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Après une chronique sur France 5 vendredi, l’humoriste Merwane Benlazar subit de nombreuses attaques racistes et ne passera plus sur France Télévisions. La vague de haine a été lancée par une avocate et la députée macroniste Nathalie Loiseau. Interrogés par Mediapart, douze humoristes témoignent de leur soutien.
Il aura fallu une barbe et un bonnet pour qu’un humoriste soit évincé d’une télé. Mercredi soir, la ministre de la culture Rachida Dati s’est faite la porte-parole de France Télévisions à l’Assemblée nationale. « Suite à ces propos, France Télévisions en a tiré les conséquences, il ne sera plus à l’antenne », a annoncé la ministre à l’Assemblée nationale.
Depuis vendredi, et une simple chronique humoristique dans « C à vous », l’émission de France 5, des élu·es, des journalistes, des éditorialistes ciblaient Merwane Benlazar. La raison ? Son bonnet et sa barbe donc.
Un « look salafiste », dénonçait l’avocate Lara Fatimi, à l’initiative de la vague de haine sur X en postant un message déjà vu près de 500 000 fois. « Par cette séquence sur @cavousf5, une étape importante de la conquête islamiste a été franchie. Le choix délibéré de cette tenue notoirement identifiée comme salafiste est un message fort », écrit-elle, avant d’insister au micro de Pascal Praud : « Nous avons quelqu’un qui choisit de se présenter avec des signes vestimentaires qui ont tout d’une tenue salafiste. »
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« Pour moi, il est en mission », estimait même la chercheuse controversée Florence Bergeaud-Blackler dans le média d’extrême droite Boulevard Voltaire. Face à cela, l’humoriste a été contraint de passer son compte X en privé.
L’attaque raciste aurait pu contenter l’extrême droite et rester dans cette sphère, mais une élue macroniste, supposée faire barrage à l’extrême droite, a cru bon de la relayer. « Au nom de toutes les femmes, de leur liberté, de leurs droits chèrement gagnés ici et bafoués par les islamistes partout à travers le monde, une seule question : Pourquoi ? », a réagi l’eurodéputée et secrétaire nationale du parti Horizons Nathalie Loiseau.
Depuis, la galaxie Bolloré dissèque les chroniques de l’humoriste, fouille son passé, décortique des tweets dans lesquels il évoque la charia et décrète que tout est à prendre au premier degré. Le Figaro lui reproche aussi ses blagues lorsqu’il parle de « porcs » pour qualifier les adeptes de la cérémonie Miss France ou ses traits d’humour sur la police lorsqu’il pointe les « racistes » et les « misogynes ».
« Si l’habit ne fait pas le moine, reconnaissons que le propos fait le salafiste », a lancé la sénatrice Nathalie Goulet mercredi, évoquant d’anciens tweets du chroniqueur, avant de questionner la ministre de la culture ce mercredi : « Comment peut-on participer, avec l’argent du contribuable, à normaliser les idées que véhicule ce personnage ? » À la place de France Télévisions, la ministre a donc annoncé qu’il ne serait plus sur France 5.
Interrogé par Mediapart, France Télévisions indique ne pas être l’employeur de Merwane Benlazar. « La décision de lui confier la chronique du vendredi 31 janvier ne nous a pas été soumise, ce type de décision relevant, légitimement, des prérogatives du producteur de l’émission », ajoute le groupe public. Troisième œil production, la société qui produit « C à vous », affirme de son côté que Merwane Benlazar était programmé pour effectuer un seul remplacement, pour palier l’absence de Pierre-Antoine Damecour, lui-même joker de Bertrand Chameroy. « Il n’a jamais été question qu’il soit à l’antenne, [la question de son retour] ne se pose pas », défend la filiale de Mediawan.
Comme pour la chanteuse de « The Voice » Mennel ou la syndicaliste de l’Unef Maryam Pougetoux, Merwane Benlazar est ciblé par celles et ceux qui veulent l’évincer du champ médiatique.
Cet humoriste de 29 ans, formé aux côtés de Kheiron et de Gad Elmaleh, chroniqueur sur France Inter, avait d’ailleurs tout prédit lors d’un sketch au festival de Montreux. « Avant, j’étais arabe sans barbe. Et j’ai laissé pousser un peu la barbe car juste Arabe en France, c’est trop facile. Moi il me faut des vrais défis », s’amusait-il, avant de pointer les préjugés « des chroniqueurs à la télévision » qui y voient le « résultat de l’islamisme, de l’islam radical ». « Je ne leur réponds pas car j’ai peur de les décevoir. J’ai peur de leur dire la vérité : c’est le résultat de quatre mois à regarder Vikings. »
Face à cette haine islamophobe, plusieurs humoristes interrogé·es par Mediapart n’ont plus « envie de rire » et tiennent à répondre.
Kheiron : « Ils ont vu un Arabe, un Arabe de trop pour eux »
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Si France Télévisions cède à la pression, cette décision serait totalement injuste. Ce serait simplement parce qu’il est musulman. Tout ça montre ce que l’on sait déjà : il y a de plus en plus de racisme décomplexé en France.
Au début, quand j’ai vu que Merwane, que je connais depuis le collège, recevait des attaques, je l’ai pris avec le sourire. Il est humoriste, donc il doit se préparer à recevoir de la méchanceté gratuite, car c’est la réalité du monde médiatique d’aujourd’hui.
Mais maintenant je ne ris plus. Tout ça dépasse le cadre de l’humour et dépasse le cadre de la liberté d’expression, que je soutiens plus que tout. Là, c’est juste du racisme. Ils vont l’étiqueter, le catégoriser sur un bonnet, une couleur de peau et une barbe. Ces gens-là se fichent de savoir s’il est salafiste ou pas.
Nathalie Loiseau se permet d’insinuer que Merwane est un salafiste. Mais que sait-elle de lui ? N’a-t-elle rien d’autre à faire que de commenter sa tenue vestimentaire ? Pour l’attaquer, elle a même réussi à choisir une photo sur laquelle il ne sourit pas. Un exploit ! Merwane rit tout le temps, et je lui reproche même de rire à ses blagues quand il joue ses sketchs. Ces politiques regardent les sondages, regardent où va le vent, et quel électorat séduire. Merwane paye tout ça.
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Je vois des gens fouiller, chercher des messages qu’il a postés par le passé, sans savoir quel âge il avait et sans connaître le contexte. Ce sont des blagues ! En réalité, ils se foutent de savoir qui il est aujourd’hui ou le retentissement psychologique que cela peut avoir sur lui. Les gens n’ont plus envie de savoir la vérité, mais veulent simplement appartenir à un groupe capable de conforter leurs préjugés. Avec Merwane, ils ont vu un Arabe, un Arabe de trop pour eux. Ils ont fait leur raid sur lui et demain ils passeront à autre chose et viseront d’autres cibles : au hasard, les étrangers, les migrants ou les musulmans.
Charline Vanhoenacker : « Il ne faut rien céder face à ce rouleau compresseur »
J’ai appris la polémique en lisant Le Figaro. J’étais morte de rire, j’avais l’impression de lire un journal satirique. La mécanique est toujours la même : un camp politique qui fait mine de prendre au premier degré quelque chose d’énoncé au second. Une mécanique implacable, paresseuse et malhonnête. Une mécanique qu’ont subie Guillaume Meurice et bien d’autres. J’y suis aussi confrontée quotidiennement.
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S’agissant de Merwane, on a tout de même passé un cran avec une ampleur bien plus importante et des attaques justifiées sur sa seule apparence. J’ai vu passer une photo de lui à côté de l’humoriste Yann Marguet. Elle dit tout. Le hipster versus le salafiste.
Aujourd’hui la réception d’une blague est devenue une menace de censure plus inquiétante que la censure économique et même politique. Il faut que nos patrons, nos responsables éditoriaux, ne cèdent rien face à ce rouleau compresseur. D’arriver à France 5 avec ce look était en soi une blague. Et quand une blague potache arrive à l’Assemblée ou au Sénat, elle se transforme en instrument politique et c’est un jeu dangereux. C’est aussi dangereux pour l’humoriste à qui ça arrive parce qu’il est soudain désigné comme cible.
Yann Marguet : « Ce mème avec ma tête et la sienne parle de lui-même »
J’ai vu ma trombine sur les réseaux sociaux et ceux qui comparaient ma situation avec celle de Merwane. Ce n’est pas mon rêve d’être un étalon de différence dans ce cas-là, mais ce mème avec ma tête et la sienne parle de lui-même. Je suis obligé de remarquer qu’il y a un fond de vérité.
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Je suis atterré par ces réactions d’une violence inouïe, par la nullité de ce débat et par ce délit de faciès. C’est difficile d’y voir autre chose que du racisme. Dans cette époque flippante et face à une telle ingérence du politique et de l’idéologie dans l’humour, on doit tous se serrer les coudes.
Alex Vizorek : « Sa barbe est un attrape-cons et les cons sont tombés à pieds joints dans le piège »
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Je n’aime pas le premier degré. Quand on parle d’humour au premier degré, c’est toujours qu’on a perdu quelque chose. Je connais Merwane depuis huit ans, je le trouve fantastique et j’ai trouvé ça très malin de la part de France Inter de l’avoir recruté cette année.
On peut trouver que sa barbe n’est pas jolie, je n’ai pas d’avis esthétique, mais en France, on a quand même le droit de se laisser pousser la barbe. Moi, hélas, ma pilosité ne me le permet pas. Sinon, il faut faire voter une « loi barbe » qui l’interdirait à tout le monde. En réalité, je vois sa barbe comme un attrape-cons et les cons sont tombés à pieds joints dans le piège.
C’est hélas l’époque. On l’attaque, on retrouve des tweets non contextualisés et on les partage. Quand le personnage de Coluche fait des blagues racistes avec son nez rouge, c’est clair que ce sont des blagues. Quand Merwane poste un tweet sur la charia, et que tu connais son humour et que tu l’as vu en spectacle, tu sais que c’est une blague. Pas eux.
Guillaume Meurice : « On est dans le pur racisme »
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Je vois dans ces attaques un simple racisme décomplexé. Au début, j’ai cru que des éléments de sa chronique sur « C à vous » posaient problème. Mais même pas, c’est juste son apparence physique. On est dans le pur racisme, dans ce qu’il a de plus crasse. Auparavant, ces gens-là avaient tout de même des petites pudeurs. Désormais, ils ne se cachent même plus.
On a passé un cap avec l’éternel même « classico » : l’extrême droite impose son discours, menace et obtient gain de cause. C’est un racisme dingue mais il l’est encore davantage quand on voit qu’il est relayé par Nathalie Loiseau. Que les fachos soient fachos, c’est préoccupant, mais on le savait. Qu’une élue macroniste embraie…
L’extrême droite progresse à tous les niveaux et peut le faire grâce à la lâcheté de ce qu’on appelle le bloc central. C’est par cette lâcheté-là qu’elle a d’ailleurs toujours progressé dans l’Histoire. Mais n’oublions pas que tous ces gens qui l’attaquent ont un objectif commun et clairement assumé : celui de la privatisation de l’audiovisuel public. Je soutiens Merwane Benlazar et j’espère qu’il est soutenu en interne à France Inter et à « C à vous ».
Matthieu Noël : « Merwane est chez nous et restera chez nous »
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C’est une bien belle polémique comme on en a malheureusement l’habitude, mais elle me choque et me fait de la peine pour lui. Merwane est dans mon émission sur France Inter et a toujours été très drôle, avec un univers qui tranche.
Il m’avait même appelé juste avant « C à vous » pour prendre des conseils. Il voulait bien faire et n’est pas parti là-bas pour faire un coup. Et si j’avais fait la même chronique que lui, personne ne m’aurait attaqué de cette manière ou serait allé fouiller mes tweets.
Je tiens à la liberté d’expression des humoristes tant que ça nous fait marrer, et il nous fait bien marrer. Mais l’air du temps semble être au racisme et pousse une certaine frange des réseaux sociaux à s’attaquer à quelqu’un sur la base de clichés. Et que dire des tweets de Nathalie Loiseau ? Je croyais qu’elle n’appartenait pas à la droite identitaire. Merwane est chez nous à France Inter et restera chez nous.
Tahnee : « Qu’importent les vêtements ou la barbe qu’il porte »
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Des gens partagent une capture d’écran avec la tête de Merwane sans avoir écouté sa chronique. On reste dans la continuité de ce que je vois de la violence sur les réseaux sociaux ces derniers temps. Par exemple, une vidéo de mon passage à Montreux est sortie en janvier sur Facebook, provoquant une vague de commentaires horribles : racistes, sexistes et lesbophobes.
Ils l’ont ciblé en s’attardant sur ce qu’il portait. Mais sans ses vêtements ou sa barbe, il se serait pris d’autres commentaires racistes. C’est le quotidien des personnes racisées, qui n’ont déjà pas beaucoup de visibilité. Je crains que ce phénomène incite les chaînes à ne plus nous programmer pour éviter ces « polémiques ».
Benjamin Tranié : « La liberté d’expression, ce n’est pas d’être raciste ou islamophobe »
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Donc pour des blagues avec ses propres amis sorties de leur contexte on l’interdit de télévision ? C’est honteux. On marche sur la tête. Rachida Dati donne raison à l’extrême droite. On dirait un épisode de South Park.
Tous ceux qui l’attaquent et polémiquent dessus ne savent même pas ce qu’il a dit. Il n’y a pas un mot sur le salafisme ou sur la religion dans sa chronique de « C à vous ». Il est visé pour sa barbe, c’est atterrant. Visiblement, un humoriste arabe ne peut donc pas faire de l’humour.
Cette polémique a en tout cas permis à Nathalie Loiseau de nous rafraîchir la mémoire en nous rappelant son beau CV et son passé proche du GUD. Sous couvert de liberté d’expression, ces gens l’attaquent, mais la liberté d’expression, ce n’est pas d’être raciste ou islamophobe.
Akim Omiri : « On ne va jamais fouiller les messages de ceux qui ne s’appellent pas Merwane »
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La réaction de France Télévisions et l’annonce de Rachida Dati, c’est lunaire. Je suis sous le choc. Je m’attendais à ce que « C à vous » ne le réinvite pas, mais pas que cela prenne ces proportions. On a un vrai problème politique.
C’est du pur racisme. J’ai su qu’il avait fait « C à vous » lorsque j’ai reçu beaucoup de mentions sur X. Des gens m’ont associé à lui en nous présentant comme « les nouveaux salafistes des médias ». Alors j’ai regardé sa chronique et j’ai constaté qu’il parlait simplement de foot. Après, j’ai vu la députée Nathalie Loiseau le présenter comme un salafiste et des gens exhumer ses tweets.
C’est drôle, on ne va jamais fouiller les messages de gens qui ne s’appellent pas Merwane. Des messages qui sont des blagues. Quand on le connaît, on sait qu’il s’agit de blagues, mais on doit se justifier tout le temps et sur tout. Ses détracteurs ne cherchent pas la vérité mais veulent simplement confirmer leurs préjugés. On a pourtant besoin de gens comme Merwane Benlazar ou Jason Brokerss pour montrer qu’un Arabe avec une barbe n’est pas forcément intégriste.
Noam Sinseau : « On a l’obligation de faire front ensemble »
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Je suis à la fois choqué et pas choqué. Qui ne savait pas que la France était raciste ? Au moins, ces attaques montrent comment l’extrême droite tente de plus en plus de nous imposer sa vision raciste. Pour faire face, on a l’obligation de faire front ensemble, pour répondre et réagir intelligemment.
Nous les personnes racisées, on s’est habitués à se mettre la pression dès qu’on va sur des plateaux télé, pour éviter de faire des erreurs. Malgré notre exigence, cette polémique prouve à quel point l’islamophobie est étendue en France. Ils ne cherchent même plus des faits pour attaquer des personnes racisées. Une barbe et un bonnet suffisent pour qu’on soit qualifié de « salafiste ». Pourtant, quand on connaît Merwane, cette question, de savoir s’il est salafiste, ne se pose même pas !
On est collectivement fatigués de ce climat, mais ce n’est pas pour autant qu’on va se laisser faire, on doit se battre pour continuer à occuper ces espaces et contrer ces tentatives d’intimidation qui n’ont qu’un but : nous empêcher d’y aller.
Doully : « Ce n’est pas normal qu’en 2025, on en soit là »
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C’est clairement du délit de faciès ! Ça me choque que l’on puisse en arriver là. Il y a du racisme partout, qu’on soit noir, arabe ou juif, tout le monde en prend pour son grade et ce n’est pas normal qu’en 2025, on en soit encore là.
J’ai l’impression que tout le monde a vrillé sur ce sujet. On ne comprend pas ce qu’il lui arrive, il faut qu’on dénonce ce qu’il se passe pour rappeler que ce n’est pas normal. Ce climat m’inquiète pour les prochaines élections.
Pierre-Emmanuel Barré : « Les attaques visent aussi le service public »
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C’est simplement du racisme décomplexé. En tant qu’humoriste, on ne s’intéresse qu’à la qualité de la chronique, rien d’autre. Tout ce qui se construit autour n’est pas très intéressant. Pendant qu’on entend toute la journée qu’on ne peut plus rien dire, la parole des racistes est complètement décomplexée aujourd’hui. Notamment grâce à Bolloré, qui a ouvert les vannes avec CNews et C8.
J’ai l’impression que les attaques visent aussi le service public, car ces gens-là veulent sa privatisation et utilisent tous les moyens pour le décrédibiliser.
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