ESSAI |Dans son dernier essai « Histoire de ta bêtise », l’écrivain François Bégaudeau s’en prend à la bourgeoisie « cool » sur un ton caustique et provocateur.
Dans son essai Histoire de ta bêtise, François Bégaudeau s’en prend à la bourgeoisie cool, classe dominante qui, selon lui, se revendique progressiste mais défend surtout l’ordre établi.
François Bégaudeau : « On a tous en nous quelque chose de bourgeois. Il y a des dosages plus ou moins élevés. Nous pourrions établir qu’est bourgeois celui qui a 50 % de bourgeoisie en lui. Moi je dois en être à 22%, donc c’est bon je m’en sors, j’ai fait le test hier.
Tout un pan de la bourgeoisie a accédé à ce que j’appelle le « cool », ça c’est un phénomène d’après-guerre. L’espace de la bourgeoisie « cool », il peut aller du centre-gauche au centre-droit, on est dans cet espace-là. Ça irait du journaliste des Inrocks, peut-être même de son lecteur assidu, à ce qu’était le jeune giscardien dans les années 1970, qui serait la garde rapprochée de Macron.
Mon bourgeois à moi n’est pas le bourgeois de Flaubert, tout en sachant que le fond est le même. Quand la bourgeoisie cool est apeurée, dès qu’elle se sent menacée dans ses intérêts, alors elle se « décoolifie ». Et là, elle reprend un visage policier, ce qu’on a pu voir récemment. »
L’écrivain explique comment la bourgeoisie se réfugie derrière des mots creux, des concepts vides pour se légitimer et défendre sa position.
François Bégaudeau : « Son discours repose sur du vent parce qu’il a pour but de falsifier. Il faut falsifier l’existant parce que l’existant, s’il était nommé comme tel, alors ça serait à charge contre l’existant. Quand un bourgeois vous parle de mérite, c’était la pierre d’angle de l’entreprise révolutionnaire de la bourgeoisie au XVIIIe siècle contre les aristocrates qui étaient des nantis.
La notion de mérite n’a évidemment aucun sens dans une société où les gens acquièrent leur fortune et leur capital par héritage, direct et indirect, par le réseau, etc, donc ils inventent cette notion de mérite. Le mot populisme a été très usité comme mot creux récemment. Je cite aussi le déclinisme dans le livre, le progressisme qui est vraiment un mot très creux. »
Ex-chanteur d’un groupe punk, François Bégaudeau a gardé son goût de la provocation et de l’invective.
François Bégaudeau : « Je n’avais pas le droit d’être approximatif sur cette peinture de la bourgeoisie. Alors évidemment, il y a des effets de généralité dans mon livre. Je dis « tu » et j’embrasse beaucoup de gens. Le tu que je pratique me vient du rock, c’est-à-dire de l’interpellation plutôt conflictuelle, un peu caustique.
C’est chambrer l’autre, c’est aller le titiller, c’est aller le chercher, c’est se moquer un peu. Moi qui viens du roman, je voulais que quand je mets un pied dans l’essai, je ne perde pas mon réflexe de vouloir absolument incarner les choses, qu’elles soient incarnées, personnalisées, que ce soient bien de vrais vivants dont il est question et pas de grandes généralités sociologiques. Quand j’ai observé la bourgeoisie, c’est à des individus que j’ai eu affaire. »
François Bégaudeau cible aussi, non sans autodérision, le bourgeois qui sommeille en chacun de nous.
François Bégaudeau : « On a tous en nous quelque chose de bourgeois parce qu’on a tous en nous quelque chose de sécuritaire. A chaque fois que devant une actualité ou un phénomène donné, notre réflexe est plus sécuritaire que d’aller du côté de ce qui désordonne la situation, à ce moment-là, j’ai un réflexe bourgeois. J’ai globalement une vie bourgeoise, j’habite dans le XIe arrondissement à Paris, je suis propriétaire, dans un appartement petit mais tout à fait confortable.
Ce que j’essaye de faire, c’est que ma pensée au moins soit préservée de l’esprit bourgeois. Ne vous fermez pas, ne vous affolez pas. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec Slavoj Žižek mais je sais que beaucoup se diront « ah d’accord, le mec est communiste, je ne l’écouterai pas parce que c’est l’URSS, c’est les millions de morts, donc salut au revoir ». Quel dommage, vous perdez un grand penseur. Il faut que le bourgeois arrête d’avoir des réflexes de peur y compris dans le domaine de la pensée où il pourrait tellement plus s’ouvrir à des imaginaires théoriques et conceptuels qui élargiraient un peu son champ de réflexion. »
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