Une opération policière et la mort d’un homme…

« En pleine nuit. Des coups. De matraque, à la volée. De pied. Un taser qui crépite. Des grenades qui explosent. La terreur. Une grenade atterrit dans une gerbe d’étincelles sur les épaules d’un homme trébuchant. Des ogives en plastique dur de lanceurs de balles de défense fusent dans l’obscurité. Un chien berger malinois aboie et se cabre comme un ressort sous l’impulsion du policier le tenant en laisse. C’est la Fête de la musique du Président-Wilson »

Au standard du nouveau vocabulaire, les violences exercées par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions ne seraient pas des violences policières, des personnes mourant suite à des actes de policiers dans l’exercice de leurs fonctions ne seraient pas des personnes tuées par la police, l’armement militaire de policiers ne serait pas une militarisation de la police, etc.

Sans oublier que le vocable « forces de l’ordre » ne dit rien de cet étendard, qui n’a que peu à voir avec la démocratie, l’égalité ou la liberté.

L’ordre contre les revendications des salarié·es, l’ordre contre les révoltes de décolonisation, l’ordre et la rafle de milliers de personnes hier considérées comme juives, l’ordre d’octobre 61 et les manifestant·es pacifiques tué·es et jeté·es dans la Seine, l’ordre contre le droit de manifester, l’ordre contre la liberté de circulation et d’installation…

Un ordre policier jamais réellement épuré, ni après les fusillades de grévistes, ni après la seconde guerre mondiale et la collaboration, ni après la guerre contre les algérien·nes dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ni après les affaires de corruption, ni après les violences sexuelles, ni après les actes quotidiens de racisme. Un ordre d’hommes, déguisés en personnages de film de science-fiction, armés comme pour faire la guerre…

Nous sommes ici bien au cœur du maintien de l’ordre ; l’ordre aussi de l’exploitation des forces de travail et de la défense de la propriété privée lucrative, des fraudeurs fiscaux, de la corruption politique active, des financement occultes de partis politiques, des relations troubles avec les dictatures, des « conflits d’intérêts » ; l’ordre des trafiquants d’armes et des trafics d’êtres humains (de la traite négrière à la traite prostitutionnelle), l’ordre des « troussages de domestique », l’ordre des pédocriminels et des violeurs, l’ordre de la supériorité « raciale » revendiquée au fronton de nos écoles (les-guenilles-colonialistes-accrochees-a-nos-ecoles/) ; l’ordre des statues honorant des galonnés et des sabreurs, des criminels de guerre et des assassins…

« Steve Maia Caniço s’est noyé à 24 ans ». La formule dissimule les agissements d’autres personnes, leurs responsabilités. La violence du fait masque les violences qui concoururent à ce qu’un jeune homme meurt dans la Loire.

Nicolas Mollé nous parle de Steve, de sa mort, de la Fête de la musique, des milliers de noctambules, des décibels et de musique, de fonctionnaires de police, des agents de la Brigade anticriminalité (BAC), des grenades lacrymogènes, « le gaz lacrymogène a aveuglé et privé de réflexes coordonnés les noctambules », du Flash-Ball ostentatoire, de nasse policière…

L’auteur détaille, entre autres, les enquêtes qui se chevauchent, « Pas moins de huit enquêtes vont être menées concernant l’opération policière du quai du Président-Wilson qui a abouti à la mort de Steve Maia Caniço », des articles du média indépendant Nantes révoltée, d’autres morts et le déni des violences policières…

Nicolas Mollé évoque chaleureusement de Steve, en épelant – comme autant de sous-chapitres – les lettres qui composent son prénom.

Il contextualise les événements, parle de ceux qui donnèrent les ordres, fait le lien avec d’autres violences : contre des soirées techno, des Gilets jaunes, la Zac de Notre-Dame-des-Landes, les manifestations contre la Loi travail…

Un commissaire divisionnaire, un préfet, des responsables, « Tout le monde sait qui a tué Steve »…

Une histoire nantaise, le temps long des luttes ouvrières, le syndicalisme révolutionnaire, les troubles de 1927, les années cinquante et le développement d’un nouveau prolétariat, les racines des grèves de 1955, Nantes et Saint-Nazaire, les nuits rouge de 68, le teknival du Carnet, les mobilisations anti-nucléaires, les fest-noz, la mythologie techno, le Quai du Président-Wilson, « L’irréparable, c’est Steve, qui n’en réchappe pas et qui tombe, avec d’autres gens fatigués et étourdis par le gaz lacrymogène, dans la si dangereuse Loire »…

Nantes, un laboratoire du maintien de l’ordre, des drones et des grenades, des armes particulièrement offensives et des appareillages très intrusifs, des armes innovantes « couplées, associées, combinées entre elles », le large éventail répressif contemporain français, le LBD et ses balles en plastiques dur éborgnantes, les grenades explosives, les marchés juteux pour des fabricants d’armes, l’au-delà du seuil de la douleur auditive, les grenades de désencerclement et les mutilations, les « baqueux », le développement et le réagencement « des dispositifs des répertoires de la domination coloniale », la doxa néolibérale, les classes dangereuses, le modèle « contre-insurrectionnel », les canons à eau, les canons à gaz, la question de l’« automisation de la police »…

En conclusion, Nicolas Mollé nous invite à réfléchir sur les empilements législatifs liberticides, l’institution policière, l’éventail des équipements répressifs, l’arbitraire de l’Etat, la police et la démocratie…

Nicolas Mollé : Tout le monde sait qui a tué Steve

Editions Syllepse, Paris 2020, 168 pages, 10 euros

https://www.syllepse.net/tout-le-monde-sait-qui-a-tue-steve-_r_25_i_831.html

Didier Epsztajn

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