LEGISLATIVES : LES LUTTES DES CLASSES POPULAIRES MONTENT SUR LA SCENE POLITIQUE

Ce second tour des législatives a confirmé et amplifié les leçons principales du premier tour. Bien que LREM ait obtenu le plus grand nombre de députés, le fait qu’il n’ait pas la majorité absolue est une claque magistrale et significative pour Macron et sa politique. Ensuite le succès de la Nupes avec un peu lus de 31% est clair même s’il est limité par l’abstention et en fait de très loin la première force d’opposition. Enfin, la droite confirme son écroulement à 7% et un rééquilibrage de ce côté de l’échiquier politique au profit du RN. Le résultat du RN n’est pas pour autant une victoire puisqu’il baisse en voix et pourcentage à 17% malgré ce qu’en dit la presse et le soutien éhonté des médias parce qu’il ne fait qu’atteindre en nombre de députés une représentation parlementaire plus conforme à ses résultats électoraux. Cela traduit surtout la fin du Front républicain où la gauche additionnée à la droite faisaient barrage contre le RN et l’apparition d’un front LREM, LR et RN contre la Nupes – et à travers elle contre les travailleurs – au vu des reports de voix entre ces trois forces, un véritable bloc bourgeois, sur lequel Macron pourra compter malgré leurs chamailleries internes, pour sa « majorité d’action », comme l’a annoncée Elisabeth Borne, afin de continuer à démolir les acquis ouvriers.
Mais surtout, le plus important, au delà de ce cadre politique institutionnel, est la progression de l’abstention qui avait déjà battu tous les records au premier tour à 52,3% pour atteindre cette fois 53,8%, avec des chiffres très élevés dans les classes populaires, chez les jeunes, les femmes, les travailleurs qui traduit leur rupture avec l’ensemble du système de représentation politique bourgeois et qui donne toute la signification de ce scrutin.
C’est cet ensemble de ces trois éléments, la défaite politique de Macron, le succès relatif de la Nupes qui en fait la première force d’opposition populaire prenant la place de l’extrême droite, et la progression historique de l’abstention dans les classes populaires qui fait du succès électoral de Rachel Kéké, la femme de chambre de la grève victorieuse des Batignolles, le symbole de ce scrutin, et donne le sens général de ces élections, la montée des luttes des classes populaires sur la scène politique en révélant les évolutions en cours des consciences, en donnant les contours de la période à venir et ce qu’on peut y construire.
La défaite de Macron et le succès de la Nupes sont un succès pour les classes populaires parce que leur signification va au delà du succès strictement électoral lui-même et le coup d’arrêt électoral porté à Macron en annonce un second, plus important, par les luttes.
En effet, ce demi succès électoral de la gauche dans le cadre d’une forte abstention populaire mais aussi de luttes et grèves incessantes y compris pendant la période électorale, l’échec gouvernemental et le recul de la droite sans que l’extrême droite ne la compense, sont l’expression d’un infléchissement du rapport de force général qui traduit de manière déformée la poussée des luttes populaires en cours depuis 2016.
Cette poussée n’a certes qu’une expression politique déformée au travers de la Nupes corrigée de l’abstention, et n’a pas encore trouvé d’expression politique directe et autonome dans ce scrutin mais a déjà fortement pesé sur lui. Cette pression populaire va chercher dans la période à venir à se trouver une traduction politique plus directe et autonome de ses mobilisations de rue, puisqu’il n’y a plus d’élections déterminantes avant un moment mais que l’inflation, elle, continue tous les jours, tout comme les attaques de Macron qui ne cesseront pas malgré sa fragilisation.
L’abstention de masse est particulièrement forte chez les jeunes, les femmes et les ouvriers comme au premier tour pour avoisiner parfois les 70%. Il faut lui donner tout son sens.
Cette abstention, couplée au succès de la gauche, ne traduit pas un désintérêt de l’action sociale et politique car si ce sont les jeunes, les femmes et les ouvriers – les jeunes femmes ouvrières tout particulièrement – qui s’abstiennent le plus, ce sont aussi eux, et tout particulièrement elles, qui se sont le plus mobilisées dans les très nombreuses grèves et luttes sociales qui marquent toute la période, y compris dans ce moment électoral. Ce ne sont pas les jeunes, les femmes et les ouvriers qui ne s’intéressent pas à la politique, c’est la politique qui ne s’intéresse pas à eux.
Ce qui dégoûte les classes populaires abstentionnistes c’est ce système politique qui fait que bien que n’ayant que 25% des voix au premier tour, le parti macronien obtient la quasi majorité en sièges, autrement dit l’anti-démocratie institutionnalisée.
Malgré son succès, la Nupes a raté ce rendez-vous avec la jeunesse en général et la jeunesse ouvrière en particulier, elle qui est au premier rang des luttes sociales, féministes, anti-racistes ou anti-fascistes. Bien sûr des candidats Nupes ont déclaré qu’ils soutenaient ces luttes, qu’il y en avait besoin, etc,… mais tout le monde a bien compris, et les électeurs l’ont exprimé, que la Nupes n’a en rien voulu utiliser sa force pour aider à la coordination des grèves pour les salaires et de toutes les autres luttes des gens eux-mêmes, seule manière de changer radicalement le rapport de force. Bref, la jeunesse a compris que la Nupes voulait son propre succès mais pas réellement le succès de la jeunesse ouvrière en lutte. Cette distance – et encore plus outre-mer où le couple de l’abstention et des luttes battent tous les records avec des succès des indépendantistes – vis-à-vis de tout le système électoral, n’est pas de l’indifférence politique, c’est la méfiance de ceux qui luttent à l’égard de la délégation de pouvoir vers ceux qui ne cherchent pas à organiser le succès de ces luttes et qui jouent le jeu traditionnel institutionnel, alors que toute la période cherche la subversion de ce jeu, les Gilets Jaunes en étant l’expression la plus claire.
Le succès souvent magistral des candidats Nupes les plus engagés dans la lutte est une sorte de ruse du mouvement social utilisant les élections pour encourager globalement aux luttes. Ce n’est plus le système électoral qui détourne les luttes en leur donnant un débouché électoral, c’est le mouvement social lui-même qui utilise les élections pour renforcer le courant des mobilisation et qui donne aux élections un débouché dans la lutte généralisée.
Ce résultat électoral marque l’inversion des rapports traditionnels entre le politique jusque là dominé par les institutions bourgeoises et les mobilisations sociales. On va probablement connaître dans la période qui s’ouvre tout à la fois une marche vers une généralisation des grèves et luttes et en même temps la politisation de toutes ces luttes. Les grèves générales contre la vie chère en Grande Bretagne, Irlande, Belgique, Tunisie, Maroc ces derniers jours pour les pays proches de nous – mais c’est la même évolution partout dans le monde – visaient toutes les symboles politiques du pouvoir. Cela ouvre à un été chaud qui fait craindre aux bourgeois, par exemple en Grande Bretagne, une situation semblable à celle de la grève générale insurrectionnelle de 1926.
L’irruption des classes populaires en lutte sur la scène politique par le biais déformé des élections et de la Nupes dans l’un des pays politiquement influents du monde aura certainement des effets d’entraînement à l’étranger. Cela clôt la période de Syriza en Grèce et de Podemos en Espagne et en ouvre une autre vers la recherche d’une expression politique indépendante pour les luttes de la classe ouvrière. Ce sera une source d’inspiration certes pour des partis idéologiquement similaires en Europe et dans le monde mais surtout pour les classes populaires et leurs luttes. Au moment où l’Europe et le monde sont aux prises avec les retombées économiques de la guerre de la Russie en Ukraine et de la formidable résistance populaire ukrainienne, ce résultat électoral traduit des évolutions générales en cours et en même temps pèse de manière importante sur leur développement.
Jacques Chastaing, 20 juin 2022
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