Témoignage d’un chômeur, partie 1

Par ce premier texte, je ne prétends ni à l’exhaustivité, ni à l’objectivité ni à la représentativité de l’ensemble des indemnisés, ou non, qui pointent non plus dans leur agence pour l’emploi mais sur le site dédié aux inactifs : pôle-emploi.fr.

Par ce premier texte, je ne prétends ni à l’exhaustivité, ni à l’objectivité ni à la représentativité de l’ensemble des indemnisés, ou non, qui pointent non plus dans leur agence pour l’emploi mais sur le site dédié aux inactifs : pôle-emploi.fr.

Ce texte répond à un besoin d’expression dans un cadre sociétal ou l’inactif, le chômeur, l’assisté, est considéré comme un objet de réflexion, de prise en charge, de mécontentement, d’opprobre ou de dégoût mais non un sujet un part entière, autonome, capable et indépendant, hormis lorsqu’il s’agit de le culpabiliser.

A l’heure où une réforme de l’assurance chômage est en préparation, à l’heure où la ministre du Travail (non de l’emploi et du chômage) Muriel Pénicaud, présente comme argument principal à cette réforme, qui prône la dégressivité des allocations, des indemnisés qui toucheraient plus en situation d’inactivité, d’oisiveté, qu’en se rendant au travail (environ 15 00 personnes, majoritairement cadres supérieurs, comparés à la masse des sans-emploi), il me semble nécessaire, au moins personnellement, de proposer un regard, un témoignage de ce qu’être au chômage signifie.

Il semble aussi crucial de remettre en question la notion d’inactivité, qui sous-entend une non-participation à la vie économique du pays, l’absence de contribution sociale dans une organisation où l’utilité de l’individu se définit par sa fonction, sa profession, son niveau d’étude, la qualité des études accomplies, son parcours. En somme son Curriculum Vitae, ou comment la vie de la Cité s’en trouve réduite à la seule participation à un contexte économique pourtant largement défavorable à cette intégration.

Une situation d’injonction paradoxale dans laquelle les individus sont plongés : l’injonction faite, quel qu’en soit le prix, de s’intégrer à un marché de l’emploi concurrentiel et brutal qui n’offre qu’un nombre de débouchés limités.

Dans ce texte, je parle de moi, je parle, un peu, des autres, de mon, de notre, rapport au monde, à la société, au marché du travail et aux forces contraignantes face auxquelles on s’adapte, bon gré mal gré, aux injonctions qui nous sont faites, aussi vaines soient-elles mais qui pourtant sont des conditions sine qua non de notre survie.

 Chômage

Pôle emploi : par téléphone ou en face à face. Il te faut un identifiant. Sans ton identifiant on ne s’occupe pas de toi. Comme si tu n’étais pas là.

Le numéro. Voilà la première violence. On obtient effectivement un premier bonjour, vite relâché d’entre les dents serrées de la personne qui se trouve face à nous. Ce bonjour anecdotique et suivi d’un regard concentré sur un écran posé là en interface entre l’usager et la préposée. L’interaction réelle; le regard, la voix, la parole se trouve, elle, parasitée par cet instrument de mise à distance. Cette séparation symbolique qui complète celle, matérielle et très concrète d’un comptoir auquel on accède par une porte dérobée. L’interlocutrice et donc doublement distante.

Le numéro donc. Cette série de chiffre qui est la clé de la destinée du bouchon de liège ballotté par les éléments qu’est à ce moment l’individu. Ces sept chiffres suivis d’une lettre revêt une symbolique hautement signifiante et significative. Cet identifiant est la clé qui permettra de déverrouiller ou resserrer la chaîne autour du coup de l’usager qui pour l’heure est en demande éperdu d’oxygène.

Les doigts de l’agente d’accueil pianotent. Entrent le sésame. Les yeux consultent. La gorge émet un son sibyllin. C’est tout.

Tu lui as remis un papier, une simple feuille de papier recyclé brunâtre que tu as remplis sans trop comprendre, parce qu’on te le demandait. Que tu as docilement apporté, parce qu’il le fallait.

Tu t’es soumis à une autorité illégitime qui tient entre ses mains malhabiles et grossières ta vie. Ta survie, parce que c’était nécessaire.

Quand tu fais une démarche il y a « un délai de traitement », de toute façon tu n’as que ça en réserve, du temps. Quoi que… Le compte à rebours du frigo qui se vide, de ton paquet de clopes qui s’épuise, des SMS et mails de ta banque sont tout de même un bon indicateur du temps qui s’écoule.

Un paradoxe de collision de temporalités : du temps qui se traîne dans des journées que tu occupes comme tu le peux face à l’urgence de la survie.

Dans le local de la misère, les conseillers et conseillères occupent leurs heures à des tâches inutiles et sans but, les visages sont marqués et tout ce qui les distingue des usagers c’est cette petite veste aux couleurs de l’agence.

Le chômage c’est les vacances comme dirait l’autre.

La Journée type d’un chômeur

 Pour situer celui qui écrit ce texte : je suis au chômage depuis plusieurs mois maintenant après avoir quitté la fonction publique (l’éducation nationale) et je suis indemnisé à hauteur de 29.06 euros par jour qui m’amène à un montant de 900.86 euros pour un mois comportant 31 jours. Je ne précise pas cela pour attirer la sympathie ou susciter quelques frémissements émotionnels mais pour placer un contexte, rien de plus.

J’ai un BAC + 3 en langue anglaise et un BAC + 5 obtenu à l’Espé (école supérieure du professorat et de l’éducation) à peu près aussi utile qu’un 20 minutes un jour d’orage mais qui donne le droit d’affirmer fièrement être titulaire d’un Master mais ferme également les portes de l’accès à la formation financée par pôle-emploi.

Autre précision : je ne prétends pas connaître et maîtriser les règles qui régissent l’indemnisation chômage, les indemnités journalières et leur calcul, dont je ne connais les fondements que par ce que j’expérimente et constate dans ma vie quotidienne. Exemple : la règle de calcul d’indemnité faite en fonction d’anciens droits après une nouvelle période de travail dans laquelle l’indemnité journalière nouvelle, demandée à un instant T, sera comparée à l’ancienne et éventuelle réhaussée à condition que son montant soit de 30% supérieur à l’ancienne.

En gros : vous travaillez, vous êtes ensuite au chômage, on calcule vos droits. Vous reprenez ensuite une activité sans épuiser ces droits. Vous retombez dans le chômage, on calcule la nouvelle potentielle indemnité, on la compare à l’ancienne. Si ce calcul ne donne pas un montant de 30 % supérieur à l’ancien, on garde l’ancien en adaptant la durée de l’indemnisation en fonction de votre dernière période de cotisation.

Voilà pour un peu de contexte, pour que vous sachiez, un peu, d’où je parle.

La journée type du chômeur donc, certains, certaines se souviennent peut-être de cette illustration qui a défrayé la chronique, malheureusement bien vite oubliée mais que j’exhume ici pour le plaisir des yeux et du cerveau.

 

la-journee-type-d-un-chomeur-une-affiche-pole-emploi-cree-la-polemique

Je ne sais pas si mon quotidien est aussi bien cadencé, aussi bien rythmé, tel un petit Stakhanov de la recherche de l’emploi, néanmoins il faut bien se l’avouer, pôle-emploi avec cette infographie, ce mode d’emploi a tapé dans le mille.

Oui, effectivement tous les jours on cherche, on fouille, on creuse, on s’épuise et on s’abîme le moral à la recherche de la pépite qui finira bien, à un moment ou un autre par briller au milieu du gravier.

On a la fièvre.

Juste une annonce de plus, une candidature de plus, un CV et une lettre de motivation supplémentaire, le bureau de mon PC en est plein, le Bureau sur lequel est posé mon PC en déborde. Ma boite mail est inondée d’alerte, d’accusés de réception en tous genres (linked in, indeed, jobijoba, ouestjob, monster, pôle-emploi), ma boite mail déborde et régurgite.

Occasionnellement je reçois une réponse, toujours négative. Parfois je reçois un coup de fil. Parfois. Occasionnellement j’effectue quelques missions, contrat courts mais la plupart du temps je remplis mes journées avec des tâches fiévreuses de chercheur d’or.

Linked In, Monster, Indeed, Pôle-emploi, Linked In, Monster, Indeed, Pôle-emploi …

Et puis ensuite je mets une série, j’allume ma console, j’essaie d’écrire, de lire. « (je) profite et (je) me relaxe ». Quand je peux.

Il est minuit, la journée a été longue et courte. J’éteins ma console, je ferme mon livre. Je vais me coucher et regarder des vidéos Youtube dans mon lit jusqu’à deux heure, parfois trois heure et demain je recommencerai une autre journée de ce genre.

A ce stade il faut que je vous fasse un aveu, le schéma pôle-emploi appuie là où ça fait mal, aucun doute. Il nous rappelle que nos journées sont vides, creuses. Il nous rappelle à notre inutilité, notre absence de lien avec d’autres individus, qui sont eux intégrés dans la vie sociale. Des individus qui parfois au détour d’une phrase maladroite, un peu brutale mais jamais volontairement méchante ou malveillante, nous rappelle de l’urgence de la situation du futur épuisement de notre indemnisation.

Il faut que je vous avoue donc, je ne respecte pas ce mode d’emploi. Je me couche tard, je me lève tard. Parfois même, je n’ai pas envie de me lever. Parfois même je n’ai pas envie de me réveiller. Mes rêves sont mille fois plus intéressants que mes heures de veille. Pourtant parfois le sommeil ne vient pas et mes rêves se laissent envahir des troubles des heures du jour, traîtres à leur cause.

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