Dossier: Des propositions chocs pour maîtriser les arrêts maladie

French Prime Minister Edouard Philippe arrives for a meeting with French president, on December 10, 2018 at the Elysee palace in Paris, as part of consultations in search of a way to end the so called "Yellow vests" crisis. (Photo by ludovic MARIN / AFP)

LR: Plus l’âge de la retraite est tardif, plus les travailleurs ont la santé fragile… Pendant les « gilets jaunes » le travail de destruction continue…

SOLVEIG GODELUCK Le 20/02/2019
Après cinq mois de travaux et de consultations, la mission Bérard-Oustric-Seiller a remis ce mercredi son rapport au Premier Ministre, Edouard Philippe. – Ludovic Marin/AFP

La mission Bérard-Oustric-Seiller préconise, dans un rapport publié ce mercredi de simplifier le système d’indemnités journalières et de le rendre plus juste. Une concertation va s’ouvrir et pourrait déboucher sur une négociation d’ici à l’été.

Un jour de carence « d’ordre public », c’est-à-dire gravé dans la loi et ne pouvant pas être compensé financièrement, pour tous les salariés en arrêt-maladie.  C’est la mesure la plus sensible  parmi les propositions de réforme du système d’indemnités journalières formulées par la mission Bérard-Oustric-Seiller. Ce trio composé d’un DRH, d’un médecin généraliste et d’un ancien patron de caisse de Sécurité sociale a remis, ce mercredi, son rapport au Premier Ministre, après cinq mois de travaux et de consultations.

Matignon veut ouvrir une concertation avec les partenaires sociaux sur la base de ce rapport et de celui de la députée LREM Charlotte Lecoq, sur la refonte de l’organisation de la santé au travail. Ils devront « se positionner d’ici l’été », et  décider ensemble de ce qu’il faut négocier.

Economiser sur les arrêts longs

L’idée, c’est de « ne rien forcer maintenant », explique-t-on dans l’entourage d’Edouard Philippe. Le gouvernement  cherche depuis l’été à contenir une dépense d’arrêts maladie d’environ 7,5 milliards d’euros par an, en hausse de près de 5 % par an.

Les trois rapporteurs ne proposent pas que des économies, et veulent concentrer ces dernières sur certains arrêts. « Si on s’intéresse à la dépense, il faut regarder les arrêts longs », explique Stéphane Seiller. Un quart des arrêts durent plus d’un mois, mais ils monopolisent 82 % des remboursements.

Rationaliser la gestion des arrêts courts

Néanmoins, du côté des arrêts courts, la Sécurité sociale pourrait réaliser des économies de gestion en simplifiant le calcul des droits. Et en profiter pour rendre le système d’indemnisation plus équitable.

Le jour de carence d’ordre public est ainsi présenté comme une façon de mettre les salariés du privé à égalité avec les fonctionnaires. Ces derniers n’ont pas de possibilité de voir leur premier jour d’arrêt maladie pris en charge. Alors que dans le privé, 60 % à 70 % des trois jours de carence sont compensés au salarié malade via des accords de prévoyance signés au sein des branches professionnelles.

Constatant que « l’ensemble des organisations de salariés est hostile »à la mesure, la mission « suggère que cette hypothèse ne soit envisagée que comme contrepartie à des évolutions permettant une meilleure prise en charge de certaines populations de salariés non couvertes par le complément employeur ».

Compensation par l’employeur

Ainsi, la mission veut permettre à neuf millions de salariés, dont ceux qui ont moins d’un an d’ancienneté, les CDD, ou aides à domicile employées par un particulier, de bénéficier d’une compensation par l’employeur de la perte de salaire liée au congé maladie. En effet, la Sécurité sociale indemnise le salarié à hauteur de 50 % du brut à partir du quatrième jour. Depuis 1978, les entreprises sont tenues de compléter à hauteur de 40 % pendant le premier mois… sauf exception. Cette extension du complément employeur devrait faire l’objet de négociations préalables avec les partenaires sociaux.

Côté simplification, les rapporteurs préconisent de forfaitiser l’indemnité journalière versée par la Sécurité sociale. Alors que son montant est aujourd’hui proportionnel au salaire et plafonné à 0,9 SMIC, il pourrait être de 0,7 SMIC pour tous. Le complément employeur serait modulé de sorte de garantir à tous les salariés le maintien d’au moins 90 % de leur salaire, comme aujourd’hui. Mais les entreprises devraient aussi faire des efforts pour s’aligner sur la Sécurité sociale : indemnisation des salariés en CDD, 3 jours de carence au lieu de 7.

« Cette mesure, neutre pour la Sécurité sociale, représenterait une économie directe pour toutes les entreprises dont le salaire moyen est inférieur au double du forfait », et « un allègement massif des coûts de gestion », vante la mission. En échange, les entreprises pourraient s’engager à avancer systématiquement à leurs salariés les montants remboursés par l’assurance-maladie (« subrogation »). La moitié d’entre elles le font aujourd’hui.

PLUS DE PRÉVENTION DEMANDÉE

Pour réduire le risque et les coûts des arrêts longs, il faut plus de prévention. La mission évoque une modulation des cotisations patronales pour les entreprises mieux-disantes, comme pour les accidents du travail. Plus de coordination entre médecins généralistes, du travail, ou de la Sécurité sociale serait aussi souhaitable. De même qu’un développement des alternatives telles que l’adaptation de poste, le télétravail ou le mi-temps thérapeutique.

Solveig Godeluck
@Solwii

Pourquoi les arrêts de travail coûtent de plus en plus cher

SOLVEIG GODELUCK Le 20/02/2019
Les arrêts maladie coûtent 7 milliards d'euros 2016.
Les arrêts maladie coûtent plus de 7 milliards d’euros depuis 2016. – Patrick ALLARD/REA

Les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale ont encore augmenté de 4,9 % en 2018, à 10,8 milliards d’euros. Une forte hausse imputable à la croissance de la masse salariale et au vieillissement des actifs.

L’année dernière, 10,8 milliards d’euros d’indemnités journalières ont été versés par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) à des salariés malades ou en congé maternité. Ce montant marquait une hausse de 4,9 % par rapport à 2017. Soit une progression encore plus forte qu’au cours des deux années précédentes (4,7 % en 2017 et 3,8 % en 2016). Un véritable dérapage, le double de la croissance globale des dépenses d’assurance-maladie pendant la même période.

Comment expliquer une telle envolée ? On a pu croire, au plus fort de la crise financière, voilà dix ans, que la vague retomberait avec la reprise économique. Il n’en a rien été. Le haut niveau d’arrêts maladie (7,4 milliards d’euros en 2017, contre 6 milliards en 2009) semble être devenu structurel.

Accepter de payer plus cher

L’année dernière, la CNAM a tenté une explication , après avoir invité les médecins à modérer leurs prescriptions sans parvenir à infléchir la tendance. L’envolée des dépenses d’indemnités journalières « peut être la conséquence des réformes des retraites », a-t-elle estimé. Plus l’âge de la retraite est tardif, plus les travailleurs ont la santé fragile. La part des plus de 60 ans est passée de 4,6 % des montants indemnisés en 2010 à 7,7 % en 2016. Ces travailleurs seniors s’arrêtent plus longtemps que des juniors en bonne santé : 76 jours en moyenne pour les plus de 60 ans, contre 33 jours pour l’ensemble des salariés.

Au Medef, on a pris acte de cette évolution. Certains estiment qu’il faut accepter de payer plus cher pour les arrêts maladie, si cela permet de retarder l’âge légal de départ à la retraite, et donc de favoriser la compétitivité française et l’équilibre financier des régimes de retraite.

La mission Bérard-Oustric-Seiller, qui a rendu son rapport ce mercredi, explique elle aussi le dérapage des arrêts maladie par le vieillissement des salariés, lié à la fois à l’évolution démographique générale et aux réformes. Elle estime en outre que 50 % à 60 % de l’augmentation des indemnités journalières tiennent à la croissance de la masse salariale du secteur privé, comprise entre 2 % et 4 % par an depuis 2014-2015.

La conjoncture économique joue dans les deux sens . D’un côté, les salariés qui doivent s’accrocher à leur poste en période de licenciements massifs peuvent tirer sur la corde et tomber malades. De l’autre côté, ceux qui retrouvent un emploi grâce à la reprise vont potentiellement grossir les statistiques des arrêts de travail potentiels, alors qu’au chômage, leur maladie serait passée inaperçue.

Cependant, quand l’emploi redécolle, l’envolée des indemnités journalières va de pair avec l’augmentation des cotisations sociales. Un lot de consolation pour la Sécurité sociale.

Pourquoi les arrêts de travail coûtent de plus en plus cher
Solveig Godeluck
@Solwii

L’emploi repart, les arrêts maladie s’envolent

Solveig Godeluck – 

Les dépenses d’indemnités journalières de l’Assurance-maladie ont bondi de 8 % en janvier et de plus de 5 % sur les douze derniers mois.

C’est un chiffre inquiétant. En janvier, les dépenses d’indemnités journalières versées par le régime général d’assurance-maladie pour les risques maladie et professionnels ont grimpé de 8 % par rapport au même mois de 2017. Certes, le mois de janvier 2017 était un peu en retrait. Mais la tendance de long terme est, elle aussi, orientée fortement à la hausse. Sur les douze derniers mois, les arrêts de travail ont coûté 10,3 milliards d’euros au régime général, un montant en croissance de 5,2 % en données corrigées des jours ouvrables. Alors que les remboursements de soins doivent, selon l’objectif légal, être contenus à 3,2 % de progression annuelle. La hausse provient pour deux tiers d’un plus grand nombre de jours d’arrêt et pour un tiers d’indemnités plus élevées.

Un outil statistique inadapté

Pourquoi les arrêts de travail caracolent-ils dans les statistiques ? La précédente majorité était déjà très ennuyée par ce problème. Les indemnités journalières augmentent plus vite que la dépense de santé depuis 2014. Les spécialistes avancent un faisceau d’explications, dont aucune n’émerge. Est-ce la faute de la crise économique, qui pousse les salariés à tirer sur la corde jusqu’à ce qu’elle rompe, plutôt que d’avouer une faiblesse passagère ? Ou au contraire de la récente reprise de l’emploi, qui accroît la population pouvant bénéficier d’un arrêt de travail ? Le décalage de l’âge de la retraite à 62 ans pourrait aussi avoir changé la donne, en multipliant le nombre de seniors actifs. Certains employeurs sont même soupçonnés de ressusciter la pratique des retraites anticipées via des arrêts de longue durée.

Un rapport des Inspections des finances et des affaires sociales a conclu l’été dernier que l’outil de prévision de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) était inadapté aux temps modernes et qu’il allait falloir y intégrer de nouveaux indicateurs, tels que les motifs des arrêts, l’évolution de la politique de contrôle ou l’impact des réformes des retraites. En attendant, la Cnam a lancé il y a trois ans un plan pour sensibiliser les médecins : avant de passer aux méthodes coercitives (mise sous autorisation préalable avant de prescrire), elle propose des « entretiens confraternels » aux gros prescripteurs pour faire évoluer leur pratique. Elle leur rappelle les durées recommandées pour une angine, un lumbago, etc.

Délit statistique et burn-out

Ce « harcèlement «  des caisses a le don d’exaspérer Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France. « C’est du délit statistique, dénonce-t-il. Et si vos patients sont plus âgés que la moyenne ? » Quant aux référentiels de durée d’arrêt, il en rit : « Si on les appliquait, les dépenses exploseraient ! Pour avoir la paix avec leur caisse primaire d’assurrance-maladie beaucoup de médecins prescrivent trois jours quand il en faudrait cinq. »

Selon lui, il n’y a pas de doute, le principal suspect dans l’affaire de la hausse des indemnités journalières, ce ne sont ni les médecins complaisants ni des patients abusifs, mais des conditions de travail dégradées : « Je les vois, les cadres qui sont pendus à leur téléphone, leur mail, qui ne déconnectent ni le week-end ni en vacances, et qui un jour, épuisés, fondent en larmes devant la porte de leur entreprise, en burn-out. Sans compter ceux qui passent trois heures par jour dans les transports « , raconte ce professionnel, qui exerce en Seine-Saint-Denis.

L’envol des arrêts maladie donne en tout cas du grain à moudre aux députés qui demandent que les pathologies psychiques liées à l’épuisement professionnel soient reconnues comme maladies professionnelles. Elles sont en pleine expansion. Leur coût serait alors financé par les seuls employeurs et les plus négligents devraient payer plus cher.


Le burn-out revient en débat à l’Assemblée

Solveig Godeluck  

Le député François Ruffin a défendu en commission une proposition de loi pour que les pathologies psychiques liées à l’épuisement professionnel soient reconnues comme des maladies professionnelles.

Le moment est bien choisi. Une semaine après la publication de chiffres-chocs par l’assurance-maladie sur les affections psychiques liées au travail, le groupe La France Insoumise (LFI) a présenté ce mercredi une proposition de loi sur le burn-out. En commission des Affaires sociales, le député François Ruffin a demandé la reconnaissance comme maladie professionnelle, non pas du burn-out lui-même, car il ne s’agit pas d’une maladie, mais des pathologies psychiques résultant de l’épuisement au travail : dépression, stress post-traumatique, anxiété généralisée…

En 2016, seules 596 affections psychiques ont été reconnues comme maladies professionnelles. Or selon le député, le burn-out toucherait plutôt entre 200.000 et 500.000 personnes par an. Les victimes partent en arrêt maladie. Au mieux, on fait passer cela pour un accident du travail (10.000 reconnus chaque année pour les affections psychiques), même s’il n’y a pas d’accident à proprement parler. En fin de compte, le coût du burn-out pour la société « se chiffre en milliards d’euros « . Or si l’assurance-maladie a un arsenal répressif pour contrôler les médecins prescripteurs et les patients qui abusent d’arrêts de travail, il n’y a « pas de contrôle sur les entreprises pour les dépressions en série « , regrette François Ruffin.

L’exemple américain

« Nous pouvons mettre un coup d’arrêt à ces troubles psychiques causés par le travail « , a-t-il exhorté, appelant les députés à faire « dès aujourd’hui ce premier pas ». L’inscription au tableau des maladies professionnelles permettrait de faire payer les entreprises qui ne font pas l’effort de protéger leurs salariés contre un stress insupportable. Les maladies professionnelles sont en effet prises en charge par la branche « Risques professionnels » de la Sécurité sociale, quasi-exclusivement financée par les employeurs, contrairement à la branche « Assurance-maladie », au financement mixte.

Sanctionner les employeurs peu regardants, ça marche, a argumenté le député. Aux Etats-Unis, le coût de l’assurance payée par les entreprises pour faire face aux risques psychosociaux a augmenté entre 1985 et 1994, ce qui en retour les a incitées à développer la prévention. Au bout du compte, grâce à ces efforts, elles sont parvenues à modérer la facture d’assurance. « Cela prouve que le discours du « On ne peut rien faire » est faux », a montré François Ruffin, en citant l’économiste Philippe Askénazy : « C’est la désorganisation des entreprises qui serait à la base de leur dangerosité « .

Rejet en commission

Ce n’est pas la première fois qu’un parlementaire cherche à faire progresser la reconnaissance du burn-out. Le socialiste Benoît Hamon a défendu l’idée en 2015 puis en 2016, à l’occasion du vote des lois Rebsamen puis El Khomri. Mais les avancées ont été très limitées. Un rapport d’information parlementaire a également été publié en 2017. La proposition de loi de La France insoumise ce mercredi a été rejetée en commission, la majorité préférant attendre les conclusions de la mission parlementaire sur la santé au travail initiée par le gouvernement. Guillaume Chiche (LREM) a toutefois « remercié «  François Ruffin d’évoquer « ce sujet de société majeur « .

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