JE NE SUIS PLUS AVOCAT

Il y a un an, jour pour jour, j’ai pris la décision de quitter la profession d’avocat. Depuis le 1er janvier 2025, et après plus de 12 années à officier au barreau de Rouen, j’ai officiellement raccroché la robe. Ce fut un choix particulièrement difficile, peut-être l’un des plus difficile de toute ma vie, mais il a été mûrement réfléchi.
Par ce petit texte, je veux vous en exposer succinctement les principales raisons. Je vais le dire depuis une position qui me préserve de toutes représailles puisque je suis désormais libéré de toute obligation déontologique.
Comme tant d’autres, les Gilets jaunes ont bouleversé ma vie à jamais. Il y a eu un avant et un après. Aujourd’hui, l’injustice m’est devenue si insupportable, que je ressens l’impératif besoin de faire tout mon possible pour lutter contre elle.
Or, face à la déliquescence du service public de la justice, je ne trouvais plus de sens à mes actions. Par l’effet des politiques néolibérales austéritaires, la justice est très largement sous-dotée en moyens, elle parvient de moins en moins à remplir sa mission. Pour vous dire, les Tribunaux n’ont même pas le budget papier suffisant pour imprimer les écritures et pièces des avocats… Les délais de procédure sont devenus absurdes (comptez par exemple deux à trois ans pour une action prud’homale, ajoutez encore deux ou trois ans pour l’appel…), les magistrats croulent sous les dossiers et tout ne fait qu’empirer année après année. Parmi les conséquences directes, l’une des plus graves est que les décisions rendues sont d’une qualité de plus en plus « discutable ». Euphémisme. À quoi bon passer des dizaines d’heures à travailler un dossier pour se faire ratatiner par un Juge qui, malgré lui, n’y aura consacré que quelques minutes d’attention. Rien qu’au cours de ma dernière année d’exercice, j’ai été confronté à plusieurs décisions de justice catastrophiques procédant d’erreurs manifestes, et aux conséquences désastreuses pour les personnes concernées. Et même s’il serait excessif d’affirmer que les erreurs judiciaires sont la norme, elles sont devenues si récurrentes et grossières qu’elles corrompent le système tout entier. Une justice devenue injuste. Tout le monde le sait, tout le monde s’en plaint, mais tout le monde s’en accommode, et rien ne change.
Le pire dans tout ça, c’est bien l’apathie générale qui règne dans le milieu. Il y a bien ici ou là quelques personnes d’exception qui tentent de réveiller les esprits et d’agir pour sauver l’institution judiciaire du naufrage, mais leur courage est noyé par le mouvement général des flots du conformisme et de l’indifférence.
Confronté à l’inertie de l’ensemble de la profession d’avocats face à une situation politique écœurante et directement responsable de ce désastre, je ne me sentais plus à ma place. Les quelques confrères exceptionnels d’humanité et de dévouement que j’aurais côtoyés en chemin – et que je remercie ici chaleureusement – n’auront pas suffi à dissiper mon sentiment de solitude. Les bonnes âmes sont trop rares dans un monde dominé par les apparences où il ne faut surtout parler de rien d’important pour ne pas se faire mal voir.
Le monde des avocats n’échappe pas au principe contemporain tyrannique selon lequel l’image que l’’on renvoie compte davantage que ses bonnes actions. En découle une désinvolture et une forme de schizophrénie où à chaque attaque contre la justice, la profession se contente de gesticuler comme un poulet sans tête. On danse, on chante, on s’enchaîne au palais de justice… mais pas question de parler politique !
Il s’agit moins de défendre les citoyens que de conserver les privilèges de sa corporation ; il s’agit moins de combattre une énième loi scélérate que de se rassurer benoîtement en se disant « on a fait quelque chose », et tant pis si ce « quelque chose » n’avait aucune chance d’aboutir. On fait semblant, et ça semble suffisant.
J’ai vu des gens qui pour la plupart sont si heureux d’avoir accéder à un statut social élevé qu’ils se considèrent « arrivés ». Ils ne pensent plus, ne se renseignent plus, comme si l’octroi de la carte d’avocat les avait promus au rang de nobles, les dispensant par la même occasion de rendre des comptes à la société. Le fait d’occuper une position sociale élevée s’accompagne d’une obligation, celle d’œuvrer pour la défense des classes sociales moins privilégiées. Tel est pour moi, le sens profond du serment d’avocat : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Je crois malheureusement qu’on en est loin…
J’ai conscience que la charge est dure, et pourra être mal vécue par certains dans le monde du droit. Mais les temps qui s’avancent sont dangereux. Les tempêtes se profilent à l’horizon, et sans sursaut moral collectif, l’attentisme d’aujourd’hui produira bientôt, – s’il n’en produit pas déjà, – de coupables lâchetés. Il n’est pas question de faire les comptes, de distribuer les bons et les mauvais points pour classer les gentils et les méchants. Mais lorsqu’une situation devient critique, il faut se dire les choses, pour favoriser la remise en question et avancer. Oui, il va falloir mettre les mains dans le cambouis, réinvestir les idées politiques, accorder du temps à la compréhension des dynamiques actuelles et accepter d’en parler ! Nous sommes formés à plaider dans le respect du contradictoire, nous devrions bien être capable de débattre sereinement de politique, non ? Alors arrêtons de faire l’autruche ! Qu’on me pardonne mon indélicatesse. J’espère juste que ce message puisse participer à une prise de conscience collective.
Je vais désormais suivre un autre chemin où je le crois, mon engagement contre l’injustice sera plus utile. Je ferai une annonce à ce sujet prochainement.
Merci à tous ceux qui auront pris le temps de me lire

François Boulo, né en 1986 à Évreux, est un avocat français considéré comme l’un des porte-parole, à Rouen et au niveau national, du mouvement des Gilets jaunes.

Situation personnelle

François Boulo grandit à Louviers, dans l’Eure1. Ses parents, qui n’ont pas le bac, tiennent une petite entreprise spécialisée dans la vente de clôtures2. Il considère avoir été « élevé dans une famille gaulliste sociale où le mépris de classe n’existait pas »3. En 2007, il vote pour Nicolas Sarkozy4.

Après des études de droit5, il devient avocat. Inscrit au barreau de Rouen depuis 20121, il est spécialisé en droit du travail6. Il monte son cabinet d’avocat à l’été 20175L’Obs et Le Point3 le décrivent comme un homme fluet et doté d’un certain talent oratoire reconnu par ses pairs ; il est finaliste du concours d’éloquence du barreau de Rouen en 20142.

À partir de 2014, il étudie le budget de l’État français et la dette publique, la création monétaire. Il se dit être influencé par entre autres Emmanuel ToddFrédéric LordonPaul JorionJacques SapirMichel Onfray ou Les Économistes atterrés ; il revoit des débats politiques ayant eu lieu depuis les années 1970 pour s’imprégner de connaissances politiques et économiques3,7, notamment sur l’économie réelle8. Il envisage de publier le fruit de ses recherches dans un livre ayant pour titre Le Réveil citoyen lorsqu’il rejoint le mouvement des Gilets jaunes7. Ce travail aboutit finalement à la publication de son deuxième ouvrage en 2021, Reprendre le pouvoir où il déconstruit cinq dogmes néolibéraux qu’il considère comme une « prison des esprits » : la croissance, la concurrence, la réduction des impôts et des dépenses publiques, la flexibilisation du marché du travail4,9.

Mouvement des Gilets jaunes

Il découvre le mouvement des Gilets jaunes à l’occasion d’un jogging lors de la première manifestation autour d’un rond-point le 17 novembre 2018 et est ensuite invité à prendre la parole lors d’une réunion à Rouen2. Il rejoint le mouvement et est rapidement choisi comme porte-parole10, après que « 200 signatures issues des ronds-points de sa région eurent été apposées sur un document stipulant qu’il avait procuration pour s’exprimer auprès des médias »1. Le 1er janvier 2019, en réponse aux vœux du président de la République, François Boulo publie une lettre ouverte à Emmanuel Macron, dans laquelle il lui expose ses recommandations économiques et sociales pour 201911. Il le presse de prendre en considération la colère et les revendications profondes du mouvement: « Nous vous exhortons à procéder au changement de cap dont notre pays a besoin et que le peuple réclame pour (…) garantir la justice sociale et opérer la transition écologique qui s’impose »; il préconise notamment que « les 1 % les plus riches contribuent à l’impôt à proportion de leurs facultés, avec rétablissement de l’ISF et limitation du crédit d’impôt CICE aux seules PME »1,12.

Il est dès lors invité à intervenir dans plusieurs médias13,14,7 dont LCI le 2 janvier 2019 où il est remarqué pour la clarté de ses propos10 et avoir tenu tête à Patrick Martin, président délégué du Medef15« Les gens veulent que désormais la politique serve les intérêts de 99% de la population, et non des 1% les plus riches. Que vous soyez dans le déni et que vous ne vouliez pas le voir, c’est votre problème »12. Il affirme qu’il n’est pas porte-parole national des Gilets jaunes, estimant qu’un seul représentant des Gilets jaunes n’est ni souhaitable3 car le mouvement est « populaire et protéiforme », ni utile : « Cela ne sert à rien car le pouvoir exécutif ne veut pas négocier. Ce ne sont pas des démocrates, ils ne sont pas là pour écouter ce que l’on dit ; ce sont des technocrates qui sont persuadés d’avoir raison. Nous avons une classe dirigeante qui est aveuglée. Elle ne comprend pas ce qu’il se passe en Angleterre, aux Etats-Unis… Emmanuel Macron a 30 ans de retard, il nous fait le programme de Thatcher des années 1980 »7. Un an plus tard, il reconnaît que si l’absence de représentant national a initialement été une force, elle est devenue un problème car elle n’a pas permis au mouvement de porter un discours clair16.

Dès janvier 2019, il « déplore toutes les violences, qu’elles visent les manifestants, les policiers ou les journalistes »17. Il estime que « le traitement médiatique axé sur la violence dans les manifestations a finalement réussi à retourner une partie de l’opinion publique en poussant les classes moyennes à se désolidariser des gilets jaunes dans leurs formes d’actions. La répression policière et judiciaire a fini le travail en étouffant la colère. » Il accuse le pouvoir actuel de « dérive autoritaire »4. À l’occasion du premier anniversaire du mouvement, François Boulo estime que beaucoup de personnes n’osent plus manifester de peur de perdre un œil, une main ou d’être soumis au gaz lacrymogène18.

Selon le mensuel Capital, il est l’une des rares figure du mouvement à faire l’unanimité en son sein19. Un sondage lancé en janvier 2019 par Éric Drouet sur Facebook pour connaître l’opinion des Gilets jaunes sur leur meilleur représentant médiatique place François Boulo largement en tête20,21; Éric Drouet et Maxime Nicolle lui apportent leur soutien7. Il est, selon le magazine belge Humo, « un représentant atypique des Gilets jaunes, un intellectuel avisé qui traduit mieux que quiconque la rage de la rue »22. Selon le journal néerlandais Algemeen Dagblad23 ou le quotidien belge De Standaard24, il est considéré comme un des penseurs du mouvement de contestation, la « force tranquille derrière les Gilets jaunes ». Selon El Huffington Post, son éloquence lui a assuré une certaine popularité au sein du mouvement et il a été considéré à un moment comme un éventuel interlocuteur entre le gouvernement français et les Gilets jaunes25. Le Huffington Post Italie le décrit comme « le plus apprécié parmi les représentants » des Gilets jaunes26. Selon le quotidien espagnol ABC, il est loué pour son intégrité et sa compétence et devient l’un des porte-parole les plus populaires des Gilets jaunes27.

Le , il lance un appel à rejoindre la grève générale illimitée organisée par le syndicat CGT3,28. Il indique que « sans paralysie de l’économie, les mouvements populaires n’aboutissent pas »1, et pronostique que « si on pose un couvercle par la force, cela réexplosera plus tard ». La vidéo dans laquelle il appelle à la grève générale illimitée, publiée à la mi-janvier par le site Le Média, est vue près de deux millions de fois29.

Lors du grand débat national de 2019, il estime que les participants sont pour la plupart des retraités et de la classe moyenne supérieure, qui constituent selon lui l’électorat de Macron30.

Prises de position

François Boulo se dit sans engagement politique ni syndical6 et sans religion3. Admettant faire partie d’un milieu relativement favorisé, il déclare « défendre les gens menacés de saisie de leur maison contre les banques »3. Il dénonce les « dispositifs fiscaux contreproductifs du gouvernement Macron, au bénéfice des 1 % les plus riches, et au détriment des services publics et des PME »3. Il se considère « pourfendeur d’un gouvernement des ultrariches »3, pensant que c’est ce gouvernement même qui conduit à ce que le phénomène de l’extrême-droite s’amplifie. Pour lui, « le problème n’est pas l’immigré, c’est le banquier, c’est-à-dire l’indépendance de la Banque centrale européenne »3. Il suggère une peine plancher (trois ans de prison ferme) pour les fraudeurs fiscaux et que le crédit d’impôt pour la compétitivité soit réservé aux TPE et PME31.

Souverainiste, il estime que trop de pouvoirs ont été transférés à l’Union européenne23 qu’il qualifie de « prison institutionnelle »4. Il prône « une autre UE »3 et déplore avoir voté « oui » au référendum pour la constitution européenne en 20053,32. En juin 2020, il collabore à la revue Front Populaire, créée par Michel Onfray et Stéphane Simon, et qui se propose de réunir « ceux qui défendent un retour de la politique française, et qui sont des souverainistes de droite et de gauche »33.

Il s’oppose à la formation d’une liste Gilets jaunes aux élections européennes de 2019 car il pense que le Parlement européen n’a pas le pouvoir d’améliorer la vie des gens et qu’une telle liste affaiblirait les partis d’opposition et renforcerait automatiquement le parti au pouvoir34.

En octobre 2019, à la suite d’une proposition faite par Indigène éditions, il publie un manifeste intitulé La Ligne jaune, visant à synthétiser les objectifs du mouvement et à répondre à ses détracteurs6,35,36,37. Dans la foulée, il appelle à une structuration du mouvement et lance une plateforme internet du même nom38 visant à mettre sur pied le premier « référendum d’initiative citoyenne » numérique39. Le site est ensuite remplacé par Le Monde d’après40. En avril 2021, il lance sa chaîne YouTube intitulée Praxis41.

Il estime en mai 2020 que la crise concomitante à la pandémie de Covid-19 est un aboutissement des dénonciations et des principales revendications du mouvement des ronds-points. Selon lui, il faut mener une autre politique : plus juste fiscalement et démocratiquement. Pour cela, il prévoit un rassemblement avec toutes les forces politiques opposées au gouvernement42,43.

En octobre 2020, il est auditionné par l’Assemblée nationale dans le cadre de la Commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre44.

En avril 2021, François Boulo est invité par plusieurs médias tels que France Culture9Marianne45France Info46 ou TV5 Monde47 pour présenter son livre Reprendre le pouvoir – manuel d’émancipation politique.

Publications

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