Procès Mediator : Le témoignage implacable d’Irène Frachon contre les laboratoires Servier

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PROCES Irène Frachon, la pneumologue de Brest (Finistère) qui a lancé l’alerte sur le Mediator est venue témoigner à la barre, ce mercredi

Vincent Vantighem

Paris, le 23 septembre 2019. Irène Frachon arrive au palais de justice de Paris pour l’ouverture du procès dit du «Mediator» des laboratoires Servier. — BERTRAND GUAY / AFP
  • Le scandale sanitaire du Mediator est jugé depuis le 23 septembre par le tribunal de Paris.
  • Les laboratoires Servier sont accusés de tromperie aggravée et d’homicides involontaires.
  • Lanceuse d’alerte, la pneumologue Irène Frachon est venue témoigner, ce mercredi.

Dans La fille de Brest, biopic consacré à la vie d’Irène Frachon, on la voyait notamment nager dans l’Atlantique et applaudir son fils après un concert de batterie. Mais il s’agissait d’un film. Ce mercredi, la pneumologue a plutôt choisi de projeter une photo de valve cardiaque en sale état et de commenter des schémas de molécules chimiques. Il s’agissait cette fois de témoigner devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris qui se penche depuis le 23 septembre et jusque fin avril sur le scandale sanitaire du Mediator.

Mais sur grand écran en 2016 ou derrière la barre d’un tribunal aujourd’hui, l’objectif de la pneumologue reste le même : convaincre les juges que les laboratoires Servier ont gravement trompé les patients avec le Mediator et que beaucoup d’entre eux en sont morts. Pas tous. Ce mercredi, plusieurs malades du médicament coupe-faim avaient fait le déplacement pour écouter celle à qui ils vouent une admiration sans borne.

Comme si Hercule Poirot avait rejoint le service du Dr House

Même s’il fallait s’accrocher… Étude randomisée, bénéfice-risque, benfluorex et fenfluramine : l’exposé de la spécialiste était ardu, touffu et technique. Mais implacable pour qui veut bien tenter de comprendre pourquoi 500 à 2.100 personnes selon les études, vont peut-être, à terme, mourir d’avoir pris un jour un simple médicament pour perdre du poids.

Vincent Vantighem

@vvantighem

: « Sur un dossier, je ne trouve pas trace de Mediator. Je connais le médecin traitant. Je l’appelle. Il me dit qu’il a bien prescrit du Mediator pendant 10 ans. Mais la patiente ne l’a pas déclaré car c’est un peu honteux… »

Vincent Vantighem

@vvantighem

: « Le Mediator est prescrit comme coupe faim amaigrissant. Pour les femmes, c’est comme la crème pour l’acné. On en parle pas vraiment… »

C’est là qu’elle a commencé à découvrir des cas de valvulopathies. « Nous sommes alors en 2007. Mais je suis pneumologue. Je n’avais jamais vu une valve cardiaque. Du coup, je descends au bloc opératoire et je prends des photos des valves. Le chirurgien me dit « Ben rien, elles sont foutues… » » C’est plus compliqué que cela. Irène Frachon compare les photos, ouvre tous les livres d’échographie cardiaque et se rappelle au mauvais souvenir de l’Isoméride qui l’avait marqué pendant sa jeunesse. Comme si Hercule Poirot avait rejoint le service du docteur House.

La photo du cœur de Marie-Claude projetée sur écran géant

A ce moment-là de son exposé, la pneumologue sait bien qu’elle est dure à suivre. Mais elle s’en moque. Elle s’adresse à un tribunal censé être spécialisé. Et pour maintenir l’attention de l’auditoire, elle distille les effets de manche. Ici, elle mime avec les mains le clapet d’une valve mitrale. Là, elle farfouille dans sa grosse pochette rouge pour trouver le document avant d’avouer qu’elle le connaît de toute façon par cœur. Simple autant qu’efficace.

Et puis, contrairement aux prévenus qui donnent l’adresse du cabinet de leur avocat, Irène Frachon, elle, n’a pas peur de dire au tribunal qu’elle habite boulevard de la corniche à Plongouvelin (Finistère). Et c’est aussi révélateur de sa simplicité, de son état d’esprit. De l’affection qu’elle porte aux patients, finalement. Ainsi, quand elle projette la photo d’un cœur ouvert sur l’écran du tribunal, elle explique qu’il s’agit de celui de Marie-Claude, une patiente qu’elle appelle toujours par son prénom, plus de dix ans après sa mort…

Vincent Vantighem

@vvantighem

: Elle annonce « un schéma exceptionnel de clarté ». Il est projeté. Je vous laisse imaginer…

Vincent Vantighem

@vvantighem

: On rigole de cet exposé. Mais on peut déjà conclure deux choses :
– Irène Frachon a travaillé comme une folle sur le sujet (on le savait déjà)
– Les avocats des labos Servier qui veulent lui poser des questions ont intérêt à maîtriser le sujet (on l’imaginait)

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C’est pour elle et pour toutes les autres victimes qu’Irène Frachon se bat. Pour elles qu’elle a expliqué, ce mercredi, que les laboratoires Servier avaient « falsifié » ses propres articles scientifiques au moment de les traduire. Pour elles, qu’elle a dénoncé les pressions subies par les lanceurs d’alerte. Pour elles qu’elle souhaite que les responsables soient condamnés.

Pour cela, il faudra patienter jusqu’à la fin du procès prévu au mois d’avril. Irène Frachon ne craint pas d’attendre. Elle a consacré sa carrière à ce sujet. Et elle a conservé des congés pour pouvoir assister à la plupart des audiences… A Sylvie Daunis, la présidente de la 31e chambre, ce mercredi, elle a précisé : « Il faut aller au fond des choses ! ». Son témoignage a été longuement applaudi.

« Combien de morts ? », demandait le livre d’Irène Frachon sur le Médiator


Au procès Mediator, le cardiologue marseillais et son alerte «restée dans un tiroir»

Par AFP — 
Une boîte de Mediator, le 18 novembre 2010
Une boîte de Mediator, le 18 novembre 2010 Photo FRED TANNEAU. AFP

«C’est resté dans un tiroir»: un cardiologue marseillais a déploré mardi au procès du Mediator à Paris que l’alerte qu’il avait lancée plus de dix ans avant le retrait de cet antidiabétique ait été ignorée par les autorités.

«C’était fin 1998», raconte le docteur Georges Chiche, accent rocailleux et épaules voûtées à la barre du tribunal correctionnel. Praticien dans les quartiers nord de Marseille, où il exerce toujours à 67 ans, il venait de déclarer au centre régional de pharmacovigilance un cas de «fuite valvulaire aortique», une valvulopathie, sur l’un de ses patients.

Ce dernier, lui-même médecin généraliste et diabétique en surpoids, s’était «auto-prescrit du Mediator pour son tour de taille un peu volumineux», retrace le cardiologue au teint hâlé, en retroussant les manches de son pull vert sur ses coudières.

Jusqu’en «1995-96» et sa lecture intensive de revues médicales américaines, grâce auxquelles il fait le lien entre le Mediator et d’autres anorexigènes commercialisés par Servier, le cardiologue pensait que «c’était une drogue merveilleuse».

«J’ai dit stop, lancé l’alerte dans les quartiers: tous les patients qui avaient une fuite inexplicable, je leur demandais +avez-vous pris du Mediator?+. Je les faisais arrêter et les valvulopathies régressaient progressivement», affirme-t-il.

– «On a perdu dix ans» –

Le «cas Chiche» sera la première valvulopathie possiblement liée au Mediator à entrer dans la base nationale en février 1999.

«Validé à Marseille comme crédible», son dossier restera à Paris «dans un tiroir», soupire le témoin, pestant contre les «dix ans perdus», le produit ayant été retiré le 30 novembre 2009.

Après son signalement, le Dr Chiche a eu «zéro accusé de réception» des autorités sanitaires, mais dit en avoir reçu «trois» des laboratoires Servier, dont celui de son ancien professeur de médecine, alors adjoint à la mairie de Marseille et dont les «festivals de jazz étaient sponsorisés» par le groupe. «Il m’a dit au téléphone: +Georges tu es brillant, comment tu peux écrire des conneries comme ça? Il faut retirer ton observation+», accuse le cardiologue.

«Ce qui me tue le plus, c’est la porosité de l’Agence (du médicament, ndlr). Mon nom a été divulgué à l’industriel», tempête Georges Chiche, qui dénonce aussi la «réprobation» de ses collègues, même si on ne lui disait «pas en face».

«A Marseille, on disait: +Georges, tu as craché dans la soupe+. Un collègue, corse, a répondu: +Vous avez raison, mais nous on ne mange pas la même soupe que vous+», décrit-il en prenant le tribunal à partie: «Ceci reste entre nous, hein».

Douché par «l’attitude» de l’Agence du médicament, il ne déclare plus aucun effet indésirable, malgré la «quelque cinquantaine» d’autres cas sous Mediator détectés selon lui, et malgré l’obligation faite aux médecins de les signaler.

Entendue à sa suite, l’ancienne responsable du centre de pharmacovigilance de Marseille, Marie-Josèphe Jean-Pastor, a confirmé «un manque d’empressement des médecins à déclarer les effets quels qu’ils soient».

Dans les années 2000, des valvulopathies et des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP), une pathologie rare et incurable, avec imputabilité plausible au Mediator, seront toutefois signalés. Mais ces alertes resteront là aussi vaines.

Entre 1999 et 2005, le Mediator ne sera plus à l’ordre du jour des comités techniques de pharmacovigilance, malgré la multiplication des cas et alors que le médicament est au coeur d’une double enquête, en France et en Europe.

Entendus lundi, les anciens responsables du centre régional de pharmacovigilance de Besançon, chargé de l’enquête française, se sont retranchés derrière «les institutions» et les «donneurs d’ordre», assurant que leur rôle s’était borné à «compiler l’ensemble des effets indésirables» pour «en faire une synthèse».

Le système de pharmacovigilance a «failli», avaient quant à eux estimé les auteurs du rapport de 2011 de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’affaire du Mediator.

Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, le médicament est tenu pour responsable de centaines de morts.

Les laboratoires Servier comparaissent notamment pour «tromperie aggravée» et «homicides et blessures involontaires», une dernière qualification également retenue contre l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), poursuivie pour avoir tardé à suspendre le Mediator.

AFP

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