Guillaume Vama, un écologiste kanak dans les geôles coloniales

De la Nouvelle-Calédonie à la Kanaky, le long chemin de l’indépendance

Incarcéré à Bourges depuis deux mois, le militant accusé d’avoir participé aux révoltes de Nouvelle-Calédonie est connu pour avoir développé l’agroforesterie sur l’archipel. Une technique écologique permettant l’autosuffisance alimentaire, détruite par la colonisation.

Lucie Delaporte

Dans les reportages qui lui ont été consacrés ces dernières années sur Caledonia ou NC la 1ère, on entend son ton posé, sa voix douce. Guillaume Vama explique avec patience les techniques d’agroforesterie qu’il a mises en place dans son île natale, l’île des Pins, à la pointe sud de l’archipel calédonien.

Ce militant écologiste et indépendantiste, âgé de 30 ans, est aujourd’hui incarcéré à Bourges (Cher), à 17 000 kilomètres de chez lui. Il fait partie des sept militants indépendantistes kanak mis en examen et exilés en métropole après les révoltes contre le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui ont fait une dizaine de morts.

« On s’est appelés le 19 juin après-midi, il m’a dit qu’il allait rentrer, il était dans un champ », nous raconte sa femme Hnaéla, institutrice sur l’île des Pins. Interpellé ce jour-là, puis placé en garde à vue à Nouméa, Guillaume Vama est transféré dans la foulée en métropole, sans avoir pu revoir sa femme et leur petite fille de 15 mois.

Après 55 jours de silence, sa compagne a enfin pu le joindre au téléphone le 15 août. « Il ne se laisse pas abattre, il a un mental d’acier. Il est très touché par les soutiens locaux qu’il a reçus », raconte-t-elle.

Guillaume Vama, défenseur de l’agroforesterie. © Photomontage Mediapart

Son frère Jacky, qui réside à Lyon (Rhône), a enfin pu le voir la semaine dernière et lui a apporté des livres, qu’il dévore en prison. « Il se pose beaucoup de questions sur le devenir de ce conflit et s’inquiète aussi pour ses activités, ses associations et tous les projets que sa détention met à l’arrêt. Mais il est très fort dans sa tête », rapporte-t-il.

Comme les autres indépendantistes, Guillaume Vama a été mis en examen en juin dernier pour « association de malfaiteurs »« destruction en bande organisée » et « complicité de tentative de meurtre sur les forces de l’ordre ». Parmi les treize militantes et militants mis en examen, huit ont été incarcérés dont sept « affectés en métropole », fin juin, selon les termes du procureur de Nouméa, Yves Maupas. Parmi eux, le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), Christian Tein, a été incarcéré à Mulhouse (Haut-Rhin).

Le 10 juillet, Frédérique Muliava, directrice de cabinet du président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, incarcérée à Riom (Puy-de-Dôme), et Brenda Wanabo, chargée de la communication de la CCAT, incarcérée à Dijon (Côte-d’Or), ont été libérées, mais restent assignées en métropole, sous bracelet électronique.

Dans le dossier de Guillaume Vama, dont Mediapart a pu prendre connaissance, il lui est reproché plus spécifiquement d’avoir joué un rôle dans l’assaut contre une gendarmerie sur l’île des Pins le 8 avril, quelques semaines avant que l’archipel s’embrase.

Rien ne tient dans ce dossier.

Louise Chauchat, avocate de Guillaume Vama

Ce jour-là, une manifestation organisée contre le projet de réforme du corps électoral, imposé aux indépendantistes au mépris du processus de décolonisation mis en place depuis plus de trente ans, dégénère, et certains manifestants tentent de pénétrer dans une gendarmerie. Trois personnes ont été arrêtées pour ces faits et mises en examen.

C’est donc le rôle de « leader » de Guillaume Vama sur l’île qui est au centre de l’accusation aujourd’hui, comme pour les autres membres de la CCAT, le collectif d’associations et groupe indépendantiste formé pour protester contre le dégel du corps électoral.

« Rien ne tient dans ce dossier », affirme son avocate, Me Louise Chauchat, qui a découvert au tout dernier moment que son client était envoyé en métropole, « une procédure d’éloignement qui n’était plus utilisée depuis les années 1980 ».

Révolté par le passage en force de la réforme institutionnelle, Guillaume Vama a participé à la création du Collectif de libération pour le peuple kanak (CLPK), devenu l’antenne de la CCAT sur l’île des Pins.

« Il a été dans les manifestations, mais toujours de manière pacifique. Guillaume est quelqu’un de constructif », souligne sa compagne. Juste avant que n’éclatent les révoltes en Nouvelle-Calédonie, « Guillaume revenait d’un séjour de formation à la communication non violente en Belgique. Il est devenu formateur sur le sujet », abonde son frère Jacky, qui décrit une famille sous le choc depuis son interpellation.

À Bourges, où un rassemblement de soutien a été organisé début juillet, sa nièce Madlyne Vama a pris la parole pour affirmer que son oncle était « tout sauf un criminel et encore moins un terroriste… ». « Avec son parcours très atypique, mon oncle a su faire de sa résilience un moteur pour ses activités agricoles, tout en valorisant la culture kanak, qu’il représente fièrement grâce au travail, aux enseignements et aux sacrifices de nos ancêtres. »

Connu en Nouvelle-Calédonie pour son action dans l’agroforesterie et le combat pour l’indépendance alimentaire de l’archipel, Guillaume Vama n’a jamais été encarté dans un parti politique, tout en étant attaché à la cause indépendantiste et la défense de la culture kanak.

« On vient d’une famille indépendantiste, mais Guillaume s’est toujours tenu à côté des partis », explique son frère. « D’une certaine façon, il a toujours fait de la politique par ses actes. Son action a participé à la reconnaissance du peuple kanak », détaille sa compagne.

En Hongrie, l’enfer des fermes usines

Autodidacte, Guillaume Vama a quitté le collège de Nouméa à 15 ans, dans lequel il était malheureux, pour rentrer sur l’île des Pins et se former auprès de ses oncles au travail de la terre, selon les méthodes héritées de ses ancêtres. Il apprend aussi à construire les cases traditionnelles, si importantes dans la culture kanak. En nââ kwényï, la langue de sa tribu (le terme désigne là-bas le village), son prénom kanak « Weregnia » signifie la jeune pousse de paille, paille avec laquelle on construit la case.

Guillaume Vama passe son CAP d’horticulture puis, lors d’un séjour en Hongrie, effectué par le biais du service volontaire européen, il découvre surtout l’envers de l’agro-industrie.

Dans l’émission de radio « Destins peu communs » de NC la 1ère, il revient sur sa visite dans une grande ferme usine. « Les vaches, il y en avait des milliers, tout ça géré par ordinateur », découvre-t-il, sidéré. Les animaux ressemblent à « des zombies ». « Quand je suis sorti, j’étais perdu, je n’étais pas bien. C’est ça qu’on vénérait en Nouvelle-Calédonie ? », s’interroge celui qui se dit « choqué » par la manière dont sont traités tant les animaux que la terre dans ces temples modernes de l’agriculture productiviste.

Heureusement, il croise aussi un paysan hongrois qui l’initie à la permaculture. « Au milieu de ces grosses productions, il continuait à croire au vivant, tu voyais sur lui qu’il était heureux. Je suis revenu avec beaucoup plus de détermination à travailler la terre, travailler la culture. »

Il décide donc de développer l’agroforesterie sur l’île des Pins, une méthode agricole notamment utilisée au Brésil, qui utilise le pouvoir régénérant de l’arbre sur les sols pour cultiver des plantes.

Parallèlement, il continue de se former auprès des « vieux » de son village. « Les vieux, ils voyaient la fertilité par la couleur de la terre. Le meilleur scientifique, c’est celui qui observe. L’observation, c’est plus puissant qu’une thèse en biologie », poursuit-il dans le même reportage. Sa fille s’appelle Aïna, qui signifie en hawaïen « la terre source d’énergie ».

« Avant la colonisation, les Kanak étaient des horticulteurs merveilleux. Ils ont été ensuite parqués dans des réserves et il y a eu de violents conflits pour la terre autour de l’élevage développé par les colons », souligne l’anthropologue Michel Naepels, qui rappelle à quel point la question de l’autonomie alimentaire est là-bas une question éminemment politique.

La population calédonienne est désormais dépendante à 85 % des importations pour son alimentation. Une aberration écologique et sociale commune à la plupart des outre-mer. Le combat de Guillaume Vama séduit de plus en plus de jeunes.

Le chanteur calédonien, Marcus Gad, auteur du morceau « Ici », dont les paroles engagées sur « les terres arrachées » aux Kanak ont particulièrement résonné ces derniers mois en Nouvelle-Calédonie, a d’ailleurs publié sur Facebook un texte de soutien à Guillaume Vama, rendant hommage à son « combat pour la terre et le vivant, pour la souveraineté à travers l’autonomie alimentaire ». « Guillaume Vama fait partie de ces jeunes qui proposent de véritables solutions pour l’avenir économique et social du pays, avec une mise en pratique concrète, sur le terrain, au plus proche de la jeunesse. Une de ces voix essentielles à l’élaboration d’un projet de société local en harmonie avec les modes de vie océaniens », écrit-il en protestation contre sa détention.

Dans la ville où il est incarcéré depuis fin juin, un comité de soutien s’est aussi créé. « On a appris par la presse que la maison d’arrêt allait recevoir un responsable kanak. Tout cela s’est fait dans le plus grand secret », regrette l’adjoint à la culture de Bourges Yannick Bedin, membre du collectif de soutien, qui estime que Guillaume Vama est « évidemment incarcéré pour des raisons politiques ».

Dans sa prison, Guillaume Vama a commencé à écrire. « Il a fait aussi circuler ses livres sur la communication non violente dans la prison, ses codétenus sont très intéressés d’échanger et d’en apprendre à ce sujet à ses côtés », se réjouit sa femme. Elle voudrait surtout qu’il soit bientôt auditionné dans le cadre de l’instruction en cours, pour que les autorités françaises comprennent qu’il n’a rien à faire en prison.

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