que le journaliste est victime d’un acharnement.
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