Quand Amélie Oudéa-Castéra s’activait au service d’une école privée hors contrat

Quand elle était ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra a fait la promotion d’une école privée hors contrat. Récemment, elle est allée jusqu’à soutenir sa demande de passer sous contrat avec l’État, contre l’avis des services de l’éducation nationale. Nos révélations.

Depuis « l’affaire Stanislas », ses opposants l’ont rebaptisée « ministre de l’école privée ». Mais ce ne sont pas seulement les liens d’Amélie Oudéa-Castéra avec le privé sous contrat qui méritent d’être scrutés. D’après nos informations, elle s’est aussi activée, quand elle était ministre des sports, au service d’une école hors contrat, dirigée par l’une de ses connaissances, par ailleurs soutien d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2022.

Baptisée Diagonale et déjà présente dans quatre académies (dont Paris), cette structure accueille notamment des jeunes sportifs (de la primaire à la prépa) dans des cursus aménagés « à l’américaine », facturés de 4 900 à 6 900 euros l’année. « C’est un peu une fabrique à rêves », confie une ancienne parent d’élève. « Les écoles du modèle de Diagonale […], il faut qu’on arrive à les faire fleurir », jugeait la ministre des sports, à la fin 2022.

Après que Diagonale a sollicité, à l’été 2023, son passage sous contrat avec l’État, Amélie Oudéa-Castéra a personnellement poussé cette requête, de façon répétée. Et ce, contre l’avis des plus hauts services de l’éducation nationale, seuls compétents in fine. Car eux n’y verraient que des inconvénients, pour ne pas dire un scandale.

Amélie Oudéa-Castéra à son arrivée pour une réunion à l’hôtel de Matignon, le 18 janvier 2024. © Photo Raphaël Lafargue / Abaca

La promotion d’Amélie Oudéa-Castéra à la tête d’un « superministère » rassemblant l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, à la mi-janvier, aurait dû constituer une excellente nouvelle pour Diagonale. Mais depuis deux semaines, les polémiques liées à Stanislas pourraient avoir changé la donne : « On ne sait pas [où en est le dossier], souffle un responsable de l’école. Vu les débuts catastrophiques et chaotiques de la ministre… »

Un passage sous contrat de Diagonale, outre qu’il suppose des « acrobaties » juridiques, aurait pour conséquence de transférer à l’État la charge de la rémunération des enseignant·es. À terme, si l’ensemble des classes de première et de terminale de Diagonale devait en bénéficier, cela représenterait plusieurs dizaines de postes en « équivalents temps plein ». Une paille.

L’académie de Paris serait concernée en premier lieu. Or, dans le second degré, une grosse centaine de postes y ont déjà été supprimés cette année – aggravant au passage les difficultés de remplacement mises en avant par Amélie Oudéa-Castéra elle-même, à la mi-janvier, lorsqu’elle a tenté de justifier l’inscription de ses enfants à Stanislas, au prix de mensonges sur l’ancienne école publique de son fils.

Par ailleurs, un passage sous contrat de Diagonale (qui accueille aussi des adolescents décrocheurs, comédiens ou artistes) reviendrait à créer, avec l’argent du contribuable, une concurrence pour les établissements publics qui proposent des classes à « horaires aménagés » (une dizaine à Paris pour les élèves sportifs), que les administrations de l’éducation nationale et des sports s’évertuent justement à développer.

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Un des établissements de Diagonale, école privée hors contrat, à Paris. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Questionnée par Mediapart sur ses interventions, Amélie Oudéa-Castéra se contente aujourd’hui de répondre, par l’entremise de son chargé de communication : « [Cette] école accueillant un certain nombre de sportifs de haut niveau, il est normal que des échanges aient pu avoir lieu sur ce dossier […], ainsi que sur des dizaines d’autres portés à [la] connaissance [de la ministre] ». Sur son soutien à la contractualisation de Diagonale, silence radio.

L’envoi parallèle de nos questions aux deux plus hauts fonctionnaires de la Rue de Grenelle, respectivement à la tête de la direction de l’enseignement scolaire et aux affaires financières, a conduit à la formulation d’un avis on ne peut plus tranché, transmis cette fois par le service de presse du ministère : « La spécificité de l’offre pédagogique de Diagonale (horaires d’enseignement plus faibles que les programmes requis) et les retraits d’emplois par ailleurs prévus dans l’enseignement public comme privé sous contrat à Paris du fait de la baisse démographique, ne permettent pas de passer sous contrat les classes de Diagonale. »

Le dossier serait-il donc arbitré ? « L’instruction de ces demandes se fait traditionnellement en février-mars. Elle n’a donc pas encore commencé. » Officiellement, peut-être. Mais en coulisses, la bataille d’influence est bel et bien engagée depuis des mois.

Un refus final serait d’autant plus rageant pour les partisans de Diagonale que l’école a bénéficié par le passé, à côté d’Amélie Oudéa-Castéra, d’autres relais ou coups de pouce au sommet de l’État, de Brigitte Macron à Christian Dargnat, un banquier parfois surnommé « le financier de Macron », collecteur de fonds pour ses campagnes présidentielles – sa progéniture aurait été inscrite à Diagonale, selon un cadre de l’école. « On sent bien qu’il y a, parmi les parents, le ban et l’arrière-ban de la vie parisienne », décrit un ancien conseiller de cabinet, Rue de Grenelle.

« Les rencontres et les soutiens, tout cela a été facilité aussi parce que dans nos parents d’élèves, certains étaient proches de la Macronie. On s’est rendu compte que [certains] pouvaient dégoter les numéros de téléphone dont on avait besoin pour discuter », reconnaît un membre de l’équipe de Diagonale, inquiet d’une mauvaise « publicité » désormais. Ardent défenseur de la pédagogie mise en œuvre dans l’établissement, il concède : « Je comprends que ça choque dans l’administration… » De fait, comment le fonctionnement de l’État, censément impartial, a-t-il pu subir autant d’interférences ?

Des liens anciens

Au commencement de cette histoire, en 2020, Amélie Oudéa-Castéra n’est pas encore au gouvernement. Ni même aux manettes de la Fédération française de tennis. Mais elle connaît déjà Diagonale, en particulier son directeur, Michel Naniche, un professeur de mathématiques amateur de tennis et défenseur d’une pédagogie de la « bienveillance » et de « l’accompagnement », qui scolarise pas mal d’espoirs du sport français.

Alors qu’elle travaille encore chez Carrefour, elle se rend avec lui chez la ministre des sports de l’époque, Roxana Maracineanu. À quand remontent les liens entre Michel Naniche et Amélie Oudéa-Castéra ? Difficile à dire. Mais l’ancienne championne de France junior de tennis, qui a fait l’essentiel de son lycée par correspondance et stoppé net la compétition à 18 ans, a un jour regretté que Diagonale n’ait pas existé à l’époque : « Quand j’arrête, je suis encore devant Amélie Mauresmo [au classement]… […] Notre système nous met dans des impasses. »

Quoi qu’il en soit, après la réforme du « bac Blanquer », Diagonale fait face à un gros problème. Parce qu’elle est hors contrat, ses élèves ne bénéficient pas du nouveau système de contrôle continu, réputé plus favorable (il représente désormais 40 % de la note finale pour les élèves du public et du privé sous contrat). Les résultats baissent. De plus en plus de parents désinscrivent leurs enfants de Diagonale – « une hémorragie » à la rentrée 2023, selon un enseignant.

Dans un premier temps, l’école ne demande pas le passage sous contrat d’association avec l’État : beaucoup trop de contraintes, à la fois sur le contenu des enseignements, le nombre d’heures à respecter, les diplômes des professeurs à recruter, etc. Le directeur se met plutôt en tête d’obtenir un statut dérogatoire, une sorte de « troisième voie » qui lui permettrait d’accéder au contrôle continu tout en gardant sa totale liberté.

Michel Naniche fait la promotion de Diagonale jusqu’à l’Élysée, auprès de l’épouse d’Emmanuel Macron en personne, en février 2022. « J’ai eu la chance d’être reçu par Brigitte Macron, qui me l’a dit elle-même : “Je sais que vous êtes l’école de demain” », relatera plus tard le directeur. « Le sujet de l’évolution du statut de l’école relève du ministère et non de Madame Macron », nous répond aujourd’hui le cabinet de l’épouse du chef de l’État. On ne saurait mieux dire.

Diagonale voulait le beurre et l’argent du beurre !

Un fonctionnaire au fait du dossier

En avril 2022, le nom de Michel Naniche apparaît dans une tribune signée par « 200 acteurs du sport français » appelant dans L’Équipe à voter en faveur d’Emmanuel Macron contre la candidature de Marine Le Pen. Initiative qui a notamment été coordonnée par Amélie Oudéa-Castéra, alors responsable du volet sportif du programme de campagne du président-candidat.

De son côté, la ministre des sports de l’époque, Roxana Maracineanu, demande prudemment à faire « expertiser ce modèle par l’Éducation nationale », selon son entourage. Mais c’est Amélie Oudéa-Castéra, quand elle lui succède en mai 2022, qui pousse les feux, rencontrant plusieurs fois Michel Naniche. Elle braque rapidement au sein de l’Éducation nationale : « Diagonale voulait le beurre et l’argent du beurre ! », s’offusque un fonctionnaire bien renseigné.

D’après nos informations, la Rue de Grenelle, alors pilotée par Pap Ndiaye, refuse tout bricolage d’un statut « intermédiaire » dérogatoire, qui risquerait de créer un précédent, dont d’autres établissements hors contrat pourraient tirer profit. Questionné, le service de presse du ministère de l’éducation nationale atteste de cette séquence : « Ces demandes [de Diagonale] n’ont pu recevoir une suite favorable, et ce en dépit du soutien des ministres des sports successifs dont M. Naniche se prévaut. Ces refus lui ont été signifiés […] par le cabinet de Pap Ndiaye. »

Sollicité par Mediapart, l’ancien ministre de l’éducation nationale « confirme ». À ses yeux, il était impossible que Diagonale échappe à la règle commune. Après son départ du gouvernement, en juillet 2023, l’établissement change de stratégie et demande carrément une contractualisation. Cela aurait été, pour Pap Ndiaye, hors de question. Mais ce n’est plus son sujet : il a passé les rênes à Gabriel Attal.

Amélie Oudéa-Castéra, elle, remonte au filet, pour pousser le passage sous contrat, malgré l’analyse toujours aussi négative de l’administration. À l’automne 2023, plus que jamais, elle veut « aider ».

Diagonale est également reçue au cabinet de Gabriel Attal, comme s’en vante Michel Naniche. Que lui est-il répondu ? Sollicités, ni Gabriel Attal ni sa directrice de cabinet de l’époque n’ont répondu à nos questions. Pas plus que le directeur de l’établissement.

À Diagonale, un enseignant se montre aujourd’hui dépité. « Cette demande de passage sous contrat, au fond, on l’a faite un peu à contrecœur. Parce qu’on nous a fait comprendre que ce serait le plus simple. Et on se retrouve pris dans un truc qu’on ne maîtrise pas », associés à une ministre largement décrédibilisée. Pas loin d’une impasse.

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