Le One forest summit, dédié à la préservation des forêts tropicales, est une « opération de communication », selon l’association Canopée. – © Sergio Hanquet / Biosphoto via AFP
Le Gabon accueille jusqu’au 2 mars le One forest summit, dédié à la préservation des forêts tropicales. Cet évènement international a peu de chance de réduire la déforestation, déplore Klervi Le Guenic, de l’association Canopée.
Klervi Le Guenic est chargée de campagne au sein de l’association de défense des forêts Canopée. Son travail porte sur les forêts tropicales.
Reporterre — Quels sont les enjeux du One forest summit, qui se tient jusqu’à aujourd’hui à Libreville au Gabon ?
Klervi Le Guenic — Il s’agit plus d’une opération de communication que d’un vrai sommet qui va changer l’avenir des forêts. Ce sommet est organisé par la France et le Gabon, avec trois objectifs : développer les connaissances scientifiques sur les forêts, promouvoir des chaînes de valeur plus durables, et développer des sources de financements innovantes contre la déforestation. Les deux premiers volets nous semblent bienvenus. C’est sur le troisième que le bât blesse.
On n’attend rien de ce sommet, parce qu’on pense qu’il part sur de mauvaises bases. Il va faire la promotion de fausses solutions au lieu de se poser les vraies questions, notamment la question du financement de la déforestation.
Qu’entendent les organisateurs par « sources de financement innovantes contre la déforestation » ?
L’idée, concrètement, est de réfléchir à comment développer les crédits carbone. Le principe, c’est de rémunérer un pays ou une entreprise parce qu’elle a évité une déforestation, ou parce qu’elle a stocké du CO2, notamment en plantant des arbres. On donne une valeur monétaire à un service écosystémique.
Ce n’est pas une bonne idée pour plusieurs raisons. Premièrement, des enquêtes montrent très régulièrement que la déforestation évitée — c’est-à-dire le fait de rémunérer une entreprise qui a permis de préserver des forêts — est inefficace. Les bases de calculs ne sont pas les bonnes. Sans parler du fait qu’il s’agit souvent de projets où les populations locales sont peu impliquées, ou qui mènent à un accaparement des terres. La deuxième option, la plantation d’arbres, permet à des entreprises comme Total de créer des plantations de monoculture en Afrique pour compenser leurs émissions de CO2. C’est tout aussi inefficace : quand on plante un arbre, il met des décennies à stocker du carbone. On n’a pas ce temps-là devant nous.
Comment expliquer l’attrait des États et des entreprises pour ces solutions inefficaces ?
Une partie de cet attrait est lié au fait que ces solutions permettent de continuer de fonctionner de la même manière. Elles donnent l’impression qu’on n’est pas obligés de changer nos activités émettrices mais juste de les compenser en plantant quelques arbres. Ça permet de ne pas repenser nos modèles.
Comment pourrions-nous lutter de manière vraiment efficace contre la déforestation des forêts tropicales ?
La déforestation est à 80 % liée à l’expansion agricole et à l’élevage. On n’a pas forcément besoin d’un sommet au Gabon pour agir dessus. Même si elle a l’air lointaine, elle est liée à des matières premières qu’on utilise au quotidien : le soja [utilisé pour nourrir les animaux d’élevage], le cacao, le café, l’huile de palme, le bœuf, le caoutchouc, le bois…
Le règlement européen contre la déforestation, dont la négociation s’est achevée en décembre, interdira le fait d’importer ces matières premières si elles sont responsables de déforestation. Ce projet de loi ne sera efficace que s’il est correctement appliqué et que son budget est suffisant pour qu’il y ait des contrôles conséquents. Mais ça reste une super initiative.
Ce qui manque à ce règlement, cependant, c’est qu’il ne concerne pas les institutions financières. Si on arrêtait de financer la déforestation, elle cesserait plus ou moins d’exister. Le 28 février, nous avons montré que les quatre plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, et BCPE/Natixis) avaient participé à hauteur de 15 milliards de dollars à des transactions qui financent deux entreprises associées à la déforestation liée au soja : Bunge et Cargill, deux des plus importants négociants de soja au monde. Ces banques ne paient pas directement des tronçonneuses. Mais elles financent des entreprises qui s’approvisionnent dans des régions déforestées.
Si ces banques disaient qu’elles ne veulent pas être associées à la déforestation, si Cargill et Bungie avaient davantage de difficultés à se financer, peut-être qu’elles arrêteraient leurs activités responsables de déforestation. Il faut qu’il devienne illégal de financer des activités responsables de la déforestation. Ça, ce serait une excellente solution. Mais elle exige un cadre plus restrictif à l’égard des entreprises. C’est beaucoup moins évident pour les gouvernements que les crédits carbone.
Y a-t-il un espoir que ce sujet émerge pendant le One forest summit ?
On est partis sur des très mauvaises bases. Donc non. Mais ça pourrait peut-être se faire dans d’autres cadres.
Le Parlement européen avait voté pour inclure les institutions financières à son règlement contre la déforestation. Malheureusement, ce n’est pas passé au Conseil et à la Commission. En France, on a une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Elle n’est pas contraignante, mais elle a malgré tout permis d’obtenir quelques avancées. S’il y avait plus de volonté politique, le sujet pourrait monter.
Poster un Commentaire