Bilan des élections indiennes, par VP.

 

 

 aplutsoc – June 6
Qui a gagné les élections indiennes, une affaire gigantesque concernant 968 millions d’électeurs dans le pays le plus peuplé du monde (1,4 milliard d’habitants) ?

Pour la presse, dans le peu qu’elle nous en dit en France, c’est le président sortant Modi, qu’elle avait d’ailleurs proclamé gagnant avant même toute publication de résultats. La bourse de Mumbai semble d’un avis différent : le capital financier indien soutenait en effet Modi, mais la chute de l’indice Sensex est de près de 6 %, l’entreprise Gautam Adami, appartenant à un ami de Modi et homme le plus riche de l’Inde, perdant 25%.

Sur le papier, la coalition présidentielle obtient 291 siège, la majorité absolue étant à 272, mais le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti ethno-nationaliste hindou devenu le principal parti capitaliste du pays, en obtient seulement 239, en recul de 74 sièges. Alors que l’objectif donné par Modi était d’en rafler 450 et que cette campagne a été la sienne, omniprésent de A à Z, avec une forte répression contre le mouvement paysan dont les colonnes, une nouvelle foi en plusieurs années, cherchent à approcher la capitale, malgré la chaleur qui frôle des 50 degrés depuis des semaines et rend le pays invivable.

Clairement, il y a échec politique pour Modi, car il avait voulu faire de son troisième mandat celui du tournant ultra-nationaliste, rebaptisant le pays Bharat, détruisant des mosquées, lâchant ses milices sur les musulmans, les dalits, les adivasis, les paysans, les syndicats, les femmes. Dans un certain parallèle avec l’autre grand « homme fort » du continent, Xi Jinping, dont les « pensées » doivent être affichées dans les temples, mosquées et églises, Modi avait amorcé sa « mutation » en personnage religieux charismatique.

En fait, il est minoritaire en voix et le recul s’est produit dans la ceinture Nord hindou, en Uttar Pradesh, au Bihar et au Jharkhand, l’énorme fournaise du réchauffement, du mouvement paysan et de la contre-offensive réactionnaire de Modi, qui est en train de s’y casser les dents.

La mutation constitutionnelle de la République fédérale séculière indienne en Bharat exclusif fondé sur l’  « hindoutva » est stoppée. Au-delà de cette victoire démocratique arrivent les questions sociales, qui en sont la cause fondamentale, et la première d’entre elles toutes : avec des chaleurs sèches puis humides, une fois la mousson arrivée, comprises chaque année entre 40 et 50° voire plus, d’avril à novembre, la plaine indo-gangétique va devenir invivable. Tout pouvoir démocratique, à tous les échelons, devrait s’occuper de cela et prendre l’offensive mondiale de la lutte. Modi n’en a strictement rien à faire, et cela fait de lui un criminel de masse.

Cette « victoire » qui est un échec peut ouvrir immédiatement une crise politique si les alliés locaux du BJP, sentant le vent du boulet, hésitent à reconstituer une majorité parlementaire avec lui.

Mais attention : cette situation met aussi en évidence le manque de représentation politique nationale des mouvements sociaux, ouvriers, paysans, féministes et démocratiques.

L’affaiblissement du BJP profite mécaniquement aux forces liguées autour du vieux parti capitaliste indien, le Parti du Congrès, alors que c’est précisément leur effritement et la lassitude envers eux qui avaient précédemment permis l’arrivée au pouvoir de Modi. Ils n’annoncent par eux-mêmes aucune rupture avec les politiques antisociales de celui-ci, ni de prise en compte sérieuse de l’énorme question climatique qui est celle de la survie du pays. Le mouvement paysan, dont les vagues puissantes balaient le pays depuis maintenant cinq années – au moins -, fort d’une expérience importante d’auto-organisation au plan local et régional, n’a pas de perspective concernant la question du pouvoir central et l’instauration d’une pleine démocratie à l’échelle du pays. La gauche héritée du XX° siècle est dominée par les schémas campistes et néo-staliniens, dans lesquels la lutte « anti-impérialiste » est menée par les pays capitalistes des BRICS+ dont fait partie l’Inde.

Or justement : cette défaite politique de Modi, et surtout sa chute potentielle qui se dessine suite au vrai contenu de ces élections générales dont les résultats sont encore loin d’être connus en détail, est une défaite de l’un des principaux leaders des BRICS+ et de la multipolarité impérialiste. Un leader qui occupe une position charnière dans tout le jeu impérialiste mondial, membre fondateur des BRICS avec la Russie et la Chine, en rivalité avec la Chine, courtisé par les États-Unis, et toujours lié à la Russie. La construction d’une issue politique renversant Modi en Inde et ouvrant la voie, non à la répétition d’une alternance autour du Congrès, mais de la réalisation d’une vraie démocratie satisfaisant les revendications paysannes et populaires et prenant la tête de la guerre anticapitaliste pour le climat au niveau mondial, doit aussi partir de cette réalité.

VP, le 06/06/2024.

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