
« Clairsemée et sous tension : la drôle d’ambiance du meeting du RN après la condamnation de Marine Le Pen »
Paris, place Vauban – C’est l’une de ces journées où l’on sent, dès les premiers pas sur l’asphalte chauffé par un soleil hésitant, que quelque chose ne tourne pas rond. La sono crache un Patrick Hernandez sorti des limbes – Born to be alive, sérieusement ? – et des drapeaux tricolores sont distribués mécaniquement aux militants descendus des bus affrétés pour l’occasion. Pourtant, à 14h30, soit à peine une demi-heure avant le début officiel du rassemblement, la place Vauban semble sonner creux. Une manifestation « monstre » annoncée tambour battant, mais une foule qui occupe à peine un quart de l’espace.
Les chiffres font déjà débat. Tandis que Jordan Bardella clame à la tribune la présence de « plus de 10 000 personnes », un cadre du RN glisse à demi-mot : « Si une chaîne ose un plan aérien, on est morts. » L’angoisse du vide, celle que ni les téléobjectifs ni les cadrages serrés des chaînes d’info ne parviennent à maquiller totalement.
Un parfum de malaise
Il faut tendre l’oreille pour comprendre ce qui se joue. Dans les allées, les conversations sont courtes, entre certitudes complotistes et regards suspicieux. « C’est une décision politique, pas une décision de justice ! » hurle un militant en chemise blanche, visiblement outré. Marine Le Pen, tout juste condamnée à cinq ans d’inéligibilité, deux ans de prison aménagés sous bracelet électronique, et 100 000 euros d’amende pour l’affaire des assistants parlementaires européens, fait front. Micro à la main, posture martiale : « Je ne lâcherai rien. » Le ton est solennel, mais le fond sonne creux. Le discours peine à masquer la gêne palpable.
Ambiance tendue, jeunesse radicalisée
Au fond de la place, près de la buvette, la jeunesse identitaire et radicalisée tient salon. Certains sont des habitués de Génération identitaire, d’autres se revendiquent de mouvances « patriotes » plus ou moins violentes. Torse bombé, bière à la main, et discours bien rodés contre « l’immigration massive » et « les juges aux ordres ». Plus loin, des Femen surgissent torse nu, scandant « Tolérance zéro pour les fachos ». Elles sont immédiatement plaquées et évacuées manu militari par le DPS, bras armé du RN. La scène est brève, mais électrise la foule. « Viens, on va leur casser la gueule », souffle un jeune homme à son pote. Quelques rires nerveux, des visages crispés. L’ambiance est tout sauf bon enfant.
Une claque visuelle
Ce qui devait être une démonstration de force se transforme peu à peu en mise en scène ratée. Les drapeaux flottent, certes, les slogans fusent, mais l’image d’un parti en ordre de bataille pour 2027 est sérieusement écornée. En toile de fond, les Invalides n’ont jamais semblé aussi immobiles face à cette agitation désordonnée.
À quelques rues de là, un vide-grenier attire plus de badauds que le meeting du RN. Sur l’avenue de Breteuil, des familles pique-niquent, profitent du soleil. Loin de la fureur. À croire que la condamnation de Marine Le Pen n’a pas soulevé l’indignation populaire promise.
Une guerre des images et des symboles
Pendant que Bardella parle de « démocratie exécutée », les opposants répondent par l’ironie. Sur les trottoirs menant à la place Vauban, des pochoirs au sol accueillent les sympathisants : « Rends l’argent », « escrocs », « voleurs ». Difficile de croire à la spontanéité d’un peuple en colère quand ce sont surtout des cars de militants, visiblement fatigués, qui remplissent laborieusement l’espace.
Et puis, à Saint-Denis, au même moment, Renaissance tient sa propre réunion. Gabriel Attal attend la fin du discours de Marine Le Pen pour monter sur scène. L’opération est claire : montrer que la République n’est pas en repli, et que face aux diatribes contre la justice, le camp présidentiel défend l’état de droit.
Une mobilisation en demi-teinte, une légitimité qui vacille
Le RN espérait un baroud d’honneur, une levée populaire contre une prétendue « justice politique ». Il n’a eu qu’un meeting tiède, où la ferveur semblait jouer à cache-cache avec la lassitude. Même les chants patriotiques manquaient d’entrain.
Dans le métro, sur le retour, un vieil homme glisse à sa femme : « Elle a pas dit un mot sur ce qu’elle ferait pour nous si elle était présidente. Juste des juges, des juges, et encore des juges… » Le malaise est palpable. L’enthousiasme s’érode. Et Marine Le Pen, pourtant convaincue qu’elle tient là une preuve de son « martyre républicain », pourrait bien avoir entamé la descente d’un mythe fatigué.
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