Une partie de l’extrême droite européenne est invitée à la cérémonie d’investiture de Donald Trump. La distribution des invitations trace des choix. Pour l’instant, c’est Giorgia Meloni qui semble tirer son épingle du jeu.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche modifie en profondeur les relations entre les États-Unis et l’Europe. Depuis son élection, le nouveau président a clairement fait savoir que le Vieux Continent n’échappera pas à son nouvel impérialisme prédateur. La menace de droits de douane sur les produits européens a pour vocation d’imposer des politiques favorables aux intérêts des secteurs qui ont porté au pouvoir l’ancien magnat de l’immobilier : les Big Tech et le secteur énergétique, par exemple.
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Mais pour imposer ses vues, Donald Trump entend s’appuyer sur des forces politiques locales. Et il a d’emblée utilisé sa cérémonie d’investiture pour envoyer des messages clairs sur ceux qu’il considère ou non comme ses alliés politiques. Même si, généralement, les chefs d’État étrangers ne participent pas à cette cérémonie, la nouvelle administration a distribué ses invitations en faisant en sorte de tracer une ligne nette entre soutiens et ennemis.
Ainsi, des invitations ont été envoyées aux chefs de gouvernement « amis » comme Giorgia Meloni, mais pas à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Si les gouvernements allemand et français seront représentés par leurs ambassadeurs, Donald Trump a choisi des membres de l’opposition de ces pays pour assister à sa prise de pouvoir. En Allemagne, la présidente du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) Alice Weidel, soutenue par le nouvel homme fort de Washington, Elon Musk, a été invitée. Si elle a décliné en raison de la campagne électorale actuelle, le coprésident de l’AfD Tino Chrupalla, complotiste et xénophobe, assistera à la cérémonie.
L’assistance ressemblera globalement à un rassemblement de l’extrême droite européenne. On y verra Santiago Abascal, président du parti d’extrême droite espagnol Vox, Tom Van Grieken, chef du Vlaams Belang belge, ou encore le dirigeant du parti nationaliste roumain (AUR) George Simion et la députée du FPÖ autrichien Susanne Fürst, qui représentera le chef du parti Herbert Kickl, actuellement en pleine négociation de coalition gouvernementale.
Mais Donald Trump a fait des choix dans la nébuleuse de cette extrême droite européenne. Ainsi, pour la France, l’administration Trump a choisi d’inviter Éric Zemmour et sa compagne et députée européenne Sarah Knafo. Le Rassemblement national (RN), lui, ne sera représenté que par une délégation dans le cadre de celle envoyée par son groupe au Parlement européen, Patriotes pour l’Europe.
Donald Trump choisit donc son extrême droite : la plus libertarienne et identitaire possible. Vendredi 17 janvier, Jordan Bardella, président du RN, a tenté de justifier son absence à la cérémonie par sa volonté de rejeter toute « vassalisation », mais la réalité est bien que le RN n’entre pas dans la stratégie hégémonique du nouveau président, à la différence de la plupart des membres de son groupe européen. Trop étatiste, trop peu lié au secteur technologique, le RN n’est pas un allié évident pour Washington.
Giorgia Meloni, tête de pont européenne du trumpisme
Dans cette Europe « trumpiste », deux figures phares se distinguent parce qu’elles sont effectivement au pouvoir : Viktor Orbán, premier ministre hongrois, et Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien. Or la cérémonie d’investiture montre quel est le rapport de force actuel entre ces deux prétendants à l’incarnation du trumpisme européen. Giorgia Meloni est bien présente à Washington et en profitera même pour s’entretenir rapidement avec le nouveau président. À l’inverse, Viktor Orbán sera, lui, à Budapest, où il prononcera un discours de bilan de la présidence hongroise de l’Union européenne (UE). Il n’est même pas évident de savoir si une invitation personnelle lui a été adressée.
La présidente du Conseil italien semble donc en passe de devenir le lien privilégié entre la nouvelle administration états-unienne et l’Union européenne. Ce n’était pas acquis d’emblée. Giorgia Meloni a entretenu une excellente relation avec Joe Biden et a semblé un peu décontenancée par la victoire du républicain en novembre. De son côté, Viktor Orbán est un soutien historique de Donald Trump, avec lequel il s’affiche régulièrement.
Mais l’Italienne a su utiliser les quelques semaines qui ont séparé l’élection de l’investiture pour devenir indispensable à la nouvelle administration. Pour cela, elle a pu s’appuyer sur son « ami » Elon Musk, avec lequel elle affiche une grande proximité depuis des années. Ce lien est particulièrement étroit. Alors que Rome est sur le point d’offrir un contrat public de 1,5 milliard d’euros à Starlink, la société d’Elon Musk, ce dernier aurait, selon le New York Times, négocié directement avec Téhéran la libération de la journaliste italienne Cecilia Sala, sans passer par l’administration Biden.
Logiquement, la cheffe du gouvernement italien a défendu avec beaucoup de détermination le milliardaire lors de sa conférence de presse du 9 janvier. À la différence d’autres dirigeants européens, la présidente du Conseil italien a affirmé que le propriétaire de X et de Tesla « n’est pas un danger pour la démocratie ». « En tout cas, a-t-elle ajouté, moins que George Soros », parce qu’il ne « finance pas de partis politiques ». Cette proximité lui a permis de devenir le principal interlocuteur de Donald Trump en Europe. Le 3 janvier, elle s’est ainsi rendue à Mar-a-Lago, résidence floridienne du président des États-Unis, et ce dernier l’a qualifiée de « femme fantastique ».
Très concrètement, ce choix de Giorgia Meloni est pour Washington une évidence. Viktor Orbán a un profil qui pose un certain nombre de problèmes à la nouvelle administration. Il est proche de Moscou et assez étatiste, là où l’Italienne est désormais une atlantiste convaincue et défend des positions économiques néolibérales. Le poids et l’influence des deux pays font aussi pencher la balance en faveur de la locataire du palais Chigi. Certes, Viktor Orbán est un modèle pour de nombreux dirigeants européens d’extrême droite. Mais son influence reste réduite et son pays est régulièrement mis au ban de l’UE pour son manque de respect de l’État de droit.
La question de l’Ukraine
À l’inverse, Giorgia Meloni joue un rôle central au sein de la gouvernance européenne, avec le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) dont le président, issu du parti polonais Droit et justice (PiS), Mateusz Morawiecki, sera également présent pour l’investiture de Donald Trump à Washington. Elle pèse sur la constitution des majorités et tient ainsi en respect la nouvelle Commission. En d’autres termes : Giorgia Meloni est le parfait « cheval de Troie » trumpiste en Europe.
Pour la présidente du Conseil italien, cet affichage de sa proximité avec le duo Trump/Musk a une grande valeur politique. Elle est ainsi parvenue à écarter son allié mais concurrent Matteo Salvini, de la Ligue, qui, lui aussi, pouvait prétendre à une certaine proximité avec le trumpisme. C’est surtout une revanche vis-à-vis du « couple franco-allemand », qui était accusé par l’extrême droite italienne de marginaliser Rome dans la conduite des affaires européennes.
En 2022, Giorgia Meloni avait promis d’en finir avec la puissance de ce duo sur le Vieux Continent. Sa présence à l’investiture de Donald Trump signe, selon elle, le retour de l’Italie au centre du jeu européen et même mondial, alors même qu’Ursula von der Leyen restera à Bruxelles.
Mais dans le nouvel ordre trumpiste, les alliés ne sont que des pions que l’on avance en fonction des besoins. Giorgia Meloni est utile, pour le moment, pour affaiblir l’UE et la soumettre aux conditions économiques et politiques de la nouvelle administration. Il n’est pas sûr qu’il en soit toujours ainsi.
Un des points centraux de cette relation sera la guerre en Ukraine. Dans sa conférence de presse du 9 janvier, Giorgia Meloni a assuré que Donald Trump « n’abandonnera pas Kyiv ». L’Italienne est, depuis 2022, un des soutiens les plus infaillibles de l’Ukraine. Elle peut donc être utile pour convaincre Kyiv d’entrer dans les négociations voulues par Washington. Mais si l’enjeu central devient de faire céder Moscou, Viktor Orbán et ses alliés prorusses slovaques ou autrichiens seront utiles.
C’est bien ce qu’il faut retenir de ce défilé de l’extrême droite européenne à l’investiture de Donald Trump : ce dernier choisit son extrême droite européenne en fonction des objectifs qu’il se fixe. Mais ses choix et ses alliances sont mouvantes et dépendantes de la nouvelle stratégie états-unienne. Or cette stratégie est prédatrice. Les alliés de Washington risquent donc de n’être que les idiots utiles du nouveau trumpisme.
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