Manifestation du 1er-Mai à Paris : « Il faut qu’on se rende ingouvernables »

Publié le :

La manifestation du 1er-Mai, à Paris, le 1er mai 2023. © Thibault Camus, AP

Une manifestation massive et festive, mais émaillée de violences, s’est déroulée à Paris lundi pour célébrer le 1er-Mai et poursuivre la contestation contre la réforme des retraites. Dans le cortège, la détermination des manifestants semble renforcée par leur colère à l’encontre d’un gouvernement jugé méprisant.

Dès le départ, le ton est donné : la statue emblématique de la place de la République à Paris est revêtue d’un maillot jaune floqué d’un « Macron démission ». Ce lundi, les traditionnelles manifestations du 1er-Mai, en France, sont sept à dix fois plus importantes que celles de l’an dernier, réunissant plus de 2 millions de personnes selon la CGT, 782 000 selon les autorités. La réforme des retraites est dans toutes les têtes.

Dans la foule massive devenue presque habituelle depuis le début de la contestation en janvier, les drapeaux des syndicats, à l’unité inédite, côtoient ceux des Kurdes et des anarchistes. Cornes de brume, sono des camions syndicaux et fanfares entretiennent une cacophonie joyeuse, où le rap contestataire se noie dans les coups de sifflets, et où chacun rivalise d’imagination pour clamer sa colère et sa rancune à l’encontre d’un gouvernement jugé sourd et méprisant.

« Les casseroles, c’est inventif et enthousiasmant »

Thomas et ses amies y sont allés franchement : coiffés de chapeaux en forme de crottes, ils brandissent une pancarte affirmant « Il nous chie dessus et emmerde la démocratie ». Pour ce designer de 32 ans, « la démocratie est en danger et notre gouvernement est de plus en plus autoritaire. Rien ne va, la moindre protestation est réprimée, on nous confisque nos casseroles comme nos cartons rouges… Nous ne pouvons pas nous résigner, sinon on est perdus. C’est maintenant ou jamais. »

Thomas, 32 ans, à la manifestation du 1er-Mai, à Paris, le 1er mai 2023.
Thomas, 32 ans, à la manifestation du 1er-Mai, à Paris, le 1er mai 2023. © Lou Roméo, France 24

Beaucoup, ce lundi, partagent sa détermination et son sentiment d’urgence, tout comme sa sympathie à l’égard des « casserolades« , ce nouveau mode de contestation qui consiste à suivre les ministres pour perturber leurs déplacements.

« Il faut qu’on se rende ingouvernables, souligne ainsi Emmanuelle, 53 ans, enseignante en lycée professionnel venue manifester avec sa collègue Nathalie. S’ils ne nous écoutent pas, il faut qu’on soit dans une sorte de petite insurrection permanente. Tout pour que cette colère ne retombe pas dans l’escarcelle de l’extrême droite. Les syndicats ont été exemplaires, mais le schéma est inquiétant, le pouvoir brutalise la société et refuse d’entendre ce que tout le monde a à dire. Je crains une colère sourde, une aigreur violente qui va finir par exploser. Alors, je trouve que les casseroles, pour l’instant, c’est inventif et enthousiasmant. Qu’ils les confisquent, ça me donne envie de vomir, je trouve ça abject. »

« Une force de blocage du projet macroniste » 

Face au risque de récupération par l’extrême droite, Marie, 39 ans, maîtresse de conférence à l’université, veut, elle, « transformer l’essai », et voir l’unité des syndicats et de la rue nourrir un projet politique « qui fasse le poids face au libéralisme. »

« On n’a pas gagné sur les retraites, mais de nombreux projets politiques au moins aussi délétères ne pourront pas être menés par le gouvernement, espère-t-elle, en citant la loi immigration de Gérald Darmanin, dont l’examen a été suspendu et reporté à l’automne. Nos mobilisations sont une force de blocage du projet macroniste. Il faut qu’on continue, et qu’on trouve une unité à gauche pour développer un contre-projet politique, car une large frange de la population est en colère. »

Marionnettes géantes, vitrines brisées et punching-ball 

Rage et espoir se mélangent ainsi dans le cortège, égaillé par une marionnette géante dansant au son du chant révolutionnaire chilien « El pueblo unido jamás será vencido » (« Le peuple uni jamais ne sera vaincu »), ou encore un punching-ball en papier mâché à l’effigie d’Emmanuel Macron, ainsi que des pancartes rivalisant de jeux de mots. Mais sur le trajet, des vitrines et des abribus fracassés témoignent aussi des heurts qui se déroulent plus avant, opposant membres du cortège de tête et policiers.

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

« Les mouvements populaires deviennent de plus en plus violents à force de ne pas être entendus », remarque ainsi Ninon, juriste de 45 ans, à côté de la façade brisée d’un magasin, et alors que retentit la chanson « Allumez le feu » de Johnny Hallyday. « Le référendum [d’initiative partagée, demandé par des sénateurs et sur lequel le Conseil Constitutionnel doit statuer mercredi, NDLR] serait bon à prendre. Il y a un besoin de démocratie, de débat, de mettre les choses sur la table, mais le gouvernement ne veut pas. Veut-on prioriser l’argent et le capitalisme, ou bien la vie des gens ? »

Le spectre des Gilets jaunes 

Place de la Nation, alors que la situation se tend et que l’odeur des gaz lacrymogènes et le bruit des grenades de désenserclement répondent aux slogans antipolice, un homme brandit un large étendard où s’étalent des gilets jaunes. Le spectre de ce mouvement populaire semble ainsi flotter dans l’air, bien s’ils soient peu nombreux à l’avoir revêtu dans le cortège.

Yassine*, 25 ans, croisé un peu plus tôt alors qu’il manifestait derrière la grande banderole ocre ornée du logo de la Jeune Garde, un groupe antifasciste, l’affirme : « Il faut une grève générale, et si cela ne prend pas, que le peuple aille dans la rue comme l’ont fait les Gilets jaunes. Les syndicats sont dans des actions ponctuelles et on voit bien que ça ne suffit pas. Les Gilets jaunes ont fait peur à l’État, et sans ça, ça n’avance pas. »

Julie, éducatrice spécialisée de 33 ans, venue avec sa fille, partage le même avis : « Je voudrais que le mouvement se durcisse, car il faut en passer par là, affirme-t-elle. Je suis inquiète, pour moi, pour les générations futures, pour les familles que j’accompagne. Il faut y aller plus fort. À quand la révolte ? »

* Le prénom a été modifié.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*