Les macronistes ont tout perdu, sauf leur morgue

Détruite par la dissolution de l’Assemblée nationale, devancée par la gauche aux législatives, la minorité présidentielle s’imagine encore avoir la main sur la donne politique. Incapable d’entendre le message des urnes, elle continue de donner des leçons à tout le monde, depuis sa réalité parallèle.

Ellen Salvi

Une extrême droite forte de 143 député·es, des dizaines de sièges perdus à l’Assemblée nationale, des dizaines d’autres sauvés grâce à la gauche, des choix politiques désavoués, un chef de l’État honni par ses propres troupes… Le bilan des élections législatives anticipées aurait pu conduire le camp présidentiel à expérimenter l’humilité, ne serait-ce que quelques heures, le temps de comprendre la leçon que les urnes venaient de lui infliger. C’était compter sans une suffisance en béton armé, patiemment construite sur le terreau des gens qui ne doutent jamais.

Depuis dimanche soir, nombre de figures du macronisme – au sens large d’un terme dont on peine de plus en plus à définir les contours – tentent ainsi de plonger le débat public dans cette curieuse réalité parallèle où elles évoluent tranquillement depuis sept ans. Une réalité bien pratique, quoique légèrement éthérée, dans laquelle la déconfiture du scrutin n’en serait pas une. Et où les arguments peuvent se retourner aussi facilement que les vestes. « Je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché », aurait pu dire Emmanuel Macron au sujet des résultats.

Mais plutôt que de prendre acte de sa faillite politique, le chef de l’État a trouvé le moyen de se féliciter de la situation, en se faisant tresser quelques lauriers. « La clarification que le président de la République avait appelée de ses vœux s’est déroulée comme il le voulait », confiait son entourage dans la soirée. « Trois ans avant l’échéance présidentielle, Marine Le Pen n’est plus du tout crédible pour gagner. Merci la dissolution », indiquait encore l’un de ses soutiens. C’est à peine si les mêmes ne regrettaient pas le manque de reconnaissance de la gauche, arrivée en tête.

Stéphane Séjourné prononce un discours après le résultat des élections législatives au siège de Renaissance à Paris le 7 juillet 2024. © Photo Jacques Witt / Sipa

Observer des personnes venant de subir une cuisante défaite se comporter comme si elles avaient encore toutes les cartes en main a toujours quelque chose de gênant. Et pourtant, depuis vingt-quatre heures, on a vu le chef du parti présidentiel, Stéphane Séjourné, poser ses « conditions préalables à toute discussion en vue d’une majorité de projet » ; on a entendu le patron du MoDem, François Bayrou, écarter la moindre inflexion programmatique ; et écouté son homologue d’Horizons, Édouard Philippe, se poser en pivot d’un grand rassemblement des « enthousiasmes les plus résolus ». Leurs groupes respectifs ont perdu environ 73, 18 et 8 député·es.

Le premier ministre, Gabriel Attal, a eu beau se rassurer en répétant que son courant « est bel et bien vivant », il apparaît clair aux yeux du plus grand nombre que le macronisme est bel et bien mort. En définitive, les seuls à ne l’avoir pas compris sont les macronistes eux-mêmes, ou à tout le moins ceux qui sont parvenus à se maintenir par la seule grâce du front républicain. Imaginant avoir toujours la main sur la donne politique, ils s’emploient désormais à jouer les videurs, en désignant qui, parmi les membres du Nouveau Front populaire (NFP), pourrait être digne de les rejoindre autour de leur projet et de leurs idées.

Les leçons de Darmanin à la gauche

Le phénomène n’est certes pas nouveau. Il a été impulsé par Emmanuel Macron en personne dès 2017, lorsque celui-ci a balayé les conditions de son élection – et de sa réélection en 2022 – contre l’extrême droite, répétant à qui voulait l’entendre qu’il ne faisait qu’appliquer son programme. Aujourd’hui encore, et malgré les échecs à répétition, ses troupes suivent son exemple, persuadées que le « bloc central » a été plébiscité dans les urnes, là où le NFP n’aurait bénéficié que du barrage – ce que démentent toutes les analyses électorales, mais la réalité parallèle s’en moque.

Toujours aussi confiants, les macronistes ont donc décidé de poser leurs conditions à ceux qui les ont devancés. La députée Renaissance Maud Bregeon a par exemple déclaré qu’elle ne « participerai[t] pas à une coalition qui intégrerait La France insoumise ou Europe Écologie-Les Verts »« Il faut demander au Parti socialiste s’il accepte de rompre avec La France insoumise et dans ces cas-là, à mon avis, sur des grands sujets, on pourrait toujours discuter », a de son côté aimablement concédé le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’estimant légitime à demander des comptes à la gauche qui lui a permis d’être réélu – on en rirait presque.

En matière de mauvaise blague, Bruno Le Maire nous a aussi offert l’une de ses meilleures saillies, pointant un risque de « crise financière » et de « déclin économique » en cas d’application du programme du NFP – il manquait la pluie de grenouilles, mais la semaine est encore longue. Sur sa lancée, le ministre de l’économie, dont le bilan ne fait rêver personne, s’est également permis de s’accorder un satisfecit – encore un – estimant que l’application de ce programme de gauche « détruirait les résultats de la politique que [le gouvernement a] conduite depuis sept ans et qui a donné à la France du travail, de l’attractivité et des usines ».

La force du déni

Dans l’écosystème macroniste, le déni est tel que le chef de l’État lui-même s’est réjoui en privé du « bloc incontournable » que constitue à ses yeux la coalition présidentielle. Lundi, celui qui « nous a précipités dans une instabilité politique gravement préjudiciable à la France », pour reprendre les mots du président Les Républicains (LR) du Sénat Gérard Larcher, a demandé à Gabriel Attal de rester premier ministre « pour le moment » afin « d’assurer la stabilité du pays ». Dans sa réalité parallèle, le maître du chaos se pense encore maître des horloges.

À cette heure, on ne sait rien de la suite des événements, sinon qu’Emmanuel Macron entend profiter du peu qu’il lui reste pour maintenir davantage encore la pression sur ses oppositions politiques. Le président de la République veut en effet prendre son temps pour nommer un nouveau chef du gouvernement. Et fait dire par son entourage qu’il attend la « structuration de la nouvelle Assemblée » pour « prendre les décisions nécessaires ». Dans les faits, comme au lendemain de la dissolution, il table encore sur des divisions au sein du NFP.

Ces calculs cyniques sont assez effrayants pour qui se souvient que le chef de l’État était prêt à proposer à Jordan Bardella de composer un gouvernement, y compris en cas de majorité relative. Ce qui était vrai pour l’extrême droite devient soudain difficile lorsque la gauche unie l’emporte. Renvoyant la victoire de cette dernière au seul fruit du front républicain, les macronistes oublient un peu vite que c’est aussi un modèle de société qui a été préféré dimanche. Et un autre – le leur – qui a été lourdement sanctionné.

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