CONTRE LE DÉGEL DU CORPS ÉLECTORAL
À Nouméa, les mobilisations pour l’abandon du projet de dégel du corps électoral se durcissent ces derniers jours alors que l’Assemblée Nationale examine le texte. Le gouvernement a d’ores et déjà répondu par une répression brutale et l’envoi d’unités spéciales de police. Un rassemblement de solidarité se tiendra à Paris à 14h.
14 mai
Initiées le 28 mars au moment de l’examen du projet de dégel du corps électoral kanak par le Sénat, les mobilisations contre ce projet de réforme constitutionnelle porté par Emmanuel Macron se durcissent depuis plusieurs jours en Kanaky, dans le cadre du passage du texte à l’Assemblée Nationale ce mardi 14 mai. Par le dégel du corps électoral, le texte, qui revient sur les accords de Nouméa de 1998, vise l’élargissement de l’électorat à des secteurs de résidents venus de la métropole et vivant en Kanaky depuis dix ans. Or, ces derniers constituant la base électorale des « loyalistes » hostiles à l’indépendance de la Kanaky. L’objectif de cette réforme est ainsi de saper le droit à l’autodétermination du peuple kanak et de réduire le poids politique des indépendantistes.
Dirigé par la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), le mouvement contre la réforme qui a été marqué par des manifestations massives (80 000 personnes mobilisées le 13 avril dernier), connaît un approfondissement depuis le 4 mai, date hautement symbolique du massacre de la grotte d’Ouvéa perpétré par la police française contre des militants indépendantistes kanaks.
Les mobilisations se radicalisent contre le projet néocolonial de Macron
Ce lundi 13 mai, Nouméa a ainsi été le théâtre d’une importante journée de mobilisation qui marque une radicalisation du mouvement en cours. D’importantes actions de blocage des axes routiers, des barrages filtrants et des grèves importantes ont paralysé de nombreux services du territoire kanaks. Plusieurs aéroports ont été perturbés et celui de Tountouta au nord-ouest de Nouméa a fermé ce mardi matin (heure de Nouméa) suite à une grève appelée notamment par l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) depuis la fédération des transports terrestres, aériens et hôtellerie. De nombreuses écoles et lycées ont été fermés. Une mutinerie a également eu lieu à la prison du Camp-Est de Nouméa.
Dans la nuit, des épisodes de révoltes ont éclaté. Menées par de jeunes manifestants, des occupations de ronds-points avec départs de feu, des barrages filtrants et des barricades ont paralysé des quartiers de Nouméa jusque dans la matinée de ce mardi. Des usines ont également été incendiées
Couvre-feu, envoi de la CRS 8 et du RAID… Le gouvernement répond par une intense répression
Dans la nuit, les forces de police, de gendarmerie et du GIGN déployées en nombre dans la ville kanak ont rapidement fait usage de leur arsenal de répression et des tirs de LBD et des grenades de désencerclement ont été utilisées contre les manifestants. Plus de 80 interpellations ont également eu lieu selon le ministère de l’Intérieur. Le jeudi 9 mai, des manifestants à l’appel de la CCAT plusieurs manifestants avaient été interpellés et placés en détention provisoire pour avoir bloqué l’accès à la Société Le Nickel à Dionambo.
Selon l’AFP, après la nuit de lundi, l’intérieur a décidé d’envoyer de nouvelles unités spéciales de police, dont le RAID, la CRS 8 et quatre escadrons de gendarmes mobiles. La mobilisation rapide de ces forces de police spéciales, envoyées récemment pour l’opération Wuambushu à Mayotte, dans les banlieues de la métropole pour réprimer les révoltes suite au meurtre du jeune Nahel ou encore en Guadeloupe dans le cas du RAID pour mater les révoltes de 2021, témoigne de la gestion militaro-policière et coloniale de la situation par le gouvernement.
Ce mardi à 8 heures (heure de Nouméa, lundi 23 heures à Paris), le haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a annoncé un couvre-feu à partir de 18h jusqu’à 6h du matin et tout rassemblement a été interdit dans le grand Nouméa. Sur la chaîne de TV Nouvelle-Calédonie la 1ère, le haut-commissaire a affirmé « engager le GIGN, et s’ils se trouvent en situation de tirs appliqués contre eux eh bien ce seront des réactions de légitime défense. Donc je les mets en garde, je ne tiens pas à avoir des morts ». Une menace à peine voilée de réprimer dans le sang la révolte en cours.
Contre la réforme constitutionnelle, contre la répression, solidarité avec la mobilisation du peuple Kanak
Face à une situation de plus en plus explosive, Emmanuel Macron a cherché à temporiser et a lancé un appel à « l’apaisement » et à la relance des négociations à Paris tout en promettant de ne pas convoquer le Parlement en Congrès tout de suite après le vote du texte par l’Assemblée Nationale, étape qui doit achever le parcours de toute réforme constitutionnelle.
Les représentants des organisations indépendantistes du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), Pierre-Chanel Tutugoro (président du groupe UC-FLNKS au Congrès), et Jean-Pierre Djaïwé (chef du groupe UNI au Congrès) ont de leur côté condamné les révoltes de la nuit passée à Nouméa tout en accueillant favorablement l’évocation par Emmanuel Macron d’une relance des négociations à Paris.
« À ceux qui seraient tentés de mener des actions individuelles, qui risquent de perturber l’économie, qui est déjà en souffrance, je leur dis de rentrer tranquillement à la maison. On a passé une étape, d’autres sont à venir à Paris et les discussions au niveau institutionnel sont en cours. » a exprimé Pierre-Chanel Tutogoro. Même son de cloche du côté de Jean-Pierre Djaïwé qui voit dans l’appel de Macron à venir négocier à Paris « une perche tendue » et « une opportunité de discuter et de privilégier le dialogue, car c’est par le dialogue qu’on trouvera un avenir de paix pour notre pays ».
Pourtant, les résultats des dernières négociations avec l’ancienne première ministre Elisabeth Borne en septembre 2023 n’ont abouti à rien d’autre qu’un nouveau passage en force de l’exécutif, bien décidé à mener son projet de réforme constitutionnelle de dégel du corps électoral. Un coup de force qui fait suite à celui opéré par Macron en 2021 lors du troisième référendum où le « non » à l’indépendance a été acté malgré le boycott massif du scrutin par les indépendantistes et le peuple kanak. Ajoutés à la répression intense de ces derniers jours, ces éléments témoignent de la détermination de l’État français à entraver toute possibilité d’autodétermination du peuple kanak et de l’impasse que constitue la voie institutionnelle pour que le peuple kanak puisse exercer réellement son droit à disposer de lui-même.
Dans ce cadre, les appels à s’asseoir à la table des négociations de Macron ne constituent qu’une manœuvre pour temporiser et calmer la colère politique et sociale qui commence à s’exprimer fortement en Kanaky. Pour que Macron abandonne son projet de réforme, l’issue se trouve bien dans la construction d’un grand mouvement pour l’auto-détermination qui permette de construire un rapport de forces avec le gouvernement, et qui soit soutenu par des mobilisations de solidarités dans l’ensemble des colonies françaises et en France métropolitaine. La poursuite des mobilisations en cours, dans leur extension et dans l’élargissement du rapport de force. Depuis le territoire hexagonal, l’urgence est ainsi aux démonstrations de solidarité et de soutien à la mobilisation du peuple kanak face à la répression et contre l’offensive anti-démocratique et néocoloniale du gouvernement. Là encore, il est central que le mouvement ouvrier se mobilise en solidarité et en soutien inconditionnel du droit à l’autodétermination du peuple kanak.
Dans ce cadre, un rassemblement a lieu ce mardi à 14h à Paris place Salvador Allende, près de l’Assemblée Nationale, à l’appel du collectif Solidarité Kanaky « contre le dégel du corps électoral et contre la recolonisation de la Kanaky ». Soyons nombreux pour exprimer notre soutien et notre solidarité au peuple kanak en lutte !
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