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Si Macron a récemment promis un plan d’investissement dans le système de santé public, et dressé un éloge de l’Etat Providence, beaucoup doutaient de ses véritables objectifs. Mediapart a révélé hier une note de la Caisse des Dépôts qui dessine un projet qui s’inscrit dans la logique de privatisation de la santé, sur fond de conflits d’intérêts.
mercredi 1er avril
Illustration AFP LUDOVIC MARIN
Dans son allocution du 12 mars, Emmanuel Macron se lançait dans un éloge de l’Etat-providence et du système de santé décrits non comme « des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. » S’en suivaient de nombreux remerciements pour les soignants érigés en héros nationaux. Mais chez ces derniers le discours n’est pas très bien passé, pas plus que les mesures très insuffisantes annoncées les semaines suivantes, et ils sont nombreux à lui avoir répondu au travers de photos avec une affiche « Monsieur le président vous pouvez compter sur nous, l’inverse reste à prouver ».
Le 25 mars à Mulhouse, c’est un « plan massif d’investissement » pour l’hôpital public qu’annonçait cette fois le chef du gouvernement. Des promesses bien lointaines face à l’urgence actuelle et qui, dans la bouche de Macron, semblai ent aussi hypocrites que peu crédibles pour des soignant.e.s qui se battent depuis plusieurs années contre la casse du service public.
Et leurs craintes sont en train de se vérifier … Dans un article publié hier, Médiapart révèle une note de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), en charge de réfléchir à ce plan d’investissement pour la santé. Brigitte Dormont, Professeure d’économie à l’université de Dauphine, résume ainsi pour Médiapart son contenu : « En gros, le contenu essentiel de la note, c’est de proposer que de l’argent public et des actions de consolidation financière soient orientés vers le secteur privé non lucratif, sans argument pour fonder cette proposition. »
Effectivement, cette version provisoire, paraît bien loin du discours de Macron sur la nécessité d’avoir un service public de santé. L’idée principale qui en ressort n’est autre que « privé, privé et encore privé ». Loin de tirer le moindre bilan des politiques néolibérales de privatisation de la santé, ou des mesures austéritaires qui ont mené à la situation catastrophique dans les hôpitaux aujourd’hui et qui tendent à rendre la crise sanitaire qu’on traverse aussi ingérable que meurtrière, la note s’inscrit parfaitement dans la logique des dernières années.
L’exemple paradigmatique est celui des P-P-P : les Partenariats Public-Privé. Dans la partie « En faveur de l’hôpital », arrive en troisième position « Mettre en place des PPP (partenariats public-privé) vertueux. » Ces PPP, qui existent depuis 2006, permettent à des organismes publics de faire appel à des fonds privés – pour par exemple construire un hôpital – leur payant ensuite un loyer sur plusieurs dizaines d’années et les laissant gérer toutes les activités non-médicales liées au lieu. Or, les exemples de mises en place de PPP depuis 2006, ont donné lieu à de nombreux échecs scandaleux.
« Les partenariats public-privé du plan Hôpital 2007 : une procédure mal maîtrisée » titrait ainsi un rapport de la Cour des Comptes en 2014. Derrière cette « mauvaise maîtrise » se cache des millions d’euros de loyers -d’argent public- perdus pour des établissements mal construits, inutilisables et vides, laissant de nombreuses personnes sans structure de soin en mesure de les accueillir. Après ce constat, le gouvernement avait choisi de limiter leur utilisation, mais ces contrats, qui ont joué un rôle actif dans la casse de notre service de santé public, sont aujourd’hui la solution proposée par la CDC à l’état catastrophique de nos hôpitaux.
Pour que le privé et le public ne fasse qu’un : le projet de la CDC
De fait, toute la note tend à faire se confondre investissement public et privé. Sur la gestion de la dette la rhétorique est la même. Une phrase lapidaire sur la restructuration de la dette restante des hôpitaux public et un paragraphe entier sur la dette des « établissements privés de santé à but non lucratif ». La proposition pour cette dernière est de créer des fonds de dette hybride qui prêteraient aux mêmes titres aux hôpitaux publics… et à ces établissements privés. Une logique qui permet de développer toujours plus les intérêts des groupes privés dans le secteur de la santé, transformant les soins nécessaires à nos vies une marchandise comme les autres.
« Ce document est le révélateur très net des orientations actuelles en matière de réformes de la santé : nécessité de faire plus de place au privé ; croyance forte dans l’innovation numérique comme solution au double enjeu de la qualité des soins et de la contrainte financière ; responsabilisation et individualisation face au risque. Les quatre points généraux du document ne sont qu’un coup de tampon aux stratégies édictées depuis plusieurs années. Loin de remettre en cause les orientations délétères des réformes conduites depuis plus de vingt ans, ils conduisent à accélérer la casse de l’hôpital public. Ce document n’est pas seulement la marque d’une volonté d’étendre l’emprise du privé au sein de l’hôpital public, il traduit la conception technophile, néolibérale et paternaliste qu’une grande partie des acteurs administratifs et des responsables politiques ont de la santé. » synthétise ainsi Pierre-André Juven, sociologue interrogé par Mediapart.
Une note sur fond de conflit d’intérêt
Et derrière cette note semble apparaître plusieurs conflits d’intérêts. Le premier se joue sur les bateaux.. En effet la dernière des propositions en faveur de l’hôpital, est celle de transformer des navires en navire-hôpitaux, la proposition très longuement détaillée, propose de transformer les bateaux de croisières en hôpitaux, or le chantier coûteux et long ne semble pas être la réponse la plus efficace pour résoudre la crise ou pour répondre à des besoins de long terme. Médiapart indique une explication du phénomène « La raison en est peut-être ailleurs : la Société de financement local (Sfil), qui sert de bras financier à la banque des territoires, garantit un grand nombre de crédits exports. Elle s’est beaucoup engagée dans le secteur des croisières. »
L’autre conflit d’intérêt est autour de ces sociétés privées mises à l’honneur tout au long de la note, et qui semblent représenter pour les rédacteurs la solution à la crise terrible que traverse le système de santé. « N’y a-t-il pas un évident conflit d’intérêts à demander un rapport à la CDC sur l’hospitalisation ? La CDC, via une de ses filiales Icade santé, est un acteur majeur de l’hospitalisation privée lucrative. » s’interroge ainsi Jean-Paul Domin, professeur de sciences économiques à l’université de Reims. Les intérêts du gouvernement se trouvent ainsi bien étroitement liés à ceux de groupes privés, qui investissent dans tous les établissements privés de santé, au détriment du service public.
La crise sanitaire ouverte par le coronavirus, a mis en lumière le délabrement de notre système de santé, l’état catastrophique des hôpitaux, et le manque cruel de personnel. Alors que Macron ignorait jusqu’à présent la colère des soignant.e.s qui réclament depuis des années des moyens supplémentaires, il a été obligé de répondre à ce que tout le monde rdécouvre cruellement aujourd’hui l’état d’un système de santé à bout de souffle. Mais loin de répondre par un investissement massif, ou par la nationalisation des établissements privés, qui aujourd’hui pourraient permettre de désengorger les hôpitaux surchargés, la note de la CDC montre qu’il compte bien poursuivre la logique de privatisation entamées ces dernières années. Une logique pourtant déjà très largement rejetée parmi le personnel médical.
Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux préviennent, la détresse et la rage d’être confrontés à une épidémie sans un système solide qui puisse encaisser le coup, finira par s’exprimer après la crise. Et le projet porté par cette note pourrait bien rester en travers de la gorge de toutes celles et ceux qui sont au cœur de la gestion de l’épidémie, dans des hôpitaux exsangues.
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