La présidente sortante du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, voit dans la « lettre aux Français » d’Emmanuel Macron, qui nie la victoire du Nouveau Front populaire, « une preuve de plus de sa déconnexion ».
Muet depuis dimanche soir, le président de la République est sorti de son silence à travers un courrier publié dans la presse quotidienne régionale le 10 juillet. Se félicitant de la mobilisation, « signe de la vitalité de notre République », Emmanuel Macron confirme sa vision du second tour. « Personne ne l’a emporté, écrit-il. Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires. »
La présidente sortante du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, réagit sur Mediapart. Alors que le Nouveau Front populaire, arrivé en tête le 7 juillet, dispose de 182 sièges de député·es, contre 168 pour Ensemble et 143 pour le Rassemblement national (RN, dont Les Républicains-RN), elle estime que le président de la République fait preuve de « déconnexion » et privilégie les « petits calculs au détriment de l’intérêt général ».
Mediapart : Dans sa « lettre aux Français », Emmanuel Macron affirme que « personne ne l’a emporté » aux élections législatives le 7 juillet. Comment réagissez-vous ?
Cyrielle Chatelain : Emmanuel Macron est dans un déni de réalité pour deux raisons. D’abord, il y a une force politique qui est arrivée en tête, c’est le Nouveau Front populaire (NFP). D’autre part, les urnes lui ont envoyé un message clair à deux reprises. Aux élections européennes, l’échec d’Emmanuel Macron a été tellement fort qu’il en a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et de placer le pays dans une situation de désordre extrême. Et son projet a été largement rejeté une nouvelle fois au moment des élections législatives. Le camp présidentiel a perdu. Et je ne vois pas la trace de la reconnaissance de cet échec dans cette « lettre aux Français ».
Comment interprétez-vous ce courrier ? N’y a-t-il pas une forme de chantage à la crise institutionnelle ?
Cette lettre est pour moi une manière d’occuper le terrain. Emmanuel Macron pensait reprendre la main par la dissolution de l’Assemblée nationale, mais il l’a perdue définitivement. Il occupe donc l’espace médiatique, alors qu’il n’est pas là [Emmanuel Macron est en déplacement aux États-Unis pour le sommet de l’Otan – ndlr]. D’autre part, je me demande quel est encore le poids de la parole présidentielle.
Quand il ne reconnaît pas le message des urnes ; quand pendant deux ans il trahit le mandat des électeurs qui était de faire barrage au Rassemblement national (RN) [lors de l’élection présidentielle de 2022 – ndlr] pour en devenir l’accélérateur ; quand finalement il prend la décision très grave et pour moi honteuse de dissoudre l’Assemblée nationale au moment où le RN est le plus haut, avec le secret espoir qu’il arriverait au pouvoir, quelle est la valeur de sa parole ? C’est une preuve de plus de sa déconnexion, et du fait qu’il est toujours dans les petits calculs, au détriment de l’intérêt général.
Quand il en appelle à « l’esprit de dépassement », et au dialogue entre les « forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines », tente-t-il de diviser le NFP ?
Oui, il y a clairement des signes de tentatives de division du NFP. Il envoie notamment des messages sur le tri à faire entre ceux qui seraient républicains et les autres. C’est une manière de dire que certaines forces politiques seraient plus fréquentables que d’autres dans le cadre du NFP. Mais ça, on a l’habitude. C’est leur rhétorique depuis deux ans.
Macron en appelle au dépassement, mais il gouverne par le passage en force, ça a un côté ridicule. Depuis deux ans, il plaide pour des « majorités de projet », mais depuis deux ans, il refuse de discuter avec la gauche. Le camp présidentiel est dans un blocage absolu envers nous. Si Emmanuel Macron veut être le garant des institutions, il est temps qu’il laisse les parlementaires décider. Et il est aussi temps que le NFP, qui est arrivé en tête des élections législatives, décide et fasse une proposition de gouvernement.
S’il parvient à ses fins et que le NFP ne gouverne pas, quelles pourraient être les conséquences ?
Je ne peux pas croire que celui qui est le garant des institutions, même s’il est très réticent, ne les respecte pas. Si le NFP désigne un premier ministre, il doit l’appeler. C’est à lui de faire en sorte que les institutions fonctionnent, que ce soit son choix politique ou non. Et après, ce sera à nous d’être les garants du bon fonctionnement de l’Assemblée, dans l’esprit de la VIe République. Car quand la gauche gouverne, elle remet l’Assemblée au cœur de notre fonctionnement démocratique.
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