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Remarques particulières autour des élections européennes. Par VP.
aplutsoc – June 1
Dans ce dernier article, je me concentre sur des processus politiques et éventuellement électoraux voire organisationnels plus localisés et précis et sur les analyses et positionnement de certains courants, cela dans le cadre général donné dans mes articles précédents sur ce sujet. La remontée sondagière du PS surmonté de Place publique, conséquence de la recherche d’un vote visant à la fois Macron et le RN et « sélectionné » par en bas en raison de l’Ukraine, peut, si elle se confirme, paraître amorcer la reconstitution de la sphère électorale traditionnelle du PS qui avait été siphonnée, en 2017 et depuis, par Mélenchon d’une part et Macron de l’autre. Cela alors que le réseau des élus locaux, municipaux, départementaux, régionaux, du PS, n’a pas disparu. S’agirait-il ipso facto de la résurrection du « parti de Hollande », rien n’est moins sûr car dans ce cas, il pourrait se trouver mort-né. Le composé serait instable, car il aurait pour cause la résistance à Macron et au RN et la situation internationale. S’ajoute à cela la question de Place publique, qui n’est en rien un mouvement de masse et qui ne modifie pas la nature de cette liste et du processus qui semble la porter. Ce processus amorcé est complémentaire de celui de la crise et du recul de LFI. Ce recul a conduit au choix électoral de miser à fond sur un vote dit « de banlieues » voire « musulman », à travers l’investissement médiatisé des actions pro-palestiniennes et la promotion de Rima Hassan. Les larges couches sociales et électorales qui avaient voté Mélenchon aux deux dernières présidentielles, en partie différentes d’ailleurs, en 2017 et 2022, ne se retrouvent pas à présent derrière LFI, malgré l’engagement de Mélenchon lui-même. Ce qu’elles recherchent, c’est une possibilité de gagner contre Macron et sa politique antisociale et antidémocratique. Pas un profilage idéologique. C’est pourquoi le soutien de fait à Poutine et aux dictatures réactionnaires dites des « BRICS+ » ne semble pas avoir été compensé par la mise en exergue de Gaza, dont la défense pleine et efficace exigerait d’ailleurs une autre orientation politique, réellement internationaliste. Manon Aubry, qu’un certain microcosme présente, non sans condescendance, comme « gentille » par rapport à Mélenchon ou Panot, s’est avérée, à la place qui lui a été conférée, du même tabac brutal, campiste et borné. Phénomène politique et pas personnel, bien entendu. Comme il se produit aussi un tassement d’EELV, et que les militants PCF disent vivre une dynamique de campagne pour eux fort positive, on peut risquer l’hypothèse selon laquelle nous assistons à quelque chose comme la remontée plus ou moins fantomatique, plus ou moins réelle, des partis traditionnels issus du mouvement ouvrier dans la gauche, tandis que les formations se voulant en rupture avec cette forme, thématiques et gazeuses, qui avaient semblé prendre leur place, semblent ébranlées. Cela ne signifie en rien qu’on va revenir à la case départ – n’y croyons pas ! – mais plutôt que les cartes ne peuvent qu’être rebattues par la crise globale, française et internationale, qui ne fait que commencer. Mais chut, je vais dire ici un secret de Polichinelle que les intéressés pourront légitimement démentir puisqu’il est improuvable : François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido, Éric Coquerel, après s’être faits tout petits jusqu’au 9 juin, mettront dans l’isoloir un bulletin Glucskmann et sortiront du bois à proportion de l’ampleur de la claque. Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Sophia Chikirou, Adrien Quatennens, Mathilde Panot, et toute la garde prétorienne mélenchonienne du POI autour de Jérome Legavre, Daniel Shapira, Dan Moutot, préparent les bazookas pour les vitrifier mais comme ils ne sont pas au pouvoir, ils ne pourront pas les mettre dans leurs isolateurs. Soyons clairs : pour la classe ouvrière, une claque au mouvement poutino-bonapartiste gazeux serait une excellence chose qui pourrait lâcher dans la nature une demi-douzaine de courants libérés, souvent intéressants et riches d’idées, avec lesquels discuter enfin librement et clarifier les perspectives et les choix. Mais cela passe par la destruction de cette machine « populiste » construite contre l’organisation propre des masses aussi bien que contre les héritages du mouvement ouvrier. C’est pourquoi bien naïves, pour le dire le moins méchamment possible, apparaissent les positions de « gauche radicale » s’efforçant de s’accrocher au mythe d’une France insoumise qui aurait été un courant réformiste de gauche, progressiste, alors que LFI a été pensé et construit comme une formation antidémocratique, antiparti et antisyndicale, et qui le font en s’efforçant de lui donner un « signe plus » par rapport au social-libéralisme, et s’opposant donc, souvent malgré leurs positions de principes sur l’Ukraine, au mouvement réel du moment présent. Car à la base, il n’y a pas deux gauches, il y a une seule classe, loin de se limiter à la gauche et dont de larges couches se sont montrées capables d’enfiler le gilet jaune et de monter à l’assaut du ciel, du beefsteak et du pouvoir, ne l’oublions jamais. Le NPA-Anticapitaliste, qui participe au Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine (où certains de ses dirigeants sont bien investis, mais dont le corps militant n’y est guère engagé), n’a pas compris que c’est réellement à cause de l’Ukraine que LFI, qui l’a pourtant dit très clairement, n’a pas voulu faire liste commune avec lui. Ainsi congédié et maltraité, le NPA-A appelle malgré tout, bloqué dans un schéma obsolète, à voter pour la liste « Union Populaire », c’est-à-dire LFI, parce qu’elle est, voyez-vous, « la mieux placée pour réunir les suffrages exprimant une volonté de se battre. » (l’Hebdo Anticapitaliste, 30 mai). Phrase pathétique : qu’est-ce que cette « volonté de se battre » en dehors de toute perspective d’affrontement avec Macron, de dégagement d’une voie pour battre réellement l’extrême-droite, et de rupture avec l’ordre mondial, porteur de guerre, de la multipolarité impérialiste que LFI défend ? Il y aurait des couches militantes à la conscience mystérieusement supérieure, à « gauche de la gauche », qui auraient, malgré le fait que certains soutiennent des dictateurs d’extrême droite tortionnaires et que d’autres les combattent, plus de « volonté de se battre » que le commun des mortels de notre classe, et que ceci unirait toujours en dehors du reste de leur classe ? Il faut noter que c’est le fait d’avoir misé sur LFI qui a conduit à l’absence du NPA-A, celui de Poutou et de Besancenot, à ce scrutin. Au niveau européen, ses organisations sœurs ne sont présentes que dans deux pays (outre quelques candidats sur la liste du Parti de Gauche en Suède), le Portugal avec la liste du Bloc de gauche, et, en Belgique, la Wallonie avec la liste de la Gauche anticapitaliste qui, ici, permet un vote du côté de la classe ouvrière en dehors du PS, qui est au gouvernement en alliance avec les partis bourgeois traditionnels, et du stalino-campiste PTB (P.Poutou est candidat en Wallonie). La GDS (Gauche Démocratique et Sociale) hérite d’un langage différent, celui du « rassemblement de toute la gauche », mais elle l’a, depuis 2017, réinvesti du PS vers LFI avec laquelle elle souhaitait avoir des places dans sa liste. Elle fut congédiée sèchement, elle aussi, pour cause d’Ukraine, ce qui ne l’a pas empêchée, elle non plus, de se prononcer après une consultation interne, pour le vote LFI, qui ne semble toutefois pas être son activité principale, définie par un Forum unitaire ayant réuni, le 4 mai dernier, le « Gotha militant » (sic : cf. article de J.C. Branchereau du 15 mai). Si ces deux premières positions ne sont pas arrivées à se débrancher de LFI, celle de deux autres organisations ayant pourtant une présence plus significative dans LFI elle-même semblent en amorcer le deuil éventuel. Ensemble !, la plus grosse organisation dont le corps militant est sans doute réellement investi dans la défense de l’Ukraine, a adopté, lors de son Conseil national du 27 avril, une déclaration rappelant ses positions, déplorant la « division », la « démoralisation » et « l’ PEPS (Pour une Écologie Sociale et Solidaire), se trouve dans LFI. Son communiqué du 20 mai est dynamique : les Européennes y sont désignées comme « un moment d’affrontement avec le macronisme et son monde et avec les néofascistes du RN et de Reconquête ». Il annonce une abstention massive sans indifférence, se prononce pour une « Confédération Démocratique des Peuples d’Europe » et en faveur du vote pour les listes issues de la NUPES … à l’exclusion du PS « libéral » et du PCF « anti-écolo », sans exclure le vote « décroissant » ou « animaliste » ou encore l’abstention. Annexe : remarques très particulières autour des élections européennes. Il nous faut dire un mot encore de l’ « extrême-gauche ». On serait tenté de dire : rien de nouveau sous le soleil avec LO, qui de toute façon, ne recherche, et n’a jamais recherché, aucune perspective d’avancée vers la lutte pour le pouvoir et la révolution réelle, « révolutionnaire » signifiant ici : niche autoproclamée. Cependant, c’est un engagement campiste de plus en plus prorusse, c’est-à-dire une forme de soutien au capitalisme impérialiste, qui s’affiche ici depuis 2022. De l’indifférence et de l’inutilité, on va vers la contre-révolution. A propos de l’Ukraine, nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler, car les campagnes du Guépéou – pardon, du FSB et du GRU – comportent les idiots utiles d’un certain « trotskysme » dans leur panoplie, hélas. La dénonciation de la « sale guerre de Macron » contre la Russie est l’axe central de la liste du PT, « Parti des Travailleurs », qui est le nom choisi depuis quelques mois par l’ancien POID, l’un des deux rameaux jumeaux de l’appareil d’origine « lambertiste » dont les quelques perspectives d’air frais issues de leur scission de 2015 ont été colmatées très rapidement. Le POID/PT est une organisation qui manie la formule « Dehors Macron ». Mais lorsque le pays connut une poussée prérévolutionnaire visant à le mettre effectivement dehors, il a montré ce qu’il en était vraiment en traitant les Gilets jaunes de nazis et en se cabrant pour protéger les appareils syndicaux tant à la CGT qu’à FO. Ce slogan pour dimanches et jours de fêtes est désormais dévoyé par son association systématique à l’affirmation selon laquelle Macron veut envoyer, la semaine prochaine, les jeunes se faire tuer en Ukraine et tuer des Russes. Ainsi, c’est par la question ukrainienne, et à travers elle par l’adaptation à la forme concrète contemporaine de l’impérialisme, que s’effectue aussi l’étouffement des potentialités contenues dans la formule « Dehors Macron » ritualisée, circonscrite et habillée. L’hostilité à toute perspective d’affrontement uni et centralisé, réel avec le pouvoir et la V° République, malgré les contradictions que ceci peut encore susciter dans un PT héritant d’un discours anti-bonapartiste issu de l’ancienne OCI « lambertiste », et le campisme de plus en plus radical et contre-révolutionnaire, interdit de tenir le vote « extrême-gauche », qui, clairement, sera très minoritaire, pour la manifestation de quelque avancée que ce soit. La même chose vaut pour les deux listes néo-staliniennes, confidentielles, du « Parti révolutionnaire Communistes » et de l’ « Association Nationale des Communistes » menée par l’ancien dirigeant CGT des Bouches-du-Rhône, Charles Hoarau. Ils défendent la « paix », c’est-à-dire la guerre dans le camp russe, contre « les colonialistes israéliens et les nationalistes ukrainiens » (dixit C. Hoarau) : des « révolutionnaires » d’union sacrée avec les impérialistes anti-« occidentaux » … La liste du NPA-Révolutionnaire, animé par Gaël Quirante et dont la tête de liste est Selma Labib, se distingue-t-elle des précédentes ? Oui, dans la mesure où, à la différence de LO, son discours général sur « la révolution » présente celle-ci comme « l’urgence », certes sans dire comment s’en approcher en dehors du soutien à une liste de revendications tout à fait légitimes et du ralliement au NPA-R. Jeunesse et sentiment d’urgence ne font cependant pas une politique révolutionnaire réelle. Et oui aussi, dans la mesure où les généralités « révolutionnaires » développées sur l’Ukraine comportent tout de même une claire condamnation de l’agression poutinienne qui « sert les appétits impérialistes du grand capital russe », comme l’écrivent Gaël Quirante et Selma Labib dans leur réponse au questionnaire du RESU, sur lequel nous reviendrons. Cela dit, l’absence totale de perspective pour battre et chasser Macron, le caractère uniquement propagandiste et les éléments nombreux tendant au campisme, rapprochent aussi cette liste des précédentes. On notera que dans le NPA-R, la fraction « Démocratie révolutionnaire » n’a pas soutenu cette entrée en campagne, regrettant la non-alliance avec LO et jugeant l’orientation sur l’Ukraine pas assez campiste à son goût. Signalons, sans la juger ni la jauger – quoique « l’entrepreneuriat responsable, solidaire et durable » ne tranche guère avec les phrases dominantes ! – la présence d’une liste « Démocratie représentative » conduite par Hadama Traoré, déjà présente en 2019 où son score avait été confidentiel. Pour terminer ce petit panorama, on notera que le groupe CCR-Révolution Permanente, partant-exclu du NPA en 2021 (un an avant la scission entre les deux « NPA » actuels), qui signale l’existence d’une liste de son organisation sœur en Espagne, n’a pas de liste et théorise, à la suite de sa maison-mère, le PTS argentin, sur le fait que l’ordre américain s’effondre et que la guerre menace dans le monde entier, l’Ukraine étant un champ de bataille entre OTAN et Russie, et que c’est le mouvement dans les universités sur Gaza qui annonce la prochaine vague révolutionnaire. Une vision du monde qui participe donc, malgré ses formes souvent sophistiquées, des idéologies dominantes dans l’ensemble de « l’extrême-gauche ». VP, le 01/06/2024. |
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