
« J’ai vu des morceaux de chair voler en l’air »
du correspondant de Orient XXI à Gaza
« Quand j’ai croisé des gens portant chacun un sac de farine, j’ai su que j’étais arrivé trop tard. Mais ils m’ont dit que d’autres camions allaient passer, pas par la route côtière cette fois, mais dans une rue parallèle, par le quartier Al-Amoudi. J’y suis allé, en même temps que des centaines d’autres. Mais au lieu des camions, nous avons vu arriver un char israélien. J’ai couru me réfugier dans les décombres d’un bâtiment. On était une douzaine à essayer de se cacher là. Le char ne s’est pas arrêté, il a continué sa route, droit devant, vers un autre bâtiment à moitié en ruines, où d’autres personnes s’étaient réfugiées. Il a commencé à tirer. Un deuxième tank est arrivé, il s’est mis à son tour à tirer des obus. Puis un troisième char, mais qui s’est arrêté devant l’endroit où nous essayions de nous cacher.
Il nous avait vus. Le char a tourné son canon vers nous. Trois soldats se tenaient dessus. L’un d’eux a fait signe, avec son fusil M-16, de sortir de notre cache. Il parlait un bon arabe. Je me suis dit que tout allait se passer comme d’habitude : on devrait se déshabiller, pour montrer soi-disant qu’on ne porte pas d’arme, et ils nous laisseront partir. On s’est tous mis en caleçon et on a avancé vers le char. C’est là que la mitrailleuse lourde du tank a commencé à tirer sur les quatre hommes qui étaient juste devant moi. J’ai vu ces gens être coupés en deux par les balles, j’ai vu des morceaux de chair voler en l’air, j’ai vu du sang jaillir partout. C’était épouvantable. J’étais terrifié. J’étais dans un groupe de six ou sept personnes, j’étais le plus jeune et le plus petit, et je me suis caché derrière eux. Je ne savais pas quoi faire d’autre.
Le soldat qui nous avait ordonné de sortir a tiré sur nous avec son M-16. Les hommes qui étaient devant moi tombaient. J’ai ressenti un choc violent à la poitrine et je suis tombé par terre. Je me suis dit tout de suite qu’il fallait faire le mort, parce que le soldat voulait vraiment tuer tout le monde. J’avais peur qu’il tire encore pour m’achever. Je sentais du sang qui coulait de ma bouche et de ma poitrine, et aussi de mon dos. Et puis j’ai entendu des chuchotements, j’ai compris que c’étaient deux hommes qui étaient restés cachés dans les décombres. Les Israéliens ne les avaient pas vus. Ils me disaient tout bas qu’ils ne voulaient pas sortir, et de continuer à faire le mort, parce que sinon le soldat allait revenir me tuer. Je suis resté par terre. Les trois chars encerclaient l’autre bâtiment, et tiraient de temps en temps. »
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