Lettre ouverte à nos parents petits-bourgeois

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Ce photogramme du “Zéro de conduite” de Jean Vigo a été ajouté au texte par l’équipe de L’Autre Quotidien.

Cette lettre-manifeste s’adresse aux générations européennes qui ont mis au monde et fait grandir les actuelles générations petites-bourgeoises encore apprenties et étudiantes, ou fraîchement salariées. Mais qui, ces dernières, partagent une volonté de sécession avec les structures actuelles de notre société capitaliste patriarcale impérialiste et spéciste.

Ci-joint un A4 recto-verso à diffuser selon les envies (à imprimer en cochant « retourner sur les bords courts » puis à plier comme un livret A5). Il n’y a pas de signature ; il est possible d’y ajouter la nôtre ou une autre selon que le texte sera modifié ou pas par celleux qui le diffuseront.

Le titre signale « A nos parents » car nous n’avons pas pris le temps de refaire la mise en forme mais nous espérons qu’il est clair que ce n’est pas un « à nos parents » universel. Nous ne voulons pas ignorer que les conditions et les exemples que nous citons sont celleux de notre condition petite-bourgeoise occidentale. Elleux ne sont en aucun cas une référence ou une norme universelle et encore moins une stratégie politique vers laquelle tendre, unanimement. Nous considérons que la classe petite-bourgeoise doit en priorité s’attacher à choisir son camp et prendre pleinement conscience de la position qu’elle occupe dans la société. Une position absolument pas neutre.

Des moins de 30 ans qui parcourent l’Europe, au gré des hiboux et des salamandres.
Première publication dans Paris Luttes le 28 mars 2019

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A nos parents

CONSTAT

D’aucuns nous définissent comme la « génération Y ». Nous, les enfants de la fin du 20ème siècle qui avons grandi dans le souvenir déjà usé des luttes sociales des années 30, du communisme d’après-guerre, des années 60 et des tensions de la guerre froide. Nous qui sommes entréEs dans le 21ème siècle avec internet et Facebook, le déploiement des caméras de surveillance, la construction par les Etats de la figure du terrorisme islamique et leurs militaires armés dans nos rues. Nous avons surtout grandi avec l’idée que nous sommes en train de trouver des solutions pour gérer la « crise écologique » en cours, que c’est un sujet sérieux qui occupe les grands de ce monde.

Partout (1), nous n’avons cessé d’entendre que le monde va mal mais qu’il va mieux qu’avant. Que les gouvernements et les riches de ce monde ne sont pas animés de mauvaises intentions ou du moins, pas tous. Qu’en effet, beaucoup d’énergie est investie pour lutter contre le désastre écologique en cours et que, si tout est bien compliqué, nous pouvons compter sur la détermination et le volontarisme de beaucoup d’institutions. Nous qui parlons, nous sommes représentantEs de la classe petite-bourgeoise européenne ; cette classe qui se croit être dans le grand bain de la normalité mais qui vit sur un ensemble de privilèges dont nous avons joui.

Dans cette perspective, le « partout » (1) dont nous parlions s’est assuré de nous faire comprendre que nous devions prendre notre place dans le système marchand en place. Que nous devions trouver une garantie individuelle pour notre survie financière et que notre existence sociale ne pouvait pas faire l’économie d’une insertion sur le(s) marché(s) du monde. Le marché du travail bien sûr, mais aussi le marché immobilier, le marché bancaire, le marché de l’éducation. Bref, la réalité serait qu’en attendant de trouver des solutions à tous les problèmes dont nous parlions, il faudrait jouer le jeu économique de nos sociétés capitalistes. Pas le choix, pas vraiment. Les conditions sont posées par les pouvoirs dominants en place : le capitalisme; l’impérialisme ; le patriarcat ; l’anthropocentrisme et c’est en s’y soumettant que nous pourrons, plus tard, donner du sens à ce que nous faisons.

Et nous voilà sur le marché de l’éducation supérieure ou sur le marché du travail avec notre conscience écologique culpabilisante. En plus de l’impact anthropique direct sur les écosystèmes, les conséquences du dérèglement climatique ne peuvent plus être niées.

En somme, les problèmes sont profonds, et ils sont connus. Mais le message continue d’infuser et vous, nos parents, avez continué de nous le transmettre : c’est l’intégration économique individuelle et collective ou la galère et la mort.

IMPASSE

Nous vivons une première contradiction entre notre conscience écologique et l’injonction à entrer sur les marchés. Des campagnes de sensibilisation évoquent nos lumières à éteindre, nos robinets à fermer, nos déchets à trier ; et on s’y met. Tandis que simultanément ce que l’on vit sur nos lieux de travail et d’études nous montre quotidiennement que nos engagements individuels ne peuvent rien.(2)

Nous vivons une seconde contradiction lorsque l’on nous demande de nous assumer individuellement économiquement alors que ce chemin est une négation de toute possibilité d’un avenir proche vivable et par ailleurs une négation de la possibilité de nous émanciper. En effet, l’ « indépendance » dans ce système, c’est la dépendance à une utilisation non-viable des ressources et à un modèle individualiste de structure sociale. Tout ce que nous expérimentons dans ce modèle-là va fondamentalement à l’encontre des mécanismes qui régissent le Vivant (3), à l’encontre de toute possibilité d’une conscience collective et en fin de compte à l’encontre de notre réelle autonomie.

Ce constat nous amène logiquement à nous positionner en rupture radicale vis-à-vis des institutions politiques existantes. Parce que nier les contradictions de notre monde nous amène rapidement à un mépris écologique et social ou à l’indifférence. (4)

Nous avons grandi dans le confort individualiste et consumériste que nous envie une grande partie de l’humanité. Nous savons que nous n’en voulons pas parce que nous l’avons connu et nous ne donnerons pas de leçon. Nous souhaitons simplement rendre d’autres manières de vivre enviables. Pour cela, nous construirons nos lieux de vie et les règles qui les régissent, nous créerons des imaginaires par le théâtre, l’écriture, la danse, le dessin, nous inventerons des jeux, des langues, des techniques et des fêtes.

RACKET

Donc non, décidément, nous n’avons ni le temps ni l’envie d’entrer dans ce système, nous n’y serons jamais « indépendants ». Nous allons prendre nos responsabilités maintenant sur notre futur, et allons donc subir la répartition existante des richesses.

On a besoin de vous, et cela ne nous dérange pas. Vous avez accumulé des biens matériels, des voitures, de l’immobilier, des livres, du terrain, des outils, de l’argent. Vous disposez de réseaux, de repères, de savoir-faire et parfois de l’expérience encore du temps long de l’artisanat et de la paysannerie. Nous avons besoin d’avoir accès à tout cela sans les conditions de soumission à la valeur marchande ; il est temps de répartir les richesses, et nous commencerons au sein de notre milieu.

Nous serons celleux qui organiseront ces richesses, et nous le ferons selon nos conditions. Parce que nous sommes la force vive qui construit ; nous n’avons pas les chaînes qui vous relient au système (5).Vous avez courbé l’échine face au capitalisme pour assurer notre survie à court terme. Vous pouvez maintenant nous donner des moyens pour construire notre survie collective à moyen terme.

Nous voulons du terrain pour construire autrement avec l’immensité de ce qui est déjà dans nos décharges et l’immensité des ressources intégrables dans les cycles de la Biosphère (eau, bois, pierre, terre, chaume, paille, etc…), inventer des lieux de vie où la règle repose plus sur l’attention aux autres et l’accès inclusif que sur le mérite individuel et la sélection des compétences. Nous voulons également libérer du temps collectif pour concentrer nos énergies à l’abolition des conditions marchandes et nous mettre en réseaux avec des alliéEs proches ou lointainEs pour créer autant des solidarités que des chaînes de production émancipatrices.

L’urgence est dans l’entraide, la survie est dans la gratuité et l’autonomie est dans la confiance. Nous explorons des pistes, parce que nous n’allons plus nous agenouiller. Nous luttons pour vivre.

Notes :

(1) Un message distillé à l’école de la République, à la TV, dans les pubs, aux repas de famille, dans les films et autres fictions

(2) Le gaspillage des restaurants et des cantines, les lumières continues des quartiers d’affaires, des zones universités et les grandes écoles qu’un « développement durable » est possible, que nous n’aurons pas à remettre en question notre confort, que c’est en gagnant contre les autres que l’on s’émancipe…

(3) Il ressort de recherches sur le comportement des animaux autant que des végétaux que chaque individu s’inscrit dans un réseau d’entre-aide avec d’autres vivants. Si des tactiques de rivalité sont présentes dans les comportements, on leur préfère le mutualisme ou la symbiose qui sont moins coûteuses en énergie. Le mythe libérale de la compétition comme seul moteur de l’altérité ne profite qu’à une partie infime du vivant. Par ailleurs, les écosystèmes qui se portent le mieux sont ceux qui présentent une grande diversité d’espèces qui interagissent entre-elles. Partout, l’Humain détruit pour fabriquer artificiellement des milieux simplifiés qu’il maîtrise à court terme, au prix de leur appauvrissement et de leur mort à moyen terme.

(4) Du côté des petits, nous oublions que nous sommes des vivants parmi les vivants, nous nous laissons prendre par le flot des jours, les enfants à emmener à l’école, les cuites entre amiEs et les sorties au cinéma. Et du côté des gros méchants, l’obscurantisme latent de ces 40 dernières années est précisément le chemin choisi par les dirigeants de nos « démocraties ». Macron, Trump, Erdogan, la commission européenne, le FMI, la Banque Mondiale et tous les autres.

(5) Nous n’avons, pour la plupart, pas de prêt, pas de personne à charge, et peu de temps et d’énergie investi à croire et servir ce système. Pour vous, inventer les alternatives de demain implique donc de « faire plus ». Dans un cadre associatif ou militant extérieur à vos réseaux et vos repères du quotidien. Nous comprenons que ce ne soit ni évident, ni facile.

Quelques incroyables oeuvres et travaux qui ont contribué à forger nos opinions « TAZ » Hakim Bey; « Le Capital » Karl Marx; « Être forêt » Jean-Baptiste Vidalou; « Où atterrir ? S’orienter en politique », Bruno Latour; « La révolution d’un seul brin de paille » Masanobu Fukuoka; « Le champignon de la fin du monde » Anna Tsing; « Bâtir aussi » Les ateliers de l’Antémonde; « Le cantique d’une apocalypse joyeuse » Arto Paasilinna; « Comment tout peut s’effondrer » Pablo Servigne, Raphaël Stevens; « Comment la non-violence protège l’Etat » Peter Gelderloos; « La vie secrète des arbres » Peter Wohlleben; « Le Talon de Fer » Jack London Les BD de Liv Stromquist Les films des Scotcheuses « La belle verte » Coline Serreau La revue Z, la revue Jef Klak, la revue Nunatak, Le journal Moins!, Le Monde Diplomatique. Les sites d’info lundi.am, médiapart, manif’est, parisluttes.info, renverse.co, bureburebure.info, zad.nadir.org

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