Affiche antisémite LFI : la faute à Grok ?

C’est donc la faute de Grok. Si LFI a publié sur les réseaux une affiche appelant à une manifestation antiraciste le 22 mars, à l’effigie de Cyril Hanouna, et très clairement inspirée des codes antisémites des années 30 (image de gauche, avec nez crochu, rictus de haine, regard lourdement cerné, visage penché en avant) ; si le mouvement a dû changer ce visuel en catastrophe (image de droite) devant les réactions – notamment la mienne, parmi les premières, mais aussi celles du printemps républicain, et d’innombrables médias et sites de droite et d’extrême-droite- ce n’est la faute de personne. Ou plutôt, donc, a expliqué le député du Val d’Oise Paul Vannier, le 14 avril, sur le plateau de CAVous (France 5), celle de l’intelligence artificielle Grok, sollicitée pour fabriquer l’image.

Coup de chance, Grok appartient à Elon Musk, ce qui permet de limiter le damage control des Insoumis à deux usual suspects idéaux : Musk, et l’IA. La propagande politique a-t-elle le droit d’utiliser l’IA, et notamment celle de Musk ? Question intéressante, mais qui n’est pas la principale, aujourd’hui.

Mais plusieurs questions importantes, posées sur le plateau, restent sans réponse. Quelles consignes ont été données à Grok par les graphistes insoumis, pour aboutir à cette image ? Dessine-moi un Hanouna en colère ? Un Hanouna en colère à la manière d’une affiche antisémite ? Pas de réponse de Vannier. Qui a validé cette image dans le circuit interne ? Pas de réponse. La question ne semble d’ailleurs pas obséder non plus l’équipe de l’émission de France 5, qui s’empresse de détourner l’interview sur un autre sujet : l’utilisation de photos de mediacrates sur les affiches de LFI. Au cours des élections européennes en effet, pour appeler au vote, les Insoumis avaient osé utiliser des photos de Nathalie Saint Cricq ou Pascal Praud, avec le slogan « Ils votent, et vous ? » Idée provocatrice, facétieuse, publicitairement efficace -et condamnée par la Justice-, mais qui n’a rien à voir avec la question posée aujourd’hui par l’affiche Hanouna, et que LFI feint de ne pas voir: l’antisémitisme.

De deux choses l’une en effet. Soit LFI était conscient du caractère antisémite de l’affiche, et l’a tout de même validée par provocation, et c’est dramatique. Soit personne dans la chaîne de décision n’en était conscient, et alors c’est affolant d’inculture visuelle et historique.

Dans sa défense, LFI a trouvé un autre élément de langage, notamment dégainé par Jean-Luc Mélenchon sur France Inter, et à sa suite par toute la mélenchosphère : en matière de caricature de Hanouna, Charlie a fait bien pire. Peut-être, et alors ? Charlie est un journal de caricatures. Personne n’attend de Charlie qu’il se plie à quelque scrupule que ce soit, ou respecte une éthique quelconque. Et sur les pièces à conviction présentées, le parallèle, trait pour trait, avec Le Juif Suss, film antisémite produit sous l’Occupation, apparait moins probant. Mais à chacun de juger.

LFI, c’est sa force, ne recule jamais. Depuis des années, LFI s’est blindée contre toutes les accusations extérieures, notamment les incessants procès médiatiques. Où serait-elle aujourd’hui si elle n’était pas blindée ? Mais sur cet épisode, LFI ne pourra pas faire l’économie d’une vraie enquête, totale, transparente, d’en tirer les conséquences, et de dire lesquelles. LFI le doit aux électeurs de gauche, qui placent tant d’espoir dans le mouvement, et sont en droit de l’exiger exemplaire. LFI le doit à la cause palestinienne, qui a tout à perdre à être soutenue par des mouvements politiques soupçonnables de la moindre complaisance avec l’antisémitisme. LFI le doit à tous ceux, comme moi, qui se battent depuis des années contre les visqueuses accusations d’antisémitisme qui harcèlent injustement le mouvement, amalgamant obsessionnellement critique d’Israël et antisémitisme (encore ces derniers jours face à Guillaume Erner, par exemple), et ont le droit de dire qu’ils refusent de voir aujourd’hui ces efforts réduits à néant.

Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d’Arrêt sur images.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*