Crise à LFI : Mélenchon en plein doute

Par Rachid Laïreche — 
Hologramme de Jean-Luc Mélenchon, le 31 janvier à Gennevilliers (Hauts-de-Seine).Photo Boby

Depuis son échec aux européennes, La France insoumise s’interroge sur sa ligne. Alors que les langues se délient, le chef, lui, ne dit mot. Tantôt effondré tantôt optimiste, il écoute, analyse, mais n’a encore rien tranché sur son avenir et celui du mouvement.

Jean-Luc Mélenchon, le roi du silence. Les curieux se tassent, les médias se bousculent pour recueillir sa première analyse après la chute de son mouvement aux européennes (6,3% des voix). Il ne moufte pas. Rien. Alors que les questions s’accumulent sur son avenir politique. A quel point prendra-t-il du recul ? Le député des Bouches-du-Rhône laisse le monde spéculer, tourner autour de sa personne. Le maître des horloges insoumises : plus on lui demande de parler, moins il parlera. Un jeu rigolo. Sauf que la maison brûle. Les débats au cœur de La France insoumise s’enchaînent, voire se déchaînent, et la parole du chef suprême est attendue pour freiner les doutes. Le hic : aucun dirigeant n’est capable de donner la date et le mode d’expression. Un peu comme l’humeur de Mélenchon ces derniers jours, le programme évolue au fil des heures. Alexis Corbière résume la situation : «La vérité, c’est que personne ne sait. Si par hasard, vous croisez une personne qui croit savoir, dites le moi, ça m’intéresse.»

Depuis la soirée électorale du 26 mai, Jean-Luc Mélenchon consulte beaucoup. Des réunions, des discussions groupées sur la messagerie Telegram, des échanges individuels. Il écoute les tendances, les propositions. Les premiers jours, le tribun était «effondré», racontent ses visiteurs. Pas très bavard, il a laissé les députés et les acteurs de la campagne livrer leur bilan. Une de ses proches analyse la situation de manière «globale». Dans un premier temps, elle ne cache pas que l’insoumis en chef est «atteint» par le résultat des urnes alors qu’il s’est «énormément» mobilisé tout au long de la campagne. Puis : «Presque personne ne souligne que tout notre camp politique est affaibli en Europe et le score de l’extrême droite en France est encore très haut, ça aussi ça le touche.» L’alignement des mauvaises nouvelles, donc.

Frondeuse

Jean-Luc Mélenchon n’a pas eu le temps de digérer la défaite. Une fronde interne est née avant que la «poussière retombe», selon sa formule désormais consacrée. Clémentine Autain d’abord. La députée de Seine-Saint-Denis a dénoncé publiquement la «logique du clash» du tribun qui, selon elle, a pris le dessus sur «la mise en avant de notre vision du monde et de nos propositions».

Une sortie qui n’a pas vraiment étonné le député. Il n’a jamais eu confiance en Autain : il lui a souvent reproché de jouer «volontairement» contre son camp, de «nuire» à LFI. D’ailleurs, c’est pour cette raison que la députée n’a jamais été dans le premier cercle du chef. Une sorte de mise à distance. Lorsqu’on interroge la garde rapprochée de Mélenchon au sujet de la frondeuse, les phrases débutent souvent de la même manière : «Clémentine on l’aime bien, mais…»

Un autre coup est tombé dans la foulée : une note interne a fuité dénonçant le manque de démocratie au sein du mouvement. Parmi les signataires, Charlotte Girard, corédactrice du programme présidentiel l’Avenir en commun et pierre angulaire du mouvement. Et là, Mélenchon n’a rien vu venir. Les signataires soulignent «l’affaiblissement du réseau militant et les départs de plusieurs responsables dus en grande partie au mode de fonctionnement du mouvement depuis sa création».

Tout au long du texte, le nom du chef n’est pas mentionné une seule fois, mais c’est lui qui est visé. Une attaque en règle. Lui parle de «trahison»et réduit la fronde a des querelles d’égo, à de «morbides jalousies mutuelles» qui saccagent des années de travail. Pire : les fâchés se répandent chez l’ennemi, le «parti médiatique». Remonté, l’insoumis en chef n’hésite pas à contacter directement quelques signataires pour leur dire tout le bien qu’il pense d’eux. Une réaction qui inquiète militants et dirigeants. «On répète depuis des mois que tout va mal, qu’on souhaite que les choses changent en interne, et lui préfère parler de trahison»,tempête un insoumis parisien.

Cette stratégie lui a joué des tours. Samedi, Charlotte Girard a publié un texte sur Facebook pour annoncer son départ de LFI. Elle a peu goûté à ces retours acides qui ont suivi la publication de la note interne dans les colonnes du Monde. On lui a reproché la fuite dans la presse. «Elle était contre la parution de la note, Charlotte souhaitait un débat interne sur la démocratie, un débat qu’elle n’a jamais réussi à avoir. Aujourd’hui, personne ne peut lui reprocher sa décision», souffle un de ses amis. L’universitaire a supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux. Une manière de couper le contact avec le monde médiatique et insoumis.

Un départ pas facile à avaler. Jean-Luc Mélenchon a toujours eu un rapport «fort» avec Charlotte Girard : son compagnon, François Delapierre, mort en 2015, était le plus fidèle camarade de route de l’ex-sénateur. Au sein du mouvement, les insoumis «tristes» soulignent que l’universitaire est «avant tout une tête bien construite», qu’elle «théorise» et «pense» la politique comme peu d’autres.

Rayon de soleil

Comme toujours, face à la cascade d’embrouilles, Mélenchon ne laisse pas filer le moindre détail : il a décortiqué le scrutin européen région par région afin de mesurer l’ampleur des dégâts et tenter de trouver un rayon de soleil. Le député en a trouvé un à Marseille : LFI est arrivée en tête dans plusieurs quartiers dans la circonscription où il a été élu député. Un infime soulagement. En coulisses, il répète que les européennes ont été casse-gueule parce que son électorat est resté à la maison. Une façon de se convaincre que, contrairement à l’histoire que ses détracteurs écrivent, son avenir politique n’est pas sombre. Et qu’il suffit de battre mieux le rappel pour remonter dans les urnes.

Pas un hasard : la présidentielle est toujours dans sa tête. Jean-Luc Mélenchon n’a pas tout à fait coupé le son. Celui qui n’a pas encore trouvé les mots pour rassurer les militants et leur «proposer un chemin»sera à la tribune de l’Assemblée nationale ce mercredi. On est prêt à prendre les paris : pour répondre au discours de politique générale de Philippe, il trouvera les bons mots.

Rachid Laïreche

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