Le point sur l’affaire des faux steaks hachés distribués aux plus démunis

A volonteer of the 'Restos du Coeur' (Restaurants of the Heart), a French charity association which distributes food to the needy, gives food in Saint-Lo on November 29, 2018. - The Restos du Coeur are launching their winter campaign for food distribution to those in the need. (Photo by CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Une entreprise française fournissait de «faux steaks hachés», fabriqués en Pologne, à des associations distributrices d’aide alimentaire. Retour sur les zones d’ombre de cette affaire qui voit intervenir de nombreux acteurs en France, à Bruxelles et en Pologne.

Mais qui est responsable du nouveau scandale alimentaire qui oppose l’État, des entreprises françaises, un fournisseur polonais et des associations d’aide aux plus démunis? Révélée vendredi 7 juin, cette affaire de steaks hachés de mauvaise qualité soulève plusieurs questions. Nous faisons le point.

● Le FEAD, qu’est-ce que c’est?

Les steaks avaient été achetés dans le cadre d’un marché financé par le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), un programme doté d’un budget de 557 millions d’euros en 2018 et chapeauté par Bruxelles. Il «soutient les actions menées par les pays de l’UE pour apporter une aide alimentaire et/ou une assistance matérielle de base aux plus démunis». Objectif: faire sortir ces personnes «de la pauvreté et de l’exclusion sociale».

» LIRE AUSSI – Des centaines de tonnes de «faux steaks hachés» distribuées aux plus démunis

Si la répartition des fonds par pays est validée par la Commission européenne, le fléchage vers les organisations partenaires est contrôlé par les États: ils sont donc «libres de choisir […] le type d’aide qu’ils souhaitent apporter […] et comment ils se procurent et distribuent les produits», notamment alimentaires. De plus, la nourriture fournie aux associations peut être achetée soit par les «autorités nationales», qui se chargent ensuite de la livrer aux ONG – ce qu’a fait l’État français ici -, soit par ces dernières, qui reçoivent alors juste l’aide financière du fonds européen.

En 2016, par exemple, le FEAD a représenté 68,6 millions d’euros transmis par Bruxelles à l’État français, qui ont permis d’acheter 80.176 tonnes de nourriture, nourrissant 4,39 millions de personnes. Le FEAD finance aussi un tiers des produits distribués par les Restaurants du cœur en France. Le programme bénéficie principalement aux femmes, aux personnes sans abri et aux migrants.

● Comment est sélectionnée la nourriture de la FEAD?

Chaque année, la France réalise des appels d’offres grâce aux fonds de la FEAD pour obtenir une quantité importante de nourriture au meilleur prix auprès de fournisseurs. Comme l’a souligné Marianne, l’appel d’offres incriminé date de février 2018. Consistant en plusieurs lots pour une valeur totale hors TVA de 76,43 millions d’euros, il est géré par l’établissement public France AgriMer et comporte des denrées variées à destination des associations, allant des coquillettes au beurre en passant par… les steaks hachés de boeuf.

Ces derniers sont divisés en trois lots, pour un montant total de 5,23 millions d’euros. Les différents appels d’offres sont ensuite attribués aux entreprises sur la base de plusieurs critères: l’élément «dominant» reste le prix, mais d’autres aspects, comme la qualité des produits, sont aussi regardés, précise France AgriMer, qui explique qu’un «cahier des charges» encadre strictement cet aspect. Par exemple, le niveau de qualité des produits attendu correspond à un «standard d’une gamme «marque distributeur +».

● Qui est responsable de cette faute?

C’est ce que l’enquête devra démontrer. Il existe un large réseau d’acteurs dans cette affaire: le fonds européen FEAD fournit l’argent à l’Etat, qui a confié à France AgriMer l’organisation d’un appel d’offres pour obtenir des biens alimentaires. Celle-ci a finalement acheté les steaks à une entreprise française, laquelle s’approvisionnait en viande auprès d’un industriel polonais. Un second groupe hexagonal «semble avoir servi d’intermédiaire» pour l’achat, précise la DGCCRF. Les dirigeants de ces deux groupes français ont déjà été entendus par les enquêteurs, qui comptent poursuivre leur travail en Pologne chez le fournisseur.

Dénonçant une «fraude non seulement choquante» mais aussi «moralement inqualifiable», la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, a précisé que des poursuites seraient engagées contre les responsables.

Faux steaks hachés: «C’est du pénal, on va transmettre au procureur» (Agnès Pannier-Runacher) – Regarder sur Figaro Live

Faux steaks hachés : «C’est du pénal, on va transmettre au procureur» (Agnès Pannier-Runacher)
La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances a annoncé sur RTL des poursuites judiciaires, après la livraison de 780 tonnes de faux steaks hachés à des associations.

● Qui doit contrôler la qualité de la viande?

Pour la Commission européenne, «c’est aux autorités nationales de garantir la qualité de l’alimentation». Elle renvoie donc la balle à Paris. Responsable du pôle alimentaire des Restaurants du cœur, Denis Lacrampe explique que le gros du contrôle est réalisé par l’acheteur, autrement dit, l’Etat. France AgriMer confirme cette information, et explique que les produits sont d’abord «autocontrôlés par le titulaire du marché, qui doit réaliser des études sanitaires auprès d’un laboratoire agréé avant que les denrées soient distribuées aux associations». Ces vérifications ne portent toutefois pas sur la composition des produits: ce dernier aspect ne sera en effet contrôlé qu’à posteriori par les services de l’État, après distribution aux associations, via des échantillons récupérés dans des lots. «On pourrait peut-être contrôler la composition a priori, mais vu les volumes importants et les délais courts de livraison aux associations, cela serait très compliqué», se justifie l’établissement public.

Les associations effectuent aussi un contrôle visuel à la réception des biens. Aux Restos du coeur, ainsi, les denrées achetées via le FEAD par l’État sont d’abord stockées dans des entrepôts frigorifiques loués par l’association. Le contrôle de la qualité se fera en aval, quand les produits sont transportés dans les centres de distribution des Restos: là, ils doivent être vérifiés par les bénévoles et le référent hygiène et sécurité alimentaire du site.

«Par rapport aux grandes quantités que nous recevons, il s’agit seulement du deuxième problème de ce type, après des steaks hachés polonais contenant de la salmonelle, en 2015», tempère Denis Lacrampe, qui souligne la rapidité de la réaction des bénévoles face à des produits de mauvaise facture. «En deux semaines, ils avaient décelé le problème, nous avions fait des tests auprès d’un organisme indépendant, puis, en accord avec les autres associations concernées, nous avons remonté ces informations auprès des services de l’État», explique-t-il.

● Quelles suites juridiques faut-il attendre?

Une fois l’enquête terminée, Bercy va transmettre ce dossier au procureur, afin d’envoyer un message de fermeté aux entreprises: «les faits mis en évidence sont susceptibles d’être qualifiés de tromperie en bande organisée, ce qui constitue un délit pénal» sévèrement réprimé, précisent les services de l’État. «C’est du pénal, on va jusqu’à deux ans de prison, plus d’un million d’euros d’amendes», rappelle Agnès Pannier-Runacher. De son côté, la Commission européenne a martelé sa «politique de tolérance zéro en ce qui concerne la fraude».

«Les sanctions financières associées à un non-respect des critères du cahier des charges sont dissuasives», précise France AgriMer, allant jusqu’à 5% du montant du marché. En l’espèce, l’entreprise française incriminée pourrait payer une sanction de 260.000 euros, selon l’administration, en parallèle de la procédure pénale qui a été engagée par la DGCCRF pour «fraude».

● Comment ont réagi les associations?

D’après les services de l’État, «les analyses microbiologiques conduites montrent qu’il n’y a pas de danger pour la santé des consommateurs». En d’autres termes, les steaks hachés déjà consommées par les personnes aidées ne sont pas dangereux. Reste que les organisations concernées sont scandalisées: dans un communiqué commun, les Banques alimentaires, la Croix Rouge, les Restaurants du Cœur et le Secours populaire ont demandé une «compensation financière» pour les troubles occasionnés, ainsi que le remplacement des steaks de mauvaise qualité.

A l’échelle locale, le renvoi de cette viande risque d’engendrer à la fois méfiance et problèmes d’approvisionnement. Selon La Voix du nord, les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais du Secours populaire doivent désormais faire à nouveau appel aux dons pour compenser la viande perdue.


Des centaines de tonnes de «faux steaks hachés» distribuées aux plus démunis

Steaks hachés (photo d'illustration)

Une entreprise française fournissait de «faux steaks hachés», fabriqués en Pologne, à des associations distributrices d’aide alimentaire.

La filière de la viande française se trouve une nouvelle fois en proie à une fraude de grande ampleur. Dans le cadre du Fonds européen d’aide au plus démunis (FEAD), La Croix Rouge, Les Restos du Cœur, le Secours Populaire Français et la Fédération française des banques alimentaires avaient commandé cette année pas moins de 1500 tonnes de steaks hachés pour 5,2 millions d’euros, a détaillé la direction de la répression des fraudes (DGCCRF), dont 780 tonnes ont été effectivement distribuées, selon les informations de la radio RTL. Mais au mois de février dernier, les associations ont émis des doutes sur la qualité de la viande qui leur avait été livrée : le goût, la couleur et la texture des steaks hachés ne leur paraissaient pas habituels. Face à ce constat, la distribution a été suspendue et des analyses ont été menées par les enquêteurs de la DGCCRF.

Faux steaks hachés : «C’est du pénal, on va transmettre au procureur» (Agnès Pannier-Runacher)
La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances a annoncé sur RTL des poursuites judiciaires, après la livraison de 780 tonnes de faux steaks hachés à des associations.
Verdict : les échantillons prélevés présentaient des «non-conformités aux règles encadrant la qualité de ces produits» : les steaks livrés ne contenaient pas de la viande mais du gras, pas du muscle mais de la peau. Le tout était mixé avec du soja et de l’amidon, des produits non-autorisés dans des steaks hachés. La présence de «viande transformée» a également été détectée.

Ces matières premières, de très mauvaise qualité, ne présentent heureusement aucun danger pour la santé. Le fournisseur français a malgré tout écoulé près de 7 millions de steaks hachés. Selon les informations de l’enquête, celui-ci s’approvisionnait auprès d’un industriel polonais, et une autre entreprise française semblait avoir servi d’intermédiaire, peut-on lire dans le communiqué de la DGCCRF. Le nom de la société française responsable de la vente n’a pas été dévoilé mais elle encourt jusqu’à 2 ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende pour «tromperie et fraude en bande organisée».

Dans un communiqué commun, les associations caritatives saluent «la vigilance et la réactivité des associations et de leurs bénévoles» qui «ont permis de déceler les anomalies dès qu’elles ont été constatées». Elles indiquent également avoir «demandé (aux pouvoirs publics) une compensation financière pour faire face aux frais de stockage engendrés par cette situation».

«Il est hors de question que ce type d’attitude se reproduise»

Invitée sur RTL ce matin, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances,a annoncé que l’État allait saisir la justice. «Il est hors de question que ce type d’attitude se reproduise». Cette volonté de transparence, «c’est un message envoyé aux entreprises : c’est du pénal, on va jusqu’à deux ans de prison, plus d’un million d’euros d’amende. On va transmettre au procureur», a-t-elle assuré.

La secrétaire d’État, a aussi dénoncé «le flou entretenu par les intermédiaires, qui sans mentir laissent penser que c’est (la viande, ndlr) français, c’est correct. C’est très choquant comme approche», poursuit Agnès Pannier-Runacher, qui souhaite que le fournisseur polonais de cette viande soit désormais contrôlé par les autorités de son pays, «pour prolonger l’enquête». Les autorités françaises ont annoncé hier avoir saisi les autorités polonaises via le réseau «Food fraud» pour prolonger l’enquête en Pologne.

L’industrie de la viande est régulièrement concernée par des scandales alimentaires. De l’affaire Spanghero à la viande polonaise frauduleuse, la confiance des consommateurs s’est progressivement détériorée.

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire