Pas besoin d’invasions armées pour que les états européens finissent absorbés par les Américains ou les Russes. Seule une alliance des classes populaires et des républicains sincères peut sauver notre souveraineté. L’Europe doit être le lieu d’où part la résistance aux régimes néofascistes.
L’investiture de Donald Trump est un tournant majeur pour l’Europe. Évidemment, son projet raciste d’extrême droite est indéniable. Il propose de déporter des millions d’étrangers, de militariser les frontières, d’en finir avec le droit du sol et de déplacer les Palestiniens dans les pays limitrophes. Son acolyte Elon Musk fait un salut nazi pendant l’investiture et soutient ouvertement des partis néonazis en Angleterre et en Allemagne.
Les commentateurs qui ne prennent pas au sérieux ce qui se passe me font penser à tous ces politiques qui ont pris Mussolini puis Adolphe Hitler pour des guignols. Pourtant, la dérive américaine n’est pas isolée dans le monde. Nous retrouvons la même logique identitaire chez le régime russe qui justifie ainsi son agression en Ukraine, le régime israélien qui procède méthodiquement à une épuration ethnique pour amplifier la colonisation, mais aussi dans l’Inde de Modi qui a favorisé depuis longtemps les pogroms antimusulmans.
Dans les anciens pays colonisés, cette acmé identitaire conduit à des guerres civiles sur des bases ethniques ou religieuses et a notamment nourri le fondamentalisme islamique. Partout, une politique raciste du bouc émissaire étranger monte en puissance, permettant de détourner le regard des citoyens des vrais sujets comme les inégalités sociales ou la crise écologique.
Contrôle et impérialisme
Ce processus de fascisation à l’échelle du monde s’accompagne d’un renforcement de l’autoritarisme des régimes. Les régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie se transforment en dictatures d’un seul homme ou d’une oligarchie toujours plus restreinte. L’évolution de la Chine de Xi Jiping est sur ce sujet saisissante. D’un autre côté, les démocraties libérales deviennent de plus en plus autoritaires. Partout, les régimes accroissent le contrôle des populations. Les réseaux sociaux et internet après avoir été des instruments de liberté deviennent des moyens de contrôle et de déstabilisation des processus démocratiques, comme en Roumanie ou dans de nombreux pays africains. Évidemment ces régimes autoritaires veulent poursuivre le « buisness as usual » et se refusent donc à toute bifurcation écologique. Ils versent pour la plupart dans un climato-scepticisme, que ne semble pas choquer les puissants réunis à Davos.
Des processus économiques sous-tendent ces dynamiques politiques. Les logiques impérialistes sont toujours le stade suprême, qui suit un cycle d’accumulation capitalistique. Les entreprises fusionnent les unes avec les autres pour constituer des multinationales de plus en plus gigantesques en concurrence les unes avec les autres. Dans cette compétition, les règles édictées par les États et les commandes publiques jouent un rôle stratégique. D’ailleurs, la fortune d’Elon Musk doit beaucoup aux politiques de l’État américain favorable à la voiture électrique ou aux commandes de la NASA à Space X. Sans l’État, le libertarien n’aurait jamais fait fortune. D’autre part, ces entreprises ont toutes la même contradiction vieille comme le capitalisme, que Marx avait décortiqué dans « le Capital ». Il existe un problème structurel de sous-consommation et de surproduction. Pour écouler les marchandises, il faut contraindre des pays à les acheter. Trump l’exprime sans ambage : « L’UE est très mauvaise pour nous. Ils nous traitent très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. En fait ils ne prennent pas grand-chose ». Les États jouent aussi un rôle clé dans la capacité à s’accaparer les ressources en énergie et en matière première. D’où l’obsession d’Elon Musk pour le Groenland, qui est aussi un enjeu proprement militaire.
Dans ces dynamiques inter-impérialistes, la Chine, la Russie et les USA deviennent les pôles dominants et l’Europe est faible et divisée. La politique d’austérité de l’UE a affaibli singulièrement économiquement le vieux continent. « En 2008, la zone euro et les États-Unis avaient un produit intérieur brut (PIB) à prix courants équivalents de 14 200 milliards et 14 800 milliards de dollars respectivement. Quinze ans après, celui des Européens est à peine au-dessus de 15 000 milliards, tandis que celui des États-Unis s’est envolé à 26 900 milliards ». L’écart de PIB entre les USA et les l’UE est désormais de 80 %.
La guerre pour les consciences
Dans la tripartition du monde, les états européens pourraient bien passer du statut de simple vassal au grand frère américain USA à de simples colonies, soit du bloc russe pour les pays de l’Est soit du bloc américain pour ceux de l’Ouest. Il n’est pas forcément besoin d’invasions armées (même si elles peuvent advenir), des déstabilisations politiques via les réseaux sociaux suffisent, comme en Roumanie récemment. La guerre est devenue une guerre pour les consciences et nous avons livré toutes les armes à nos adversaires.
Alors que faire ? Il faut une double alliance.
Comme en 1940, il faut dans chaque pays une alliance des classes populaires et des républicains sincères pour défendre notre souveraineté : souveraineté sanitaire en défendant un service public du médicament, souveraineté dans l’éducation en s’opposant à la marchandisation de l’enseignement supérieur, souveraineté alimentaire et industrielle en relocalisant l’économie et enfin souveraineté pour l’accès à l’information via internet, les réseaux sociaux et les médias traditionnels.
Il nous faut aussi reconstituer une alliance à l’échelle européenne et mondiale en convainquant l’Allemagne de sortir de son isolement ordo-libéral. L’espace européen peut résister, s’il prend la mesure des défis, accepte de redistribuer les richesses et d’engager la bifurcation écologique. Il est aussi nécessaire de rebâtir des liens internationaux basés sur l’entraide et l’échange avec des pays non-alignés sur un des trois blocs autoritaires. Nous ne sommes isolés des peuples du monde quand nous défendons la démocratie, la justice sociale et la bifurcation écologique. L’Europe peut et doit être le phare d’où part la résistance à ces régimes néofascistes.
Enfin, il faut que nous ayons conscience que la souveraineté des pays européens ne sera pas sauvée par les milliardaires et les multinationales européens. Bernard Arnault était à l’investiture de Trump. A une autre époque, Louis Renault a été arrêté en 1945 pour collaboration avec les nazis…
Hendrik Davi est député du groupe Écologiste et social ; il est aussi un des fondateurs de l’APRES.
Source : Le destin de l’Europe est-il de devenir une colonie ?, par Hendrik Davi
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